Chapitre III (partie 3): l'envol des cigognes

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Adelheid

-    Entrez ma chère, entrez, vous êtes ici chez vous, dit monsieur Leward avec son air hautain habituel.

C'était la toute première fois que je la voyais.

Depuis deux jours que j'étais ici, je n'avais pas eu une seule seconde pour m'ennuyer. Cette maison était immense, glaciale, mais immense, et puis il y avait tant à préparer pour son arrivée. Aller chercher les produits, les vêtements, les livres dont elle aurait besoin. Nettoyer de fond en comble la pièce que Monsieur lui avait attribué. Et puis toutes les corvées qu'on me donnait au sous sol sous prétexte que j'étais « la nouvelle arrivée ».

Ce qui m'avait étonné en la voyant, c'est qu'elle fut si jolie, et ce malgré son œil borgne. Elle était très gracieuse, ses pas glissaient sur le carrelage de marbre sans ne faire aucun bruit. J'appréciais les tâches de rousseurs qui parsemaient son visage pâle, ses cheveux entre le brun et le roux, la profondeur de son iris émeraude. Son corps était fin, presque squelettique, friable. Pourtant, elle était d'une beauté peu commune, des dames comme ça, ce n'était pas tout les jours que l'on en voyait. Et c'était moi qui aurais l'honneur d'être sa femme de chambre. La fierté que je ressentais à cet instant était inégalable.

-    Voyez-vous ma chère nièce, cette maison de renom appartenait à mon père, votre grand père, rien à voir avec la petite maison de campagne où vous avez grandis.

Il s'avance de quelques pas mais la demoiselle reste figée.

-    Mais suivez moi, suivez moi je vais vous faire découvrir, vous aussi Adelheid !

Il poursuivit ;

-    Peut être n'avez-vous jamais eu de femme de chambre jusqu'à présent, mais comprenez que dans une maison telle que celle-ci, il faut savoir se montrer digne de son rang n'est ce pas ? Nous vous guiderons, aucune inquiétude quand à cela, mais venez que je vous présente à mon épouse.

Après avoir traversé l'immense hall d'entrée, orné de sculptures et de tapis, nous entrions dans le petit salon, qui n'avait d'ailleurs de petit que le nom. Il était pour ainsi dire, exactement comme le reste de la maison ; gigantesque, avec ses bibliothèques, ses tapis de fourrure, ses lourds rideaux accrochés aux longues fenêtres qui tombaient en cascade dessinant sur le sol les lumières de la ville, mais aussi avec ses sofa, ses canapés plein de coussins brodés de perles et de fil d'or. Tout ici était riche. Tout ici était luxe. La jeune fille portait au visage un air absent, comme si elle ne se rendait même pas compte de la splendeur du lieu dans lequel elle se tenait.

Madame Leward se leva et regarda sa nièce avec tendresse, à coté d'elle, monsieur Francis, son cousin le regard narquois, les yeux d'un bleu transperçant regardait la scène.

-    Vous connaissez évidemment mon fils Francis, votre cousin qui est venu, à de nombreuses reprise avec moi vous rendre visite, s'exclama monsieur Leward, en revanche, je doutes que vous vous rappeliez de votre tante Sophie, que vous avez vu pour la dernière fois à l'enterrement de mon défunt frère.

La maîtresse de maison avait vraiment tout d'une grande dame, une silhouette fine, un air distingué, une démarche noble et un magnifique visage tout en longueur. Rien qu'en la voyant, on devinait qu'elle appartenait à l'aristocratie.

Elle s'avança vers mademoiselle Ambre avant de saisir ses mains ;

-    Ma chère Ambre, les mots me manquent pour vous dire à quel point je suis ravie que vous soyez parmi nous désormais, comme vous ressemblez à votre mère, je n'en reviens pas.

Ses yeux parcoururent, le visage, puis le corps de son interlocutrice. Elle continua :

-    Ici, vous allez pouvoir devenir quelqu'un mon enfant, n'est ce pas merveilleux ? Mais ne parlons pas de tout ça pour l'instant, elle se tourna vers son mari comme pour s'appuyer sur lui, Adelheid pourrait vous amener à vos appartements ? Vous devez être épuisée après un si long voyage n'est ce pas ? Installez vous tranquillement et nous ferons plus ample connaissance au dîner.

Monsieur hocha la tête pour confirmer les propos de sa femme. Puis monsieur Francis s'avança, un sourire au bout des lèvres ;

-    J'attend ce dîner de pied ferme chère cousine, bienvenue chez nous !

*

Un fois arrivé dans la chambre, elle s'avança pour défaire ses valise que le valet de pied avait déposé sur son lit, avant que je ne m'exclame :

-    Attendez mademoiselle, ce n'est pas une tâche pour vous, laissez moi faire !

Je me précipitais pour aller l'aider quand elle dit :

-    Je peux bien le faire toute seule.

C'était la première fois depuis son arrivée que j'entendais le son de sa voix. Je marquais un arrêt, ne sachant que dire. Après quelques secondes je me repris ;

-    Monsieur serait en colère de savoir que je vous laisse m'aider dans mon travail !

Elle me fixa avec un petit air étonné. Puis elle ajouta ;

-    Que dois-je faire dans ce cas ?

La question me surpris. Il n'est pas habituel qu'on pose ce genre de questions à des petits gens comme moi. Elle n'était vraiment pas comme les autres, je commençais peu à peu à le comprendre.

-    Et bien... Hésitais-je, ce n'est pas à moi de répondre je suppose.

Elle s'éloigna de la valise, le corps las. Elle n'était pas pauvre, pourtant son corps était tout maigre. Elle se travaillais pas, pourtant ses yeux étaient si fatigués. Voyant qu'elle ne détournais pas le regard j'ajoutais :

-    Vous pourriez peut être me dire quelle robe vous voulez porter ce soir ?

Elle inclina légèrement la tête.

-    Tu t'appelles Adelheid n'est ce pas ? Parle moi de toi.

Pourquoi s'intéressait-elle à moi ? J'étais si perturbé que je me sentis rougir. Pour dire vrai, avant elle, personne ne s'était jamais intéressé à moi. Elle s'assit sur le rebord du lit, et tout en continuant à ranger, je contais mon histoire ;

-    Je m'appelle Adelheid, mais ça ne s'écrit pas A-D-E-L-A-Ï-D-E, ça s'écrit à la germanique. Si je le précise ce n'est pas pour faire mon interessante ! Ne vous méprenez pas mademoiselle, c'est parce que ma grand-mère était Allemande, enfin avant qu'elle n'épouse un soldat, mon grand père. Mes parents sont des paysans, et depuis que ma grand-mère est trop fatigué pour travailler, comme je suis l'ainée, j'ai commencé à chercher du travail un peu partout. Mais ça c'est surtout parce que j'ai 7 frères et sœurs et que maman est encore enceinte. Ce n'est pas la première fois que je suis femme de chambre vous savez ! Je suis passée par beaucoup de maisons avant celle-ci. Enfin vous voyez mademoiselle mon histoire n'est pas bien interessante.

Elle hocha la tête puis me tendis sa main en me souriant légèrement. « Enchantée », c'est ce qu'elle semblait dire. Mais sans un mot. Finalement, ma main, hésitante, lui répondis. Avais-je bien le droit de serrer la main d'une demoiselle ?

L'absenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant