25 • Mallory

111 14 18
                                    

- AAAH! IL Y A UN CADAVRE DANS LES TOILETTES!

Le hurlement me sort le nez de mon travail. Je pense d'abord à une mauvaise blague, mais la terreur se percevait dans la voix de l'auteure de ce son. Je me lève donc en précipitation et traverse mon bureau et les quelques pas qui me séparent des toilettes des filles, puisque le cri vient bien de là. Sur le pas de la porte, une fille, dont je ne me souviens pas du nom. Je sais juste que c'est une seconde. Elle m'aperçoit.

- Mme. Diani, il y a... Il y a un corps devant les lavabos!

Sa voix tremblante et ses yeux emplis de larmes finissent de me convaincre que ce n'est pas une mauvaise blague. Je pousse donc la porte de la pièce, ayant quand même un peu peur de découvrir ce qu'il se passe derrière. Et écarquille les yeux de terreur.

Là, devant les lavabos, allongée sur le sol. Coraline. Baignant dans son sang, les veines tranchées. Une lame de rasoir dans sa main droite. Et dégoulinant du miroir, inscrites avec son sang, les lettres           B          Y          E          .

***

La veille, jeudi.

Ce premier jeudi du mois d'octobre est un jour à priori tout à fait banal. Sauf que Le Bon Pasteur a décidé d'y instaurer une "journée de l'élégance". En plus de ça, je dors chez Manelle, puisqu'elle n'y arrive pas seule. Et la voir ce matin en jupe et chemisier m'a... Mieux vaut ne pas décrire les pensées qui me traversaient la tête à ce moment. Et même encore maintenant, alors que je viens d'arriver dans mon bureau et qu'elle m'a quittée pour la salle des profs il y a quelques instants. Mais je me retiens. Je sais qu'elle n'est pas encore prête, même si elle essaye de me sous-entendre le contraire. Et contrairement à ce qu'elle doit sûrement penser, ça ne me dérange pas d'attendre. Le bon moment n'en sera que rendu meilleur. Il est hors de question qu'elle se force et que je sois la seule à prendre du plaisir.

La sonnerie me sort de mes pensées. Les cités d'or. La sonnerie de ce lycée est le générique des cités d'or. Je n'en peux plus, alors qu'elle n'est en place que depuis le début de la semaine. Et ça doit durer jusqu'à au moins début décembre.

Je commence à m'occuper de la pile de documents administratifs qui m'attendent bien sagement en tant que « début de rentrée ». La ponctualité des élèves à ce sujet me tuera un jour. Le mois d'octobre a commencé, quoi ! Et je dois encore traiter des papiers normalement à rendre depuis... Le 10 septembre pour celui du haut de la pile. Râlant intérieurement, je commence à me mettre au travail, puisque bien obligée de m'en occuper, même si c'est la partie que je déteste le plus dans mon job. Après une dizaine de minutes, une main toquant à la porte toujours ouverte de mon bureau me fait relever la tête. Hae-Sung. J'ai remarqué qu'il était proche de Coraline, ce qui à mes yeux est un exploit tant elle est difficile à cerner.

- Hae-Sung... En retard ? je questionne, connaissant déjà la réponse.

Mais à mon grand étonnement une voix féminine me répond. Celle de Coraline, qui se cachait derrière le coréen et qui se découvre en prononçant quelques mots :

- Il vaut mieux être en retard dans ce monde qu'en avance dans l'autre. Anonyme.

Le temps que je comprenne le sens de sa phrase, qui est en y réfléchissant assez profonde, Hae-Sung a repris :

- Et puis nous ne sommes pas en retard. Nous instaurons du suspense.

Son air malicieux m'empêche de m'énerver. Venant de ces deux-là, ce n'est pas de l'insolence, mais plutôt de la plaisanterie.

- Et je peux même ajouter, reprend Coraline, qu'Arriver chaque jour à son travail avec une heure de retard est un signe de ponctualité. Jacques Sternberg.

Je ne peux empêcher un sourire de prendre possession de mes lèvres.

- En attendant, ce n'est pas comme ça que vous allez éviter le retard ! Vos carnets jeunes gens ! je dis en riant.

Ils font la grimace, mais je vois bien qu'ils s'y attendaient et que le coup des citations était uniquement de la plaisanterie. Ils s'exécutent donc, déposent ce que je leur ai demandé sur mon bureau et tournent les talons pour se rendre en cours en chuchotant, sûrement de leur coup raté. C'est alors que je remarque leurs tenues. Hae-Sung est en costard. Simple. Mais Coraline... Une robe-pull noire associée à des collants et bottines à talons de la même couleur la rendent... Jolie. Le léger trait de liner que j'ai pu remarquer durant notre dialogue souligne le tout. Oui, elle est jolie. Et elle le cache au quotidien, se camouflant derrière des sweets extra-larges et jeans simples. Je me demande pourquoi. Mais bon, elle doit avoir ses raisons. Comme elle me l'a dit elle-même durant le voyage d'intégration, elle cache certains secrets. Je n'ai pas à être aussi intrusive dans sa vie privée.

Ravie de pouvoir faire autre chose que de la paperasse administrative, je me décide à m'occuper de leurs carnets. Lorsque j'ouvre celui de Coraline, mes yeux tombent sur un papier glissé dans le rabat du protège-cahier. Je ne devrais pas, je le sais. Mais avant que je ne puisse les détourner, mes yeux lisent la phrase inscrite dessus au crayon à papier mais d'une jolie écriture.

Secrets I have held in my heart,
Are harder to hide that I thought. Arctic Monkeys.

Je soupire. Elle a besoin et envie de parler, mais en même temps passe son temps à esquiver quand j'essaye d'engager le dialogue... Les seules choses que je sais d'elle sont ce qui est inscrit dans les documents administratifs et le peu qu'elle m'a dit ce jour où je lui ai tout lâché. C'est-à-dire peu de choses sinon qu'elle est à bout, mentalement et physiquement. Mais je n'ai pas les raisons. Et ce qui m'inquiète, c'est qu'en l'absence d'éléments pour juger de la gravité de la chose, je suis impuissante.

Le « protocole » m'oblige normalement à appeler ses parents lorsque de tels propos sont tenus. Sauf que d'après ce que j'ai pu en juger, sa mère ne semble pas très impliquée dans la vie de sa fille, puisque rien n'est signé dans son carnet. Ce qui m'étonne. Je ne vois pas comment elle a pu passer entre les mailles du filet en début d'année, lorsque je vérifie que tout est signé partout et pour tout le monde. Ce qui m'amène à vérifier ses absences. Deux jours en septembre, après le voyage d'intégration. Lorsque j'ai vérifié les carnets. Et elle est revenue de cette absence plâtrée, plâtre qu'elle a enlevé hier puisqu'elle l'avait bien la veille mais plus aujourd'hui. Mais alors la question se pose de savoir ce qu'il s'est passé. Manelle m'a confié qu'elle avait croisé Coraline à l'hôpital, et qu'elle n'avait pas démenti lorsque ma petite-amie avait insinué que ce n'était pas qu'une chute de cheval. Peut-être que je fais de la paranoïa, et je l'espère... Mais sa mère et le plâtre me semblent étrangement liés...

***

Le lendemain, pendant la première heure de cours. 9h03.

- AAAH! IL Y A UN CADAVRE DANS LES TOILETTES!

***

I Need Your HelpOù les histoires vivent. Découvrez maintenant