chapitre 36

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Une semaine plus tard

Le paysage défile doucement autour de moi. Les nuages au ciel cachent le soleil, et quelques gouttes de pluie tombent sur le par brise de ma voiture. Je n'ai mis aucune musique pour accompagner mon trajet. Je ne veux rien entendre, hormis le bruit du silence.

Cela fait une semaine que Hasma est partie. Je me sens toujours aussi mal et coupable qu'au premier jour. Lors de son enterrement, il y a quatre jours, je n'ai pas su réprimer mes larmes comme je me l'étais promis. J'ai poussé sanglot sur sanglot en me traitant en silence de meurtrière. J'avais l'air d'une pauvre fille qui ne sait pas se contrôler. Les gens me jetaient des coups d'œil curieux l'air de se demander qui j'étais ; les parents d'Hasma, eux, on fait comme si je n'étais pas présente, et je pense que c'était la meilleure solution.

Il n'y avait pas Elias à l'enterrement. Je le sais parce que je n'ai pas arrêté de fouiller des yeux l'endroit et les corps à sa recherche. Il n'était pas là et n'a pas répondu à mon message quand je lui ai dit que j'y étais moi. Il n'a pas plus répondu à mes autres messages et appels de la semaine. Je crois qu'il a mis son téléphone en silencieux et qu'il ne s'en sert plus. Ou peut-être qu'il a supprimé mon numéro et qu'il ne veut plus jamais me parler.

Je me suis renseignée auprès des autres afin de savoir s'il parlait toujours à l'un d'entre eux. Lisa m'a certifié qu'il ne lui répondait pas à elle non plus et apparemment, il n'a même pas donné de nouvelle à Mehdi et Malcolm, ses deux meilleurs potes. La distance qu'il a faite à tout le monde nous inquiète tous - moi la première. Je fais sans cesse des cauchemars de lui où je le vois se tuer à son tour, ou bien où je le vois m'insulter de meurtrière et de lâche, le visage mauvais. Je sais que tout ça ne cessera que lorsque je saurais où il est et ce qu'il fait. C'est pourquoi je suis sur la route pour aller chez lui. Il me faut des réponses, des explications. Il me faut le voir en vrai pour être certaine que tout va bien.

La boule que j'ai au ventre s'accentue quand j'arrive dans sa rue. En serrant les lèvres, je me gare et réfléchis à ce que je vais lui dire une fois qu'il sera devant moi. Puis je sors de la voiture et appuie sur la sonnette de son grillage. Il se passe plusieurs longues secondes avant que le rideau du salon se lève : apparaît alors non pas Elias, mais sa mère Zora ainsi que ses petites sœurs Farah et Melina. Je me force à sourire et attends que sa mère sorte pour venir m'ouvrir.

- Bonjour, Camélia, me salue-t-elle en gardant les bras croisés contre elle. Que me vaut ta venue ?

Bizarrement, elle n'a pas l'air aussi chaleureuse que la dernière fois que je l'ai vu. Sa mine est plus fermée, moins rieuse. Est-elle au courant pour le décès d'Hasma ? Dans le doute, je préfère quand même m'exprimer là-dessus :

- Je vous présente mes condoléances pour Hasma, par rapport à Elias... Ils... Vous... Enfin... voilà, quoi.

Je fais vraiment pitié. J'avais oublié qu'elle n'est pas censée être au courant qu'Hasma et son fils étaient ensemble ! Pourvu qu'elle n'ai rien compris...

- Oui, j'ai appris la mauvaise nouvelle, répond Zora avec un sourire triste. La malheureuse, je n'ose pas imaginer ce que ses parents vivent. Perdre un enfant est la pire des choses pour une mère.

- Je suppose que oui... Euh, sinon, est-ce que je peux voir Elias ? Il ne répond plus à personne en message et j'aimerais lui parler. C'est assez important, sinon je ne me serais pas permise de venir à l'improviste comme ça...

Les traits du visage de Zora retombent instantanément. Elle resserre ses bras autour de son gilet et secoue tristement la tête.

- Je suis désolée, je pensais que tu étais au courant, dit- elle en détournant le regard.

- Au courant de quoi ? Est-ce qu'Elias va bien ??

- Oui, il va bien. Ce n'est pas ça.

- Qu'est-ce qu'il y a, alors ?

Elle marque un long temps d'arrêt avant de déclarer :

- Elias n'est plus là, ma belle. Il a quitté la ville il y a quatre jours.

Je manque m'étouffer. Quoi ? Comment ça Elias a quitté la ville ? Pour aller où ? Pour faire quoi ? Et pourquoi ne m'a-t-il rien dit ? Nous étions ensemble et je pensais qu'il m'aimait...

Tandis que Zora m'observe avec peine, je fronce les sourcils et cherche mes mots.

- Pour-pourquoi est-il parti ?

- Il m'a dit qu'il ne pouvait plus rester ici, m'informe Zora. J'ai essayé de le retenir, moi aussi, mais il ne m'a pas écouté. Il est parti vivre chez son oncle.

- Où ça ?

- A Marseille.

Marseille ??? Putain, il ne pouvait pas partir encore plus loin pendant qu'il y est ? J'hallucine ! On dirait encore un de mes cauchemars. Se pourrait-il que l'univers me joue un mauvais tour ?

Au vue de son expression piteuse, j'en déduis que Zora souffre autant que moi de son départ, voire plus. Je n'aurais jamais pensé qu'Elias était capable de faire ça à sa mère et ses deux petites sœurs. Je croyais que c'était lui l'homme de la maison, celui sur qui elles comptaient tous les jours... A côté de ça, ma relation avec lui est comparable à un grain dans le sable : aussi futile que misérable.

Je dis au revoir à Zora et retourne dans ma voiture. Le chemin du retour est encore pire que celui de l'allée. J'ai les esprits embrouillés, perturbés, tourmentés. Je sens quelque chose couler sur ma joue et me rends compte que je pleurs. Je laisse les larmes marquer des sillons sur ma peau ; à quoi bon les essuyer quand je sais que je vais passer ma soirée, que dis-je ? ma semaine et ces mois à pleurer comme une madeleine. Elias est parti pour de bon, sans adieu ni baiser. Moi qui voulais juste une vie avec lui, je n'aurais eu droit qu'a un faible mois d'amour non réciproque, puis à un départ précipité. Il m'a laissé derrière lui, brisée et impuissante, et maintenant je ne le reverrai plus jamais.

Dieu que je suis triste...

Juste une vie avec toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant