Chapitre V (partie 1): Les lois de la physique

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Henry

Pris au piège sur un siège tiré par deux beaux chevaux, je regardais la ville de nuit. Le calme absolu. J'étais serré dans ma tenue du soir ; un véritable filet recouvrant mon corps là où j'aurais pu être libre.

Depuis son arrivée à st Joseph, Ambre se faisait peu entendre ; son silence était remarquable. Elle avait un an d'avance sur nous, faute de son excellence aux examens, mais rien ne pouvait le faire sentir. Elle me faisait parfois penser à un automate savant, parfaitement ficelé. Mais nous n'étions pas dans un roman de Jules Vernes. Les filles de la classe ne pouvaient s'empêcher de la jalouser, ma sœur la première. Les critiques allaient bon train et n'étaient absolument pas fondées. Les garçons la méprisaient, fous de rage qu'une fille puisse les surpasser en arithmétique ou en lettres. Quant à moi, elle me fascinait, je ressentais comme une attraction autour d'elle, rien à voir avec Newton, ce n'était pas physique. Elle m'apparaissait comme le fruit empoisonné, comme si elle cachait quelque chose d'immense, quelque chose qui ne se révèle qu'au contact.

Je ne suis pas une brute comme le monde s'amuse à penser. Je n'allais certainement pas risquer de déclencher son courroux en me montrant sous mon meilleur jour -dans mes souliers de parfait gentleman je veux dire-, elle n'est pas du genre à apprécier les galants.

La lente berceuse des roues raisonnant sur les pavés me donnait mal au crâne. Et je désespérais déjà à l'évocation de ce qui m'attendait.

Victoire était ravie. Elle allait pouvoir entrer dans l'intimité de celle qu'elle considérait probablement déjà comme sa pire ennemie. Et j'étais d'autant plus inquiet ; ma sœur était rancunière et impitoyable.

Avec ses cheveux blonds dressés sur sa tête en cage à poule, elle possédait tous les éléments de la parfaite pimbêche. Son visage au sourire narquois me donnait la nausée, ses yeux en amande, toujours prêts à saisir la moindre opportunité de détruire quelqu'un me répugnaient, ses fossettes de parfaite sadique me donnaient des haut le cœur. Ce n'était pas étonnant d'ailleurs que nos faces abjectes soient semblables ; le dégoût que nous éprouvions l'un envers l'autre n'en était que plus grand.

Mes parents en face de nous étaient inexpressifs. Pourtant à l'intérieur je savais qu'ils étaient terrifiés à l'idée que je puisse, une fois de plus leur faire honte. Mais j'étais le fils héritier dont on se sert d'apparat, comme un zèbre dans un zoo, on me montrait, me convoitait. Seulement personne ne m'approchait jamais derrière mes barreaux de fer.

« Tu nous feras bien l'honneur de ne frapper personne ce soir Henry ; on sait tous comment tu es quand tu abuses de la boisson et que tu es contrarié »

Je ne suis pas le fils dont ils avaient rêvé. Je n'étais qu'un petit rebelle anarchiste et effronté de surcroît. Seulement anarchiste d'après moi ; mes pensées étaient troubles.

Une fois arrivé ; je sentais déjà cette atmosphère moite. Les regards en coin de tous ces courtisans avides de ragots et de commérages me mettaient toujours profondément mal à l'aise.

La maison était d'une splendeur qui frôlait l'impertinence, ce qui ne m'étonna point d'ailleurs ; les Leward comptaient parmi les plus riches familles du coin. Ils avaient disposé, pour cette occasion toutes les œuvres d'artistes reconnus qu'ils possédaient. De l'art raffiné ; des sculptures de marbres aux détails fins, des tableaux romantiques, baroques, parfois même réalistes, mais certainement pas d'impressionnistes. Quelle entache cela aurait fait à leur réputation ! Et puis les grands escaliers en bois de chêne pur sculptés, ornés de tapis rocambolesques. Cette demeure était la définition même du « m'as-tu vu » ; aucune émotion positive n'en émanait.

L'absenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant