3 • Manelle

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Ma rentrée est cet après-midi. Je suis impatiente, comme chaque année depuis que je suis professeur de SPC au Bon Pasteur. Et encore plus ces cinq dernières années, puisque je suis devenue professeure principale de seconde.

J'adore regarder ces anciens troisièmes arriver, découvrir le lycée, grandir... Je crois qu'ils réussissent en partie à combler son manque.

Mauvais! Il faut que j'arrête d'y penser, parce qu'à chaque fois les larmes me montent aux yeux. Pourtant, tout cela date d'il y a trois ans. Mais je suppose qu'on ne guérit jamais totalement de ce genre de chose.

Encore une fois! Manelle, Manelle... Tu te fais du mal et tu le sais.

Je secoue la tête pour me sortir de ces sombres pensées, et quelques secondes après le bip de la théière m'indique que ma boisson est prête.

J'attrape une tasse dans laquelle je verse le liquide bouillonant, et vais m'asseoir sur un tabouret du bar en la tenant à la main.

La maison est calme, mon mari est parti hier matin et revient demain soir.

Je profite de ce silence matinal inhabituel et laisse les rayons timides du soleil levant me caresser le visage.

Le bar est séparé d'une grande baie vitrée par le salon, mais aucun meuble ne gêne la diffusion de la lumière. Elle tape donc directement sur la place où je suis assise.

J'avale mon thé aux agrumes brûlant par petites gorgées, et quand c'est fait je chipe un croissant dans la boîte que j'ai achetée hier. Qui se retrouve donc déjà vide. Mais je n'y peux rien, moi, si c'est hyper bon! Et puis c'était une petite boîte de cinq, normalement je les prends par dix.

Je regarde dépitée la boîte vide tout en grignotant la dernière viennoiserie. Une fois que c'est fait, je lave rapidement ma tasse et file à la douche.

J'y reste une bonne vingtaine de minutes, le temps que l'eau chaude détende mes muscles encore endoloris de dimanche matin.

Quand je suis à peu près arrivée à mon but et que je me suis lavée correctement, je coupe l'eau et me sèche en soupirant à la vue de mon corps. Je me dégoûte.

Je m'habille avec le tas d'habits que j'ai ramené de ma chambre et qui, pour être tout à fait honnête, est un peu pioché au pif.

Mais aujourd'hui j'ai de la chance, le hasard a fait que je suis tombée sur des trucs plutôt bien assortis entre eux: un jean noir et un haut manches longues bleu marine.

Je fais ce que j'ai à faire dans la salle de bain puis ressort. Même si ma rentrée en tant que professeure principale est à quatorze heures et qu'il est seulement huit heures vingt-cinq, il faut que je sois dans l'établissement avant l'heure donnée.

Pour officiellement recevoir les dernières informations. Mais officieusement, on se retrouve surtout entre collègues, même si la pré-rentrée était il n'y a pas si longtemps que ça.

Je redescends au rez-de-chaussée et enfile mes chaussures. Forcément ce sont des talons. Même si je déteste ces instruments de torture, je suis bien obligée de les porter. Comment paraître crédible quand, même avec ces choses, je suis plus petite que la majorité des élèves?

Disons que mon mètre cinquante-trois ne m'aide pas beaucoup.

Oui, je suis petite. Mais on ne choisit pas.

J'attrape mes clés de voiture sur le meuble de l'entrée, mon sac à main et mon sac d'affaires dont j'ai besoin pour travailler, avant de sortir de la maison et de déverrouiller ma voiture stationnée dans l'allée qui mène à la sortie du jardin.

J'ouvre la portière du mauvais côté pour déposer tout ce que j'ai dans les mains sur le siège passager, et fais le tour du véhicule pour enfin m'asseoir côté conducteur.

Je farfouille quelques instants dans mon sac à main pour tomber sur mon téléphone qui vient de vibrer. J'ai reçu un message de Mallory qui date de huit heures trente-trois, il y a seulement quelques secondes:

~ Bon, je sais pas ce que tu fais, mais faudrait que tu bouges tes jolies fesses parce qu'on est censés être dans l'amphi depuis la demie. ~

J'ouvre de grands yeux à la lecture de ce message, et ouvre un mail que la directrice nous avait envoyé il y a une semaine.

Et merde... Je croyais que c'était neuf heures trente, et que j'allais être en avance à neuf heures. Mais du coup non.

Je me tape le front avec ma main et répond rapidement un:

~ Je serais en retard... ~

À Mallory, la surveillante responsable du niveau seconde, puis jette mon téléphone dans mon sac avant de faire la route qui me sépare du Bon Pasteur le plus vite possible. Tout en respectant le code la route, bien sûr. Manquerait plus que j'ai un autre accident.

Quand j'arrive devant la porte de l'amphithéâtre, il est huit heures cinquante-cinq. Je fais une grimace mais ouvre la première porte et attend qu'elle se soit refermée avant de passer discrètement la deuxième.

Je rentre doucement, et heureusement la proviseure qui est en train de faire son discours ne me remarque pas.

À pas de loup, je prend place au dernier rang tout au bout de la rangée, et sourit quand je découvre l'identité de ma voisine.

C'est Mallory. Qui d'ailleurs lève les yeux au ciel quand elle me voit m'installer.

- C'est impossible que t'arrives un jour à l'heure, toi... me chuchote-t-elle.

Je fais la grimace et lui réponds sur le même ton:

- Qu'est-ce que j'ai raté?

- Le début du discours. Donc rien.

J'essaye de rester neutre pour ne pas me faire remarquer par la directrice, qui regarde dans notre direction sûrement à cause des chuchotements, mais un sourire me trahit.

J'entends Mallory à côté de moi réprimer un rire, et heureusement le regard de la proviseure glisse sur nous.

Fausse alerte: on a été discrètes, c'est juste qu'elle regarde les gens quand elle leur parle! Oui, on a vraiment l'impression d'être redevenues des lycéennes. Mais c'est toujours l'impression qu'on a avec Madame Galinga.

Je reste silencieuse le reste du discours, c'est-à-dire à peu près dix minutes, et ma voisine aussi. Quand c'est enfin fini, je me lève en même temps que les autres personnes présentes pour faire un rapide câlin à Mallory. Elle me regarde d'un air désespéré, mais y répond quand même.

Puis je vais à la suite des autres professeurs récupérer mon emploi du temps auprès de la directrice, alors que mon amie va dans une autre file pour avoir le sien avec les surveillants.

Dans la file d'attente, je me prends quelque gentilles remarque sur mon retard (qu'est-ce qui vous fait croire que je le suis souvent) et récupère enfin la précieuse feuille. Aussitôt ressortie du bâtiment, j'y jette un œil, et lève les yeux au ciel en voyant à quel point il est pourri.

8h30 - 17h tous les jours? Sauf le mercredi où c'est 8h30 - 12h30? Sérieux? Et en plus, certains midis, j'ai que trente minutes pour manger.

Je souffle et me fait interrompre dans mes réflexions par Mall (Mallory) qui regardait ma feuille par dessus mon épaule:

- De quoi tu te plains? Moi le jeudi c'est 7h45 - 18h30! Donc toi il est super ton emploi, si tu veux on échange!

Elle me dit ça sur le ton de la plaisanterie, et je ris avant qu'on ne se dirige vers un groupe d'autres professeurs et surveillants avec lesquels on s'entend bien.

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