Minuscule

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Harry, maussade, marchait rapidement sur le chemin de Traverse. Bonnet enfoncé sur les yeux pour cacher sa cicatrice, tête baissée, il grommelait de devoir venir à cet endroit.

Bien entendu tout était de la faute de Malefoy. Il avait fallu que le Serpentard ne tombe malade, et bien entendu, il voulait brasser lui même une potion pour se soigner. Selon le blondinet, il n'avait confiance en personne et il ne voulait pas déranger son parrain pour si peu...

Après plusieurs disputes à ce sujet, Drago s'était levé, bien décidé à aller acheter ses ingrédients seul, et Harry avait cédé pour qu'il reste à l'abri.

Il avait cédé, mais ça ne l'empêchait pas d'être furieux.

Aussi, perdu dans ses pensées, il ne faisait pas attention à ce qui l'entourait et il entra sèchement en contact avec quelqu'un.

En levant les yeux, il se figea, face à un visage qu'il connaissait bien.

Dennis Crivey.

Il était aussi minuscule que son frère, et si Harry n'avait pas vu le corps de Colin sur le champ de bataille il aurait pu les confondre tant ils se ressemblaient. Un instant, il pensa qu'il aurait de la chance et que le garçon ne le reconnaîtrait pas mais alors qu'il marmonnait une excuse prêt à s'éloigner, une main enserra son poignet.

- Harry ? Harry Potter ? C'est vraiment toi ?

Le Gryffondor se dégagea sèchement sans répondre. Mais Dennis ne semblait pas décidé à le laisser en paix. Il souriait largement, surexcité.

- Viens, je t'offre un verre. C'est le moins que je puisse faire pour le héros qui nous a tous sauvé ! Depuis le temps que j'espérais te voir et te remercier pour tout ce que tu as fait...

Apparemment, le frère de Colin parlait autant que lui. Harry secoua la tête en signe de refus mais l'autre insista.

- S'il te plaît... En souvenir de mon frère ! Il s'est battu à tes côtés tu sais.

Les mots percutèrent Harry avec la force d'un cognard. Il se souvenait parfaitement de l'enthousiasme de Colin à aller se battre, aux côtés de son idole du moment. Il avait porté Harry aux nues, ne perdant jamais une occasion de le photographier ou de parler de lui. Harry soupçonnait que le garçon s'était battu à ses côtés uniquement pour l'impressionner, pour se faire remarquer.

Dévoré de culpabilité - même s'il n'était en rien responsable de la mort de son camarade - Harry abdiqua et suivit Dennis, tête basse.

Étrangement, malgré son enthousiasme, Dennis resta discret sur la présence de Harry à ces côtés. Il respecta son envie d'anonymat, lui déposant une choppe de bièraubeurre devant lui sans un mot lorsqu'ils arrivèrent au Chaudron Baveur. Dennis avait même choisi une table un peu à l'écart, dans un coin mal éclairé.

En se rendant compte que la conversation était agréable, Harry commença à se détendre, pensant que finalement, ce n'était pas si terrible. Après tout, ils n'évoquaient que des souvenirs heureux de Poudlard. Mais tout bascula lorsque le sujet des Mangemorts fut évoqué.

Le gentil Dennis fit une grimace écœurée et déclara d'un ton sérieux que tous les sympathisants de Voldemort devraient être éradiqués.

Pas juste emprisonnés, éradiqués. Comme des nuisibles.

Bouche bée, Harry l'écouta argumenter, décrétant que les sorciers qui portaient la marque auraient dû être exécutés pour l'exemple. Que jamais les Malefoy n'auraient dû être graciés, quelques soient les raisons qui avaient poussé le Magenmagot à oublier leurs fautes.

Le visage fermé, Harry le coupa.

- C'est moi qui ait demandé à ce que les Malefoy ne soient libérés.

Dennis l'observa bouche-bée avant de secouer la tête.

- Mais... Pour quelle raison ? Ils s'en sont tirés à bon compte ! Ils auraient dû... disparaître ! Je suis sûr qu'ils te faisaient chanter ! Ou tu étais sous Imperium ?

Harry se redressa et se pencha vers le gamin, le visage dur.

- Ils m'ont aidé. Plus que quiconque. Et disparaître ? C'est ce que Voldemort faisait de ses opposants. La même chose.

Dennis pâlit mais secoua vivement la tête.

- Non ! C'est différent ! Nous sommes les gentils et eux...

- Eux quoi ? Ce sont des sorciers également. Comme moi. Comme toi même.

Le Sauveur du monde sorcier, celui qui avait sacrifié son adolescence à se battre pour la liberté et un monde meilleur observa le jeune garçon bégayer devant lui, cherchant une raison valable de mettre à mort les anciens Mangemorts.

A cet instant, il se demandait pourquoi il avait failli mourir. Il s'était battu en étant persuadé que Voldemort était le problème mais il se rendait compte que le monde magique allait toujours aussi mal.

Il avait pardonné. Il n'avait pas le désir de stigmatiser ceux qui avaient suivi Voldemort, tant qu'ils ne provoquaient pas de remous. Il était celui qui avait le plus souffert, il avait tout perdu et il avait vu la mort de près. Pourtant, il ne voulait pas se venger, rendre les coups qu'il avait reçu.

Harry soupira, soudain las, et se passa la main sur le visage.

- Merci pour la Bièraubeurre.

Dennis essaya de le retenir, de le convaincre de faire arrêter les Mangemorts restants, mais Harry l'ignora. Il bouillait de rage, ne comprenant pas pourquoi les survivants de la guerre ne pouvaient pas se contentaient de la paix qu'ils avaient arraché.

Voldemort était mort, et le monde magique avait une chance de se reconstruire sur des bases saines. Au lieu de quoi, la même chose recommençait encore et encore. Les victimes devenaient des bourreaux, comme s'ils ne pouvaient pas vraiment vivre en paix.

Jusqu'à maintenant, Harry n'avait pas pris conscience de l'ampleur de la haine qui s'était développé contre les Mangemorts. Le Ministère n'avait rien fait pour calmer le jeu juste après la bataille et les esprits s'étaient échauffés rapidement.

Le jeune homme comprenait mieux pourquoi les injustices envers les sympathisants de Voldemort s'aggravaient. Le peuple réclamait du sang et le Ministère leur offrait des victimes sacrificielles sur un plateau d'argent.

Ruminant de sombres pensées, Harry marcha jusqu'à la boutique de l'apothicaire pour y acheter les ingrédients demandés par Drago. En passant devant l'allée des Embrumes, il évita soigneusement de tourner la tête, par crainte de voir les dégâts réels, comme si éviter de voir la réalité en face pouvait adoucir l'inquiétude qui le faisait suffoquer.

Le poids du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant