19 • Coraline

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Je ne sais pas ce qu'il m'a pris d'accepter de raconter mon histoire avec Marine à Madame Fiorella. Certes, elle est vraiment gentille. Mais est-ce que je lui fais réellement confiance? Tout cela est peut-être un peu prématuré.

Bon, c'est vrai, je lui fais confiance. Je ne dis pas que j'irais jusqu'à mettre ma vie entre ses mains, il ne faut pas exagérer, cependant jamais je n'aurais lâché la phrase que je lui ai dite si je n'en avais pas un minimum.

" Peut-être. Un jour, peut-être. "

Ces quelques mots sont sortis tout seuls, comme si je ressentais le besoin de me confier à quelqu'un. Il est vrai que je parle très peu, que Marine ne sait pas tout, et ma grand-mère paternelle non plus. J'intériorise tous les coups, qu'ils soient physiques ou moraux. C'est mal, oui. Ça va ressortir à un moment, oui. Et plutôt d'une mauvaise manière, un peu comme avec Loïs, oui. Mais il n'y a personne.

Si Marine savait, elle préviendrait les forces de l'ordre. Je serais déplacée en famille d'accueil. Et alors, adieu l'équitation, la boxe, et le lycée privé. Toutes ces choses qui me permettent de tenir. C'est hors de question.

Ma grand-mère paternelle... Ne peut pas faire grand-chose, étant en maison de retraite et "complètement folle" pour reprendre les mots de Loïs. Alzheimer n'est pas être fou, ou folle. C'est juste l'oubli.

La seule chose que Virginie n'oublie pas, c'est que je passe à la maison de retraite chaque dimanche soir.
Chaque dimanche soir, peu importe le temps qu'il fait, l'humeur de ma mère, si j'ai une jambe dans le plâtre...
Chaque dimanche soir elle se place dans le hall dès l'après-midi.
Chaque dimanche soir j'arrive à dix-neuf heures trente précises, après que les retraités aient mangé.
Et chaque dimanche soir, les employés de la maison râlent car ma grand-mère loupe le dîner, étant impossible à déplacer du hall.
Ce qui fait que chaque dimanche soir, elle mange après tout le monde, et que je me fais rabrouer gentiment par les employés. Mais pas trop, car je crois bien qu'ils se sont attachés à moi.

Je l'aime bien, ma grand-mère, mais elle oublierait si je lui racontais. Ça ne sert à rien.

Je n'ai donc personne à qui me confier, et moi, Coraline, éponge à sentiment, sens bien que je commence à avoir du mal à tout garder pour moi. J'ai beau dresser de nouvelles barrières à chaque nouvel événement, le contrôle de mes émotions est en train de filer entre mes doigts. Et la venue de Madame Fiorella dans ma vie n'arrange rien. En premier lieu parce qu'elle veut m'aider, et en deuxième, elle est gentille et ne me trahirais pas, je le sais.

Mon cerveau et mon cœur mènent donc un combat acharné entre celui qui dit que ça ne peut qu'empirer, que je serais déplacée, et celui qui souhaite que tout s'arrête.

Les deux hurlent à force égale, et il m'est impossible de trouver de quel côté penche la balance. Alors je ne fais rien, agis un peu entre les deux: je continue de dresser de nouveaux murs, tout en les faisant moins solides et en me rapprochant de Madame Fiorella. La victoire de l'un sur l'autre est proche, je le sens, mais je sais également que ça va envoyer balancer ma vie telle que je la connais et...

- CORALINE!

Je sursaute et me tourne vers mon professeur d'histoire-géographie. Je le déteste.

- Coraline, reprend-il d'un ton mielleux. Si le cours ne vous intéresse pas et que la vie du lycée à travers la fenêtre vous apporte plus de connaissance, vous êtes libre de partir.

Son vouvoiement est déstabilisant, mais il agit de la sorte avec tous les élèves. Il me fixe d'un air satisfait, un petit sourire en coin. C'est qu'il ne sait pas à qui il s'attaque. Sans un mot, je fourre dans mon sac mon cahier et ma trousse que je n'ai pas ouverts (avec un peu de mal à cause de mon plâtre mais je fais comme si de rien n'était).

J'ai toujours rêvé de faire ça, d'être ce personnage de roman qui défie les professeurs, un peu comme Bastien, le clown de la classe. Me voilà à leurs places. Mes pieds traversent la salle alors que Monsieur Qualoss me regarde d'un air ahuri et la porte qui claque derrière moi me fait soupirer de soulagement. J'ai réussi. J'ai réussi à enfin me démarquer et montrer mon réel caractère, sortant de la carapace que je m'étais forgée. J'en suis heureuse, parce que je sais que c'est un premier pas vers la décompression de mon cerveau, trop plein de toutes ces émotions que je n'exprime pas.

Je me dirige vers le bureau de Mme. Diani, un air satisfait sur le visage. Quand je tourne au coin de mur, une vingtaine de mètres plus loin, qui lui permet de me voir à travers les grandes vitres de sa pièce, je ravale mon sourire en coin et toque avant d'entrer, refermant soigneusement la porte derrière moi.

La surveillante lève les yeux sur moi et fronce les sourcils en soupirant.

- Ne me dis pas que le bruit de porte qui claque que je viens d'entendre provient de toi?

Un semblant de sourire amusé la trahit. Je pose mes fesses sur le siège en face d'elle et de son bureau.

- Et bien... Je ne dirais pas que les cours de Monsieur Qualoss sont inintéressants. Mais pour reprendre ses mots, " si le cours ne vous intéresse pas et que la vie du lycée à travers la fenêtre vous apporte plus de connaissance, vous êtes libre de partir. " Alors me voilà.

- T'es pas possible, toi...

Elle secoue la tête et cette fois-ci son petit sourire se transforme en grand, qui prend tout son visage. Mme. Diani finit par éclater de rire en répétant la phrase que je viens de lui reporter.

- Je ne devrais pas, mais disons que je n'aime pas non plus énormément Monsieur Qualoss.

Une ombre passe sur son visage de manière infime avant qu'il ne reprenne son masque souriant, mais c'était assez pour que je la remarque.

- Qu'a-t-il fait?

Son sourire tombe aussitôt et ses yeux s'assombrissent.

- Une chose impardonnable. Et il en est fier.

Je fronce les sourcils, car sa phrase laisse sous-entendre quelque chose de bien plus grave qu'une simple dispute entre collègues. Face à mon questionnement silencieux, elle reprend:

- Je ne te raconterais que si tu me dévoiles une part de ton histoire.

Elle m'a piégée. Elle le sait.

- Mon père est mort il y a trois ans dans des circonstances troubles que la police est encore en train d'essayer d'élucider. À vous.

Son visage se décompose. Mon air toujours impassible la mets mal à l'aise. Elle ne sait pas comment réagir.

- Je... Désolée d'avoir abordé le sujet.

- Contentez-vous de respecter votre part du marché.

Je fais un effort pour lui offrir un petit sourire encourageant, et elle se mords la lèvre avant de se lancer.

***

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