Chapitre IX (partie 2): La lumière qui existe en chaques choses

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Henry

Mon cœur aurait dû s'arrêter de battre.

C'était la deuxième fois que je passais ces portes, la deuxième fois que j'entrais dans ce hall au milieu de tous ces visages faussement heureux d'être là. Lorsque je suis entré, j'ai croisé le regard de Madame Leward, elle m'aurait fusillé sur place s'il n'y avait pas eu tant de monde. J'étais loin d'être le bienvenu ici. Je voulais absolument la revoir, cela faisait des semaines que nous ne nous étions pas vus, et je n'avais cessé de penser à elle. Malgré ce que l'on pourrait en penser.

Au milieu du brouhaha qui régnait, Monsieur Leward prit la parole :

-    Mes amis, bonsoir ! Comme vous le savez, aujourd'hui est un jour particulier pour ma nièce, dernièrement arrivée parmi nous.

Aux bras de son cousin, elle descendit les lourdes marches. Le pas hésitant là ou je l'avais connu si léger par le passé. Quelque-chose semblait avoir changé, mais je me voyais incapable de discerner ce que c'était.

-    Je vous demanderais d'applaudir, Messieurs-Dames, ma nièce, qui célèbre ses 16 ans aujourd'hui, mais également son cousin, car aujourd'hui, nous célébrons leur fiançailles !

C'était comme une décharge électrique en plein cœur. Ambre Leward, la fille la plus visionnaire, la plus libre que je n'avais jamais rencontré, fiancée. Je n'y croyais pas, du moins je refusais d'y croire. Cette annonce m'accablait, pire me faisait souffrir. Pas parce que j'attendais quoi que ce soit d'Ambre, évidemment, je suis un gentleman, mais parce que l'idée d'un mariage arrangé me laissait de marbre, et l'idée qu'elle ait pu accepter un tel affront m'enrageait.

J'avais cru qu'elle était comme moi, incapable de se plier aux coutumes, incapable de se résoudre aux mœurs d'un temps révolu. Je me sentais trahi. Comme si je ne pouvais faire confiance à personne. Pourtant, en y réfléchissant, il n'y avait eu, ni promesse, ni relation de confiance. Que des instants passés hors du temps. Alors pourquoi mes yeux ne voyaient qu'un regard éteint ? Pourquoi mon cœur était-il incapable de croire en ses choix ?

Les gens applaudissaient, montraient un intérêt faux à cette liaison. Mon père aussi, il me regardait froidement, parce que je ne faisais pas comme les autres. Il rêvait que je sois comme les autres. Je sentis sa main se heurter avec une délicatesse inexistante contre mon épaule. Le coup résonnait en moi, et je savais pertinemment ce qu'il signifiait « applaudit Henry, ne nous fais pas honte ! ».

Pourtant, à travers la foule, je m'avançais, les yeux emplis d'un incompréhensible chagrin. Le bruit refaisait surface, brouillait mes pensées, encore. J'aurais voulu plonger ma tête sous l'eau jusqu'à ce que mes poumons se remplissent de liquide. Mais dehors il n'y avait que de la neige. Cette neige qui me donnait envie de vomir désormais.

Derrière moi, je cru entendre des bruits de talons, quelqu'un courrait, mais je ne pouvais pas me retourner. J'étais incapable de mettre des mots sur ce mélange de colère et de tristesse. Ce n'était pas de la jalousie, il était impossible que ce fut de la jalousie.

Je frayais mon chemin au milieu des corps monstrueux autour de moi, les poussant sans même m'excuser. Je devais sortir de cette maison. Je ne voulais plus jamais entrer ici. Je ne voulais plus jamais croiser le regard de son immonde cousin, je ne voulais plus jamais voir son horrible sourire, ses yeux d'incube, son rire démoniaque.

Autour de moi, les gens se moquaient, leurs visages étaient noirs, leurs yeux étaient rouges et leur voix répétaient en boucle la même phrase, en boucle la même phrase, en boucle la même phrase. Je n'étais pas fou, j'étais quelqu'un de droit, j'étais un gentleman. À cet instant, je suis sûr que le monde s'était assombri, je suis sûr que la terre s'était mise à trembler, je suis sûr que les gens avaient crié, que leurs pieds s'étaient pris dans des serpents. Rien ne m'avait jamais paru plus réel.

J'étais sur le palier, descendant les marches qui menaient à la rue quand sa main saisit la mienne. La lumière refit surface ; je respirais enfin.

-    Henry ! Hurlait-elle. Henry, que vous arrive-t-il ?

Mon cœur aurait dû s'arrêter de battre.

Les ténèbres n'étaient plus, le monde était redevenu froid, la nuit était redevenue nuit, la neige était redevenue blanche. Et elle avait prononcé mon nom. Elle m'avait cherché, elle m'avait vu à travers la foule. Et maintenant, sa main dans la mienne, elle me fixait. Mais ce n'était pas comme d'habitude. Quelque chose avait changé.

-    Ambre, ce que vous êtes belle, dis-je la voix fébrile.

Elle secoua la tête, comme pour nier ce que n'importe qui aurait remarqué.

-    Je croyais que nous étions proches. Qu'un lien unique nous reliait. J'avais comme l'impression que l'on se ressemblait vous et moi. Je me trompais ?

Jamais auparavant je n'avais tellement haï ses silences.

-    Répondez-moi, je vous en prie. J'ai tellement mal, j'ai tellement mal. Vous n'avez pas le droit, vous n'avez pas le droit de me regarder comme ça. Votre calme me fait souffrir, j'en veux toujours plus, j'en voudrais toujours plus. Je ne suis pas un gentleman aujourd'hui, désolé. Je ne suis personne à vrai dire.

Ses yeux avaient revêtu une bien triste expression, et ses doigts se ressaieraient contre les miens.

Je l'ai embrassé. Sans savoir pourquoi, j'ai passé ma main dans ses cheveux, comme pour resserrer l'étreinte. Son bras tomba le long de son corps. Je cru que mon cœur s'était envolé. Mes agissements ne montraient aucune volonté à écouter ma raison. Mais cette sensation, je ne l'ai jamais oublié. Ce que ses lèvres m'ont fait mal.

Lorsque je me suis éloigné d'elle, son être tout entier tremblait. Et sur ses joues creusées, des larmes coulaient à flot. Elle secoua à nouveau la tête, mais bien plus frénétiquement cette fois. J'avais l'impression d'avoir cassé une tasse déjà fissurée.

Comment pouvait-elle encore me regarder alors que de ses yeux coulaient d'anciennes blessures que je ne connaissais pas.

Et, alors qu'elle s'était éloignée, elle se rapprocha de moi pour placer se tête derrière mon épaule, de sorte que je ne puisse pas voir son visage. Ce nouveau contact me fit frémir ; je pouvais la sentir vulnérable tout contre moi, son corps osseux contre mon torse.

-    Je suis tellement désolée, Henry, si vous saviez...

Je ne pouvais rien dire, c'est comme si ses sanglots me figeaient. Jamais je n'aurais cru qu'elle soit capable de pleurer ainsi, et je ne comprenais pas. J'avais cette culpabilité dans la poitrine, et pourtant c'était comme si sa complainte était au dessus de moi, au dessus de ce que je pouvais contrôler.

Face à moi, je pouvais distinguer la lumière qui s'échappait par les fenêtres au sein de l'obscurité. Et face à tant de souffrance, je me trouvais impuissant. Incapable de lui rendre son étreinte, incapable de soigner les plaies dans son cœur.

De cette soirée il ne restait que son souffle, que son odeur, que ses sanglots dans la nuit calme.

L'absenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant