Chapitre XIV (partie 1): Respirer

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Nathanaël

Cela faisait des moi que je n'y croyais plus. Cela faisait des mois que j'avais ordonné à mon cerveau de cesser de penser à elle. Seulement, mon cerveau n'aime pas recevoir d'ordres.

Son départ me fit du mal, son retour m'en fis encore plus.

Elle nous était apparu en fin d'après midi, sous le soleil couchant de cette dernière journée de beau temps, avançant vers nous sous les bruits des roues sur le gravier. La charrette avançait toujours lorsque je la vis par la fenêtre, bondir de son siège, courant, vers la maison comme elle l'avais toujours fait avec le sourire le plus lumineux que je n'avais jamais vu à ses lèvres.

Maman qui était en train de coudre sur la table du salon la vit à peine qu'elle se précipita dehors.

- Mon dieu Ambre ! Cria-t-elle alors que la jeune fille était encore loin, c'est bien toi Ambre ?

- Joséphine !! Répondit-elle, Nathanaël !!

Sa voix si fluide me surpris, je ne savais pas qu'elle savait la porter ainsi avec une telle aisance. Ses cheveux étaient à peine relevés, comme auparavant, pourtant sa posture avait quelque chose de changé, elle semblait plus droite, plus fine, plus distinguée. C'est une sensation étrange que de revoir quelqu'un que l'on croyait perdu. C'est inespéré, ça n'a pas de prix.

Les deux étaient désormais l'une à coté de l'autre, et toujours souriante, c'est Ambre qui pris ma mère dans ses bras, c'est ma mère qui restera l'étreinte. Quelque chose avait changé. Je sortis à mon tour, mollement, peu confiant. J'appréhendais de la revoir. Était elle revenue pour une nuit ? Ou pour toujours ? On s'habitue à certaine situations plus vite qu'on ne le crois. Et j'avais peur de ne plus savoir vivre correctement aux cotés d'Ambre leward.

- Nathanaël ! S'exclama ma mère en relâchant Ambre, quel rabat joie tu fais, viens donc accueillir Ambre plus chaleureusement !

Comme si l'on accueillait chaleureusement un glaçon, je l'aurais fait fondre. Et je n'avais aucune envie de me montrer chaud là ou elle s'était montrée si froide. Je restais au pied de la porte. Regardant cette retrouvaille inattendue. Ce soir là, on aurait vraiment pu croire qu'elles étaient mère et fille. Ça m'a rappelé à quel point avant, j'aurais détesté qu'Ambre se comporte ainsi avec maman.

Au loin, Thomas fit un signe à Ambre, qui s'éloigna de nous pour aller le remercier.

- Tu sais pourquoi elle est là ? Maugréais-je à ma mère.

- Regarde son visage, Nathanaël, répondit-elle, et tu comprendras.

Elle avait un ton grave, presque inquiet. Quand Ambre revint vers nous, elle s'approcha tout particulièrement de moi, me scrutant de haut en bas, tendrement. Nous étions face à face, et maman avait raison. En la regardant yeux dans les yeux, je compris. La masse noir, elle était revenue, et elle était en train de ronger son corps.

- Nathan... Ce que tu as changé... Murmura-t-elle.

J'étais sous le choc. Face à moi se tenait celle qui n'était pas ma sœur. Et en la regardant, juste une fois, je venais de comprendre que je devrais la perdre une deuxième fois. Mon cœur semblait ne plus vouloir fonctionner ; comment pouvait-elle encore tellement m'atteindre ? Comment après un an à m'éfforcer d'oublier son visage, je me retrouvais, en un seul regard, soumis à son destin, accroché à ses fatalités qui m'avaient toujours tellement épuisé.

Et, malgré tout, malgré tout ce que j'aurais aimé dire, faire, ou penser. Je ne voulais pas la perdre une deuxième fois, je ne pouvais pas la perdre une deuxième fois.

- Toi aussi, répondis-je sur le même ton, tu es encore plus belle qu'auparavant.

- Regarde toi Ambre, renchéris maman, l'allure que tu as ! Ne t'en fais pas, tu es toujours la bienvenue ici. Cette maison est ta maison. Ce domaine est le tien.

Jamais maman ne m'avait dit une telle chose, peut être parce que jamais je n'avais été si souffrant. Le première fois, déjà elle avait cajolé l'enfant, elle avait développé une peur incontrôlable de la perdre, de ne plus pouvoir la tenir dans ses bras. Et cette fois, les traits d'Ambre étaient plus tirés, ses cernes plus creusés, son teint plus pâle, son corps plus maigre. Il y avait quelque chose qui s'était éteint en elle. Alors pourquoi brillait-elle plus qu'elle n'avais jamais brillé ?

*

A table, Ambre parlait de bon cœur. Elle avait tellement changé, et pourtant restait toujours tellement sensiblement la même. Les phrases concises, peu explicites, la voix douce, posée.

- Francis devait rentrer ce soir, s'exclama Maman tout en débarrassant la table, c'est étrange qu'il ne soit toujours pas là, dites moi vous deux, vous devez avoir un tas des choses à vous dire, hm ? Si tu t'en sens capable, Ambre, la nuit est douce, vous décrirez aller à sa rencontrer.

La jeune fille hocha la tête, le visage drapé du même sourire depuis son arrivé. Un sourire véritable, véritablement triste. Alors nous partîmes, sur ce même sentier ou nous avions marchés côte à côte tant de fois durant notre enfance :

- Tu as vue un médecin au moins ? Lui demandai-je à peine sortis de la maison.

Elle hocha la tête avant de regarder les étoiles.

- Tu me connais mieux que quiconque, n'est ce pas ?

Je ne dis rien, laissant nos pas se dessiner dans la calme de la nuit, profitant de ses silences qui me manquaient tant.

- Il s'est passé quelque chose, continua-telle, quelque chose qui n'aurait jamais du arriver. J'ai été fiancé et je me suis lié, mais pas au même homme. J'ai découvert des liaisons que je ne connaissait pas, des mondes que je n'imaginais même pas. J'ai vu la cruauté, la tristesse, la haine, la jalousie, la compassion, l'amitié, l'amour. Tant de choses que je ne connaissait pas. J'ai appris, et j'ai oublié. Il n'y a rien que je puisse regretter. Je ne parle pas Nathanaël, je sais que cela te tracasse, je n'ai jamais su parler. Je chante des mots qui ne m'appartiennent pas. C'est tout.

- J'ai tenté de t'écrire, plusieurs fois. C'était difficile, et je n'ai jamais rien osé t'envoyer. Et maintenant, comme un idiot, je suis triste. Et je connais cette douleur, je l'ai déjà ressentis. Je t'aime, et je ne suis pas le seul. Je suis certain que d'autres t'ont aimé. Je voudrais tellement être ton frère, c'est aujourd'hui la chose que je désire la plus au monde. Il y a eu bien plus, il y a eu bien plus grand, et il y a toujours, crois moi, il n'y a qu'a me regarder pour le comprendre. Mais aujourd'hui il y a une chose que j'ai compris. C'est que cet amour que j'ai pour toi, est tellement grand parce que je te connais et parce que tu t'es toujours tenir devant moi. Cet amour est immense, parce que te regarder était une habitude que j'ai oublié de prendre. Appelle moi petit frère, Ambre, même si je suis le plus âgé, même si j'aurais du te protéger. Appelle moi petit frère, s'il te plait. Car aujourd'hui, tu m'as tant appris.

L'absenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant