4 • Manelle

110 20 14
                                    

L'heure est enfin arrivée! Il est quatorze heures moins cinq, et je discute avec les autres professeurs principaux de seconde sur l'estrade de l'amphithéâtre. Mallory passe alors à côté de nous en prenant bien soin de me frôler et monte les escaliers pour arriver à la porte du bâtiment et l'ouvrir.

Pourquoi je suis sûre qu'elle a fait exprès?

Simple. Ce midi nous avons mangé toutes les deux dans la salle des profs des laboratoires. C'est une salle à laquelle on accède par un des labos, et qui comme son nom l'indique, fait office de mini salle des profs.

Une table, un petit frigo... Tout le nécessaire quoi.

Il était certain que personne ne viendrait nous déranger ici, puisque toutes les personnes susceptibles de venir étaient allées manger dans un restaurant pas trop loin.

Elles nous avaient proposé de venir, mais nous avions préféré nous retrouver seules pour rattraper le temps perdu pendant les grandes vacances.

Elle m'avait manqué pendant ces deux mois, même si je le montre le moins possible. Nous sommes proches depuis mes premières années ici, depuis que je suis professeure tout court, donc. Elle était nouvelle en même temps que moi, alors forcément ça a facilité la création de liens.

Pour en revenir au sujet.

Nous venions de déjeuner de manière tout à fait normale, et parlions depuis à peu près vingt minutes quand Mallory a regardé sa montre et déclaré:

- Il faudrait peut-être qu'on y aille. Il est treize heures trente.

- Quoi? Tu veux te débarrasser de moi? Je retiens... ai-je dit sur le ton de la plaisanterie.

Mall a levé les yeux au ciel mais son petit sourire en coin l'a trahie. J'ai haussé les sourcils et commencé à faire semblant de bouder. Oui, j'ai bien trente-neuf ans. Et oui, je suis également mature.

J'ai rangé mes affaires rapidement et en silence et me suis dirigée vers la sortie. Seul problème? Mall se trouvait entre mon objectif et moi. Elle s'est levée rapidement et m'a attrapé le bras au moment où j'arrivais sur le seuil de la pièce.

- Cocotte. Je rigolais, hein.

Je me suis efforcée de garder une expression neutre pour ne pas trahir mon jeu, même si l'emploi de ce surnom ne rendait pas les choses faciles.

- Eh. Tu me fais pas la tête, quand même?

Elle s'était rapprochée de moi en disant cette dernière phrase, et j'ai fini par éclater de rire après quelques secondes.

- Je rigolais! Bien sûr que je ne te ferais jamais la tête!

Un air de soulagement est apparu sur son visage, et c'est seulement avec le silence qui s'était installé après mon éclat de rire que je me suis rendue compte d'à quel point nous étions proches.

Je suis restée immobile, les yeux ancrés dans ceux de mon amie, et le blanc s'est prolongé alors que ma respiration s'accélerait et la sienne aussi apparemment.

Il faut dire que la dizaine de centimètres qui séparait nos lèvr... têtes bien sûr, n'aidait pas beaucoup.

J'ai fini par rompre ce moment dans un sursaut vers la réalité.

- Je... Il... Il faut qu'on y aille.

Sans attendre sa réponse, j'ai continué ma route puisqu'elle avait enfin lâché mon bras, et suis partie sans me retourner. Mais ce départ précipité ne m'avait pas empêchée de voir de la déception dans ses yeux avant que je ne parte, sûrement liée au fait que je m'éloignais.

Mais pourquoi? ...

Voilà pourquoi elle m'a frôlée: pour obtenir une réaction. Eh bien elle l'a eue, puisqu'un frisson m'a discrètement parcouru la nuque.

J'ai essayé de faire comme si de rien n'était, mais le sourire qu'elle me lance du haut des escaliers après être revenue de l'ouverture de la deuxième porte me prouve qu'elle a bien vu ma réaction.

Je rougis violemment et décide d'aller m'asseoir à la place qui m'est réservée alors que les premiers jeunes entrent dans la pièce. Les autres professeurs principaux ne comprennent pas ce soudain écart, mais haussent les épaules et finissent par m'imiter.

L'amphithéâtre se remplit rapidement de jeunes lycéens, et quand tous sont installés mon regard tombe sur une fille isolée au dernier rang. Elle me rappelle... Non! Ne pas y penser!

Elle est rapidement rejointe par une autre adolescente et j'en déduis donc qu'elles sont amies, même si l'expression de surprise et de retenue sur le visage de la première m'apprend par la suite qu'elles ne se connaissent pas.

Je suis sortie de mes pensées par un horrible bruit de micro, et je grimace en me tournant vers la directrice qui est sur ma droite.

Elle commence son discours de début d'année, et je me déconnecte rapidement. Mon regard dérive sur l'assemblée devant moi, et finit par se poser sur la fille de tout à l'heure, au dernier rang. Elle semble perdue dans ses (sombres) pensées.

Elle regarde dans le vide, et son expression de visage, même si je ne vois pas bien car elle est quand même située loin de moi, reflète comme de la tristesse et de la déception en même temps.

Étrange.
Affaire à suivre.

On dirait une personne atteinte psychologiquement quand je pense comme ça, mais en réalité je suis juste quelqu'un qui essaye d'aider le plus possible les personne autour d'elle. Sûrement car il est plus facile d'éviter ses propres problèmes quand on agit de la sorte.

Je détourne mon regard de la fille car la proviseure arrive à la fin de son discours. Quand c'est fini, les nouveaux secondes applaudissent, et mon regard dérive encore une fois sur la fille alors que M. Colana, professeur principal de la seconde une, se fait présenter.

Elle me regarde déjà fixement. Nos regards se croisent et elle semble prendre peur de quelque chose, je ne sais pas quoi. J'ai vraiment une tête horrible à ce point?

Les élèves de la seconde une finissent par sortir avec Samy (Colana) et je ne peux qu'espérer que cette étrange fille sera dans ma classe. Ou au moins que je l'aurais comme élève.

J'ai eu la liste des noms de mes futurs secondes, mais je ne connais pas encore leurs visages. Donc autant dire que pour l'instant elle ne me sers à rien.

Pendant que Madame Galinga appelle les élèves de ma classe, je scrute la fille du fond en espérant une réaction de sa part à chaque nom féminin prononcée. Et enfin, vers la moitié de la liste, elle soupire mais acquiesce quand le nom " Larmine Coraline " est appelé et que son amie (enfin je suppose) lui fait un grand sourire.

Je souris intérieurement et sens un regard sur moi du fond de l'amphi. Je lève les yeux encore plus haut que le dernier rang et tombe sur Mall, debout derrière la rangée du fond, mais à l'opposé de là où s'est assise Coraline.

Elle penche la tête sur le côté comme pour me poser une question silencieuse. Comment a-t-elle su? J'ai pourtant fait attention à ne rien laisser transparaître. Il faut croire qu'elle me connaît trop bien.

J'ignore ce signe de tête et reporte mon attention sur le dernier rang et, en l'occurrence, sur Coraline.

Mais à un des noms appelés, ses yeux s'agrandissent, comme si elle éprouvait... De la terreur?

Elle tourne soudainement son regard dans toute la salle, comme si elle cherchait quelque chose, et finit par poser les yeux sur moi. Je fronce les sourcils et détourne les yeux. Elle ressemble beaucoup trop à une certaine personne...

Quand la directrice a fini avec ma classe, je me lève et les élèves appelés aussi, qui me suivent jusque dans leur nouvelle salle de classe.

***

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