chapitre 13

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Sur la route pour rentrer chez moi, je reçois un appel. Comme je conduis, je ne réponds pas et laisse la messagerie faire le job. Au premier feu rouge que je rencontre, je déverrouille le téléphone et vais dans les appels manqués. Oh ! La surprise est telle que je cale à l'arrêt. La voiture derrière moi klaxonne : le feu est repassé au vert. Chiotte. Je repose mon portable et redémarre. J'attends d'être garée devant chez moi, puis, rassemblant tout mon courage, je rappelle le numéro.

- Cam, me salue-t-il simplement.

- Oui, Elias. J'ai vu que tu m'avais appelé... (Faites qu'il ne se soit pas trompé !) Est-ce que ça va ?

Silence.

- Elias... ?

- Non, ça va pas trop, en fait. On peut se voir ?

- Euh, oui, bien sûr. Mais tu me fais peur, là. Il t'est arrivé quelque chose de grave ?

- Non. Enfin... Non, pas comme tu l'entends.

- Hum. Bon, donne-moi ton adresse par message, j'arrive.

- Non. Reste où tu es. C'est moi qui viens.

- Comme tu veux.

Nous raccrochons. En l'attendant, je joue avec tout ce que je peux trouver dans ma voiture : le volant, un paquet de chewing-gum, des pièces de dix centimes, les papiers du véhicule... Bon sang, je suis littéralement stressée. Je flippe ma race. Pourquoi Elias veut me voir ? Qu'est-ce qu'il entend par là quand il dit qu'il ne va pas bien ? Je me concentre un max pour garder mon calme. Merde, ce mec me met dans tous mes états, ce n'est pas possible.

Il arrive en moto. Il se gare près de ma voiture. Quand il retire son casque et que je vois l'expression dépitée qu'il tire, je comprends tout. Ça a un rapport avec Hasma. Putain, pour ne pas changer ! Allez, go jouer le rôle de la psy...

- Salut, fais-je tandis qu'il monte sur le siège passager.

- Salut, Cam. J'suis désolé si je viens te faire chier avec mes problèmes de couple (qu'est-ce que j'avais dit ?) mais putain, il faut que j'en parle à quelqu'un ou sinon j'vais devenir fou wAllah.

Sa voix tremble. Je glisse mes yeux vers ses mains et remarque qu'elles tremblent elles aussi. Oh là, il me fait pas une crise de stresse, quand même ?

- Je... je savais pas trop vers qui me tourner, continue Elias en regardant droit devant lui. Et vas-y... même si on se connait depuis pas longtemps, je sens que je peux te faire confiance.

- Merci.

Pourquoi je dis merci, moi ?

- Qu'est-ce qui s'est passé, alors ? demandé-je.

- Une embrouille, encore. Mais là c'était vraiment une dinguerie. J'ai l'impression que plus on se dispute, et plus c'est violent.

- Violent... ?

Elias me lance un air surpris face à mon ton et contre-attaque aussitôt :

- Je ne frappe pas Hasma, si c'est ce que tu crois ! Je lèverai jamais de ma vie la main sur une femme - sur ma femme. J'ai bien été éduqué pour ça, et j'ai deux petites sœurs. Je connais la valeur d'une fille et d'une femme.

- Je te crois. Mais en quoi c'était violent, du coup ?

Il hausse les épaules, et fuit de nouveau mon regard.

- Les mots qu'on utilise... Et parfois elle me pousse, ou me met des gifles. Je suis obligé de garder mon sang-froid mais c'est dur. Si tu savais, Cam... C'est beaucoup trop pour moi. J'en peux plus. Elle me rend fou.

Ça, je veux bien le croire. Moi également elle me rend folle alors que je ne la côtoie même pas. Franchement, elle est vraiment shtarbée de faire tout ça à Elias. Faut qu'elle consulte, ma parole !

- Rompt avec elle, Elias, je tranche avec un calme étrangement contrôlé.

Il se mord la lèvre. Serre les poings contre ses cuisses. Contracte sa mâchoire. Une boule de colère et de nervosité brillant de tout son être. Même quand il est énervé, tu trouves le moyen de baver sur lui. Sombre bouffonne.

- Tu comprends pas. Je peux pas faire ça, ça impliquerait beaucoup trop de galères. On a prévu de se marier, Cam. Et puis sa famille connait la mienne...

- Je croyais que ses parents ne pouvaient pas te blairer ?

- Ça commence à changer, justement.

Chelou, eux, d'attendre que ça n'aille plus du tout dans leur couple pour donner leur bénédiction. Quoi que, ça ils ne doivent pas être au courant.

- Non, je peux pas, répète Elias de guerre lasse. Je l'aime.

- Parfois l'amour ne suffit pas.

Ma phrase crée un silence total dans l'habitacle. Je me ratatine sur mon siège, embarrassée d'avoir jeté un froid en voulant paraître réaliste... et pessimiste. Bah ! Pas ma faute si j'ai du mal à croire en l'amour. Je crois percevoir le corps d'Elias se tendre à côté de moi, à moins que ce ne soit moi qui l'ai imaginé. Et puis, soudain, son visage se tourne vers moi ; il me fixe alors de ses yeux à la couleur d'un ciel nuageux. J'avale de travers ma salive, incapable de détourner mon regard. Bordel de putain de merde. Il est tellement beau !

Il se passe peut-être trente secondes, ou une minute, ou bien une vie entière avant que je ne sorte de ma transe. Elias aussi semble reprendre contenance, comme si lui-même avait ressenti cette étrange chose entre nous.

- Hum. Je crois que j'ai assez parlé de moi, dit-il avec une voix nouvelle. A ton tour.

- Moi ? Pourquoi ?

- Parce que ça m'intéresse.

J'acquiesce, bien qu'au fond je le suspecte de faire ça dans le seul but de changer de conversation.

Ainsi, je me retrouve à lui raconter ma passion pour le piano, mon travail qui consiste à vérifier les plannings des mecs de chantier touchant à l'amiante, et les mots que je sais dire en italien.

A un moment donné, Elias m'interroge sur ma situation amoureuse. J'en viens à croire qu'ils se sont passés le mot avec Alex.

- Y a forcément des choses à dire, me pousse-t-il comme je ne réponds pas. T'as pas quelqu'un dans le viseur, ou vice-versa ?

- Pas vraiment.

Je me retiens de me pincer les lèvres. Comment te dire, Elias, que c'est toi le garçon que je veux ?

- Enfin si, y a bien un mec avec qui je discute, reprends-je.

- Ah ouais ? fait Elias, et il retrouve instantanément son sourire. C'est grave bien wesh !

Il se réjouit pour moi, là ? Punaise, même la technique pour le rendre jaloux ne fonctionne pas. Pour qui tu te prends, idiote ? IL T'AIME PAS ! Mets-toi ça dans le crâne une bonne fois pour toute !

- Après, je préfère prendre mon temps. J'aime pas brûler les étapes...

- T'as raison. Fais attention à toi quand même, genre, évite de te faire briser le cœur bêtement, s'esclaffe Elias.

Briser le cœur. Ses trois mots évocateurs ont le don de me rembrunir sur le champ. Je croise les bras contre ma poitrine et je renâcle amèrement.

- Mon cœur est déjà brisé, de toute façon.

Je vois du coin de l'œil Elias secouer la tête de droite à gauche.

- Je t'assure que non. Ça, c'est ce que te dis ta tête ; ton cœur, lui, pense autrement. Ne pense pas comme ça et sois patiente. Tu finiras par trouver l'amour, Cam. C'est juste une question de temps.

Je ne trouve pas la force ni l'envie de lui répondre.

Juste une vie avec toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant