Le poids du passé

Marcher sur les traces

Harry et Drago avaient discuté pendant un long moment. Depuis qu'ils se connaissaient, c'était la première fois où ils avaient une conversation aussi longue sans se sauter à la gorge ni s'insulter.

Il y avait eu quelques tensions, mais finalement, leur échange avait été agréable.

Ils étaient toujours installés dans le salon, mais cette fois la cheminée était allumée et ils contemplaient les flammes en silence, pensivement. Drago s'était plongé dans ses pensées, alors que toutes ses certitudes volaient en éclats.

Lorsqu'il s'était trouvé reclus dans son Manoir, parce que chaque sortie apportait son lot d'insultes et de bousculades, il avait pensé que c'était normal. Normal parce qu'il avait été un Mangemort, parce qu'il avait fait les mauvais choix.

Il ne répliquait jamais, parce qu'au fond de lui, sa culpabilité lui hurlait qu'il méritait bien pire.

Il se laissait traîner dans la boue, comme pour expier ses fautes. Comme il l'avait dit plus tôt, il était un Malefoy et il savait parfaitement à quel point son nom était détesté. Son père avait fait de mauvais choix, et il les avait entraîné dans sa chute.

Il aurait pu s'exiler, quitter le pays voire le monde magique. Il était resté pour sa mère, en sachant qu'un jour il devrait partir s'il voulait une chance de vivre une vie normale, loin de toute cette colère. Pourtant, à aucun moment il n'aurait pu imaginer qu'il avait un point commun avec le Sauveur.

Potter aurait dû être traité en héros. Il aurait dû être porté aux nues, profitant de sa gloire, vivant la vie dont il avait rêvé.

Au lieu de quoi, il avait choisi de disparaître, sans donner le moindre signe de vie. Il se retrouvait isolé, trahi par ses amis les plus proches.

Il vivait seul, caché de tous, ne voyant personne alors qu'il les avait tous sauvé.

Drago trouvait la situation profondément injuste. Potter avait été contraint de se cacher pour espérer vivre la vie qu'il espérait. Même après avoir accompli l'impossible, son rival de toujours n'était pas libre de ses actes - tout du moins jusqu'à ce qu'il ne décide de prendre son destin en main.

D'un coup, le jeune homme releva la tête pour fixer le regard émeraude face à lui.

- Potter ? Pourquoi tu as préféré te cacher ici plutôt que de vivre comme tu l'entendais sans te préoccuper des autres ?

Si Harry fut surpris par la question, il n'en montra rien. Il fronça les sourcils, prenant le temps de réfléchir soigneusement à la question posée. Puis il haussa les épaules.

- Je n'ai jamais pu être libre. Vraiment libre. Si par exemple je décidais d'aller dans un bar et de boire du Whisky pur feu jusqu'à l'inconscience, le lendemain, les photos et un article seraient dans la Gazette, avec un commentaire de tout un tas de psychologues pour expliquer à quel point la guerre m'a détruit.

- Tu as tout quitté pour pouvoir te saouler en paix ?

Harry gloussa et secoua la tête.

- Bien sûr que non... C'était l'exemple le plus frappant. Parce que quoi que je fasse, j'étais scruté à chaque instant. Les gens m'arrêtaient dans la rue. J'aurais peut-être pu m'y habituer si...

- Si ?

- Si j'avais eu l'occasion de choisir ce que je voulais faire.

Drago lui jeta un regard d'incompréhension et Harry eut un sourire amer.

- Les gens attendaient de moi que je devienne Auror et prenne un poste au Ministère. "Le futur Ministre de la Magie", ce genre de conneries.

- Mais tu voulais être Auror !

- Ouais. Quand j'étais ado. Tu voulais devenir quoi toi, à cet âge ?

Le Serpentard hésita un bref instant avant de détourner le regard, les pommettes rougies.

- Je n'y ai jamais pensé parce que j'étais destiné à reprendre le rôle de Lord de mon père.

Harry ouvrit la bouche et la referma brusquement avant d'éclater de rire.

- A ce que je vois, nous nous ressemblons bien plus que ce que je pensais. Tu n'as jamais eu envie d'envoyer tout balader pour faire ce que tu aimais ?

Drago grogna.

- Potter, contrairement à toi, j'ai été élevé dans le but de prendre la suite de mon père un jour. Je ne vous pas pourquoi j'enverrais balader ce qui fait partie de moi. Ce qui m'était destiné depuis ma naissance.

Leurs regards s'accrochèrent, et ils restèrent un long moment les yeux dans les yeux, partageant un lien invisible. Harry soupira doucement.

- Je ne te crois pas. Je suis certain que tu as eu des rêves d'avenir autres que ceux qui t'étaient imposés. Tu n'as juste pas eu...

- Ce n'est pas de la lâcheté ! J'ai choisi d'accepter mon héritage !

Harry lui sourit.

- Et pourtant nous sommes ici tous les deux. À l'écart du monde magique.

Drago, vexé, se leva brusquement, mais Harry lui attrapa le poignet.

- Écoute Malefoy. Je suis désolé, ok ?

Il hocha la tête et se réinstalla, fixant Potter. D'un coup, il se pencha en avant.

- Pourquoi ne l'as tu pas fait ?

- Fait quoi ?

- T'enivrer dans un bar ?

- La Gazette...

- Justement ! T'enivrer encore et encore, jusqu'à ce qu'ils se désintéressent de toi.

Harry secoua la tête.

- Pour terminer enfermé Square Grimaud pour mon propre bien ? Ou au Terrier sous la surveillance de Molly Weasley ?

- Mais... Tu es majeur !

- Justement ! Je suis un objet, un pion. J'ai été manipulé dès le départ. La première chose que j'ai appris en arrivant à Poudlard c'est que je devais craindre les Serpentard ! Chaque année, j'étais renvoyé pour l'été chez ma famille qui me maltraitait. Et chaque année je risquais ma vie pour des gens qui me considéraient comme une arme.

- Alors tu as disparu et tu t'es isolé, marchant sur les traces de Severus... Il a fait comme toi tu sais, faire le vide autour de lui et se replier sur lui même.

- Nous avons tous les deux nos raisons.

Drago resta silencieux, réfléchissant à la conversation qu'ils venaient d'avoir. Il comprenait un peu mieux le Gryffondor, sa volonté de disparaître pour que son image ne soit pas utilisée contre lui.

Harry Potter avait été un gamin joyeux et naïf. Le monde sorcier l'avait broyé en l'utilisant, jusqu'à le transformer en ce jeune homme renfermé et solitaire. Il n'était pas malheureux, il avait la vie qu'il avait choisie même s'il était seul... Cependant, ses rêves lui avaient été arrachés une fois de plus.