chapitre 35

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C'est avec Lisa, Sofiane et Lamia que je me rends à l'hôpital où est Hasma. Nous avons pris du temps, dans le parking, pour nous décider si on y allait ou pas. Puis je me suis rappelé que Lisa était la cousine de Hasma et qu'elle se devait d'aller la voir. Et comme Elias était partie avant nous, on a finit par l'emmener nous-mêmes.

Dans les couloirs de l'hôpital règne un silence morbide. Je me sens très mal à l'aise, et aussi impuissante, car non seulement il y a Elias, un peu plus loin, qui est en train de faire les cent pas comme un fou, mais il y a aussi les parents d'Hasma, assis sur le banc juste à côté de moi. Je n'ose pas les regarder dans les yeux, je me sens coupable de ce qui arrive à leur fille. Lisa a dit qu'Hasma a fait une overdose de médicaments, ce qui laisse supposer que c'était une tentative de suicide. Pas besoin de réfléchir mille ans pour savoir pour quelle raison elle a voulu se suicider. Elle a fait ça par rapport à Elias. Pour Elias.

Les médecins nous empêchent d'aller voir Hasma. Ils ne donnent aucun compte rendu ni information à ses parents qui leur ferait comprendre ce qu'il en est de son état de santé. Personne ne sait si elle va bien ou si, au contraire, elle est dans un état critique. J'ai tellement peur que je n'ose pas imaginer le pire. Je me dis qu'ils lui ont sans doute fait un lavage d'estomac et qu'elle est en train de se reposer, de reprendre des forces. Pour moi, il est impossible qu'elle y soit passée. Même si je ne l'aime pas, je ne veux pas que Hasma meurt. Pas à son âge. Pas dans ses conditions. C'est trop glauque.

Je suis si prise dans mes pensées que je remarque longtemps après que les parents d'Hasma ne sont plus assis à côté de moi. Je me mets à me ronger les ongles. Ils sont forcement partis la voir, ce qui veut dire que les médecins en savent plus, et que la nouvelle va bientôt tomber.

- Camélia ? m'appelle Lamia.

Je me tourne vers ma meilleure amie sans la regarder. J'ai mal au ventre. La gorge toute sèche. Et je transpire par tous les pores, surtout au niveau du front et des aisselles.

- Camélia, répète Lamia sur un ton plus fort.

- Quoi ? lui dis-je en la regardant enfin dans les yeux.

- Ca y est, c'est finit, déclare-t-elle alors.

Je la dévisage sans trop comprendre - en me forçant de ne pas comprendre.

- Quoi ? Qu'est-ce qui est finit, Lam ?

- Hasma. Elle est... elle est morte, Cam...

Mon cœur marque un arrêt. Au même moment, les parents d'Hasma refont leur retour dans le couloir en criant de désespoir et en pleurant de toutes leurs forces. Je les vois qui se mouchent et qui essuient leur larmes inlassablement. Je vois la mère qui approche d'Elias et qui le prend dans ses bras. Je vois mes amis afficher un air choqué et contenir leur douleur. Oh non non non...

Je saute de ma chaise et accourt vers Elias, qui est de nouveau seul.

- Elias... fais-je d'un filet de voix.

Je ne sais pas quoi dire de juste mais il faut que je le console. Il est triste, à bout, et complètement déboussolé. Alors je le prends dans mes bras et le serre le plus fort possible contre moi. Sans le voir je sais qu'il pleur lui aussi, et ça me brise infiniment le cœur. Je suis tellement désolée pour lui, pour ses parents, pour Hasma elle-même... J'aimerais penser autrement mais je me sens entièrement responsable de sa mort. D'une certaine manière je suis coupable de son suicide : elle nous avait prévenu, Elias et moi, qu'elle irait jusque là si nous nous mettions ensemble. Elle était instable psychologiquement et nous étions au courant de ce qu'elle pouvait faire, mais au lieu de l'aider nous en avons fait qu'à notre tête et nous lui avons tourné le dos. Au lieu d'écouter ses menaces et de prendre les précautions nécessaires pour éviter les problèmes, j'ai préféré croire qu'elle bluffait et j'ai tout fait pour qu'Elias n'ai plus affaire avec elle. Je l'ai écarté d'elle en la traitant de tous les noms pour qu'il soit dégoûté d'elle. Mon Dieu, j'ai fait en sorte qu'elle mette sa menace à exécution sans même m'en rendre compte ! Quel genre de monstre je suis ? Par ma faute Hasma est morte, et j'aurais ça sur ma conscience le restant de mes jours. Je me dégoûte.

Je sens une pression contre moi : les mains d'Elias sont en train de me repousser. Je n'insiste pas et il se défait de mon étau, avant de reculer de plusieurs pas de moi, comme s'il avait entendu mes pensées et qu'il était en accord avec elles.

- Elias ?

Il me fixe sans émotion. Son regard gris qu'autrefois je trouvais éblouissant est désormais vide, sans aucune beauté. Sa bouche a un rictus qui rend son visage sombre. Je ne comprends pas.

- Elias, dis-moi ce...

- J'ai besoin de rester seul, me coupe-t-il.

Sans attendre ma réponse il pivote sur lui-même et marche en direction de l'ascenseur. Je m'empresse de faire fonctionner mes jambes pour le retenir par l'avant-bras.

- Qu'est-ce que tu fais ? je le questionne d'une voix paniquée. Où tu comptes aller ?

- Laisse-moi, Camélia. S'il te plaît, j'ai besoin de... j'ai besoin de rester seul et faire le vide, tu comprends ?

Ses mots ont un sens que son ton n'a pas, et ça m'inquiète.

- Elias, promet-moi de ne pas faire de bêtise. Je t'en supplie...

- La bêtise je l'ai faite depuis longtemps, Cam. Et en voilà les conséquences.

Peu importe ce qu'il a voulu dire par-là, je prends ses propos comme une gifle. Les larmes coulent davantage de mes yeux et ma bouche tremble. Elias tourne une nouvelle fois les talons ; cette fois-ci il s'en va promptement, comme s'il avait peur que je le suive. Il est en train de te fuir, murmure ma conscience. Je reste clouée au sol et tente de reprendre ma respiration. J'ai mal. J'ai horriblement mal. Du fond du couloir j'entends Elias frapper un coup dans le mur. Je refoule mes pleurs et renifle, avant de rebrousser chemin à contre cœur.

J'appellerai Elias toute la soirée et même une partie de la nuit pour m'assurer qu'il va bien. Pas une seule fois il ne me répondra.

Juste une vie avec toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant