36 • Coraline

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La vue est belle.

J'ai à peine fait quatre-cents mètres depuis le centre d'hébergement. J'avais besoin de m'isoler. Il est très tard, oui, je suis au courant, justement c'est pour cette raison que la cigarette a eu raison de ma résistance. Je pensais que tout le monde dormait, mais non, Mme. Fiorella a dû se mêler de ce qui ne la regarde absolument pas et m'empêcher de vivre ma vie tranquillement. De quel droit peut-elle me hurler dessus comme ça alors que c'est de sa faute si je suis ici?

Je n'ai rien laissé paraître lorsqu'elle a annoncé que je venais avec Mme. Diani et elle à Toulouse. Mais je savais que le voyage n'allait pas être une partie de plaisir. Alors, la nuit juste avant... J'ai fais le mur. Et un tas d'autres choses dont je ne suis pas fière, qui, de fil en aiguille, m'ont conduit les narines droit dans la poudre blanche. J'ai réussi à rentrer discrètement et à m'effondrer dans ma chambre à quatre heures, alors le réveil à cinq heures trente a été plutôt rude.

Cependant, mon brusque changement d'humeur n'est pas lié à ça. Enfin, je pense. Si c'était le cas, je ne m'en rendrais sûrement pas compte. Je dirais plutôt que cela est lié à une prise de conscience: celle que Mme. Fiorella me prend pour un autre. C'est évident. Elle avait compris que je fumais, je pense même qu'inconsciemment c'est pour cette raison qu'elle est entrée dans ma chambre tout à l'heure. Elle voulait me prendre sur le fait. Elle le voulait.

La musique dans mes oreilles se fait interrompre ainsi que ma contemplation de la Garonne par un bruit strident. Ma sonnerie de téléphone. Et à mon grand étonnement, ce n'est pas Mme. Fiorella, mais Mme. Diani. Je souffle un bon coup de colère et décroche.

- Quoi?

- Elle te cherche.

- Je sais.

- Je lui ai laissé une heure.

- Et?

- Elle va te trouver.

- Je sais aussi.

- Tu ne vas rien faire pour l'en empêcher?

- Je suppose que vous lui avez explicitement dit que si elle ne me trouvait pas je serais balancée aux services sociaux?

- Pas... De cette manière.

- Mais c'est le fond qui compte, n'est-ce pas? Pas la forme.

Elle soupire.

- Ne vas pas croire que je ne veux pas de toi.

- Vous en faites pas. Je le sais. Elle me prend pour quelqu'un d'autre. Vrai?

Nouveau soupir.

- Vrai.

- Elle a eu un enfant?

- Oui.

- Je... Suppose que vous n'allez rien me dire d'autre.

- Tu supposes très bien.

- Bon. Très bien. À tout à l'heure.

- À tout à l'heure.

Je raccroche et la musique reprend sa place dans mes oreilles.

Un enfant.

J'ai employé les mots "a eu" pour parler de son enfant sans y réfléchir. Elle l'a donc perdu.

Je jette un coup d'œil à l'heure. 23:52. Je dois être partie depuis quinze minutes. Bien. J'ai donc au moins trente minutes de calme. Ma tête se pose sur l'arbre derrière moi et je me laisse glisser au sol. Mes jambes pendent au bord du canal, mais le niveau de l'eau est assez bas. J'ai froid. Mon pull fin ne suffit pas face à décembre.

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