Chapitre IX (partie 4): La lumière qui existe en chaques choses

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Henry

Les jours suivants, elle ne m'adressa pas la parole. Enfin, elle ne m'adressait jamais la parole en règle générale, ce que je veux dire c'est qu'elle me fuyait, qu'elle évitait perpétuellement mon regard.

Dans la classe, les filles parlaient de ses yeux, trouvaient le choix de la couleur étrange, se questionnaient sur le pourquoi du comment a-t-elle pu perdre un œil par le passé. Avant, je ne m'étais jamais posé la question pour dire vrai, je la trouvais mystérieuse bien sûr, je voulais savoir qui elle était, mais mes questions n'avaient jamais été si techniques, si précises.

Un profond soupire s'extirpa d'entre mes lèvres, en tournant la tête, au travers de la vitre, je pouvais admirer ce paysage blanc. Cela faisait des semaines qu'il neigeait. Habituellement, j'adorais ce spectacle, et cette nuit-là je l'ai adoré, un temps, mais c'était avant qu'elle ne s'envole. J'ai du mal à me concentrer sur ce que disent les autres, surtout sur ce que raconte le vieux Delgry', dans mon esprit tout se mélange. L'importance de l'accord en genre et en nombre de l'adjectif, les règles acerbes de la dissertation, l'étymologie des mots... Je me sentais comme assommé par le nombre de termes barbares qu'il employait à la minute. J'aurais pu, comme à mon habitude faire l'école buissonnière, mais il faisait bien trop froid pour cela et je ne pouvais pas traîner éternellement chez monsieur Martin à lire Jules Vernes le visionnaire et Victor Hugo le rebelle. Peu importe à quel point j'avais envie d'être visionnaire ou rebelle.

-    Je vais distribuer les copies...

Cette phrase semblait à des millions de kilomètres de moi. Je ne réagissais pas, pas même lorsqu'il me distribua mon travail avec son air désespéré habituel. Non ce qui me fit sortir de mes rêveries ce fut ces mots :

-    Mademoiselle Leward... Et bien comment dire, me voilà bien confus, 21/100, vous me décevez beaucoup, ce que vous écrivez est confus, hors sujet, j'ai d'ailleurs comme la sensation que vous vous êtes servis des cours des années précédentes, je me trompe ?

Les chuchotements s'empresse , se bousculèrent autour de la jeune fille. « Tu crois qu'elle a triché ? », « Je me disais aussi, une fille aussi douée qu'elle c'était suspect », « C'est bien fait pour elle », « Ça lui apprendra à se montrer hautaine comme ça ! ».

Je pouvais voir le poing de ma voisine de devant se serrer, elle ne disait rien, comme toujours, mais sans même voir son visage, je pouvais ressentir sa rage.

-    Baissez les yeux Ambre ! Se mit à hurler le professeur provoquant la surprise générale, je ne supporterais pas un tel affront, alors maintenant expliquez-vous devant tout le monde ou sortez de cette salle !

Brusquement, elle ressembla ses affaires, écartant les mèches de cheveux qui lui tombaient sur le visage. Elle se leva dans le silence, puis se dirigea vers la sortie sous les rires étouffés de ma sœur Victoire. Et en un coup de vent, elle était sortie. Je pouvais lire le courroux qui émanait des yeux de Monsieur Delgrange.

Je savais qui avait induit Ambre en erreur ; la personne qui lui avait donné les cours de rattrapage le sourire aux lèvres. Mais je n'avais pas le temps de penser à ça, je devais la rattraper à tout prix pour que justice soit faite. Alors, sans même y réfléchir, je bondissais de ma chaise, me précipitant vers la sortie de la salle de classe, sans même prendre le soin de refermer la porte derrière, m'engouffrant en courant dans le large couloir. Mes pas martelaient le sol en sons secs et stridents, mais je n'avais pas le temps de m'arrêter pour penser à cela.

Je n'eu pas grand mal à la rattraper étant donné que je passais mon temps à courir et que mon pas était léger. Alors qu'elle marchait face à moi je lui saisis la main et je vis, quand elle bascula la tête vers moi, ses yeux emplis de véritables larmes.

Égoïstement, je n'avais jamais voulu croire qu'elle aurait pu avoir des émotions. Je l'avais vu triste, désorientée, j'avais voulu percer son secret, comprendre son absence. Mais les larmes avaient un goût bien plus amer, les larmes -bien qu'elles n'aient jamais coulées- représentaient infiniment plus.

Mes membres se décomposèrent. Je n'avais plus assez de force dans le bras pour accomplir une tache aussi simple que de tenir le sien. Nos regards nageaient l'un dans l'autre.

Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés là à nous regarder, peut être bien des heures, cela aurait pu n'être que des secondes. Les sentiments sont des entités si complexes. Et ce que l'on peut faire quand notre âme est enneigée semble complètement fou, démesuré, grotesque. Mais ce que l'on fait quand notre âme est enneigée raisonne de justesse, de compassion, d'amour.

-    Tu sais que ce n'est pas de ta faute, n'est-ce pas, tu sais qu'elle doit être punie pour cela ?

Elle acquiesça, esquissant un léger sourire, vide de toute haine.

-    Viens, Ambre, viens nous allons lui dire à ce vieillard, elle va payer pour ce qu'elle a fait, et pour tout ce qu'elle fait de mauvais depuis sa naissance d'ailleurs.

-    Non, c'est inutile, c'est elle la plus malheureuse tu sais.

La bienveillance incarnée. Je détestais ma sœur, évidemment, mais à cet instant, ce n'était que secondaire. Pour la première fois de ma vie, le monde ne tournait plus démesurément vite autour de moi, mes mains avaient une forme de main, et mes pensées étaient organisées, respectaient la priorité à droite.

J'espérais au plus profond de mon cœur, être le seul, l'unique à qui elle avait montré cet aspect d'elle-même, cet autre visage complémentaire, qui lui allait si bien.

-    Allons nous-en alors, murmurais-je, partons d'ici, fuyons cette école de rustres juste pour aujourd'hui, ne tolérons pas les affronts dont les autres font preuve, ignorons-les.

Elle hocha la tête. Et déjà, nous partions. Traversions la ville sans réel but, j'avais la sensation que nous nous comprenions à demi-mots là où les mots ne suffisaient pas.

Les mots n'étaient pas à la hauteur d'un esprit tel que celui d'Ambre Leward.

L'absenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant