Chapitre VIII (partie 3): Le soleil brille trop fort

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Adelheid

Lorsque je me suis réveillée, le soleil me brula les yeux, on se serait cru en plein été, en plein été au mois de Février. Dans deux jours, Mademoiselle Ambre aurait seize ans, et il restait encore un million de chose à préparer pour l'occasion, à commencer par lui faire essayer la robe de bal qu'elle avait choisi spécialement pour l'occasion.

Une fois habillée, je descendais le long escalier décrépi qui menait des mansardes aux cuisines, en prenant grand soin de ne faire aucun bruit. Ma journée, comme toujours était parfaitement rodée, j'aidais à la préparation du petit déjeuné, veillais à dresser la table, allumais la cheminée, puis quand elle se réveillait, j'allais aider Mademoiselle Ambre à s'habiller et enfin j'aidais au service du petit déjeuné.

Comme toujours, ils se trouvaient tous autour de cette table, sans n'échanger aucun mot, avec comme seule musique que le bruit des couverts en argent heurtant ça et là les assiettes de porcelaine. Seulement, ce jour là, monsieur Francis prit la parole :

-    Dites moi Ambre, c'est bien aujourd'hui que vous essayez la robe de vos seize ans ? C'est un âge important dans la vie d'une jeune fille, hm ?

-    D'autant plus que la robe choisie coûte une fortune, ajouta Madame Leward, j'ose espérer que la soirée sera une réussite, et que vous ne nous ferez pas honte ma chère.

Mademoiselle Ambre hocha la tête, sans vraiment porter attention aux mots de ses interlocuteurs avant de trifouiller nerveusement dans son assiette à l'aide de sa fourchette.

-    Viendrez-vous me voir dans le petit salon une fois la robe enfilée ? Continua son cousin le sourire aux lèvres, il me tarde de voir cette splendeur sur vous...

Elle redressa des yeux, pour lui jeter un regard noir avant d'acquiescer à nouveau.

-    Au fait Francis, s'exclama Monsieur Leward, votre mère et moi avons une course à faire, nous reviendrons dans l'après midi, en l'absence de mademoiselle Sybille, je vous prierais de surveiller votre cousine... On ne sait jamais ce que cette enfant pourrait inventer pour nous mettre dans l'embarras...

-    Ne vous en faites pas Papa, je me dois de faire attention à ma future épouse, répondit-il en riant.

C'était étrange, cette façon qu'ils avaient devant Mademoiselle Ambre de faire comme si elle n'était pas là. Cela me pinçait le cœur pour elle, parce qu'enfermée dans son silence, elle ne pouvait pas lutter contre leur indécence.

Une fois le petit déjeuné terminé, nous montâmes dans ses appartements. La robe était là, étendue sur son lit, somptueuse. Verte, comme l'espoir, faite de satin, ornée de dentelles et de perles.

Elle se déshabilla, sans gène, comme à chaque fois, ôtant sa jupe, puis sa blouse, dévoilant, sa peau lisse, blanche, ses omoplates proéminentes, sa colonne vertébrale marquée sur le haut de son dos. Elle aurait pu ne jamais porter de corset tant elle était fine, cela l'épaississait plus qu'autre chose en réalité.

Je saisis la robe, passai derrière elle, dégageai ses longs cheveux de ses épaules. Elle leva un pied puis l'autre, dans une effroyable délicatesse et enfin je remontai l'épais tissus scintillant, saisissant son bras fin pour l'aider à passer une manche puis l'autre. Enfin, je lassai le dos, pour que ses sous-vêtements ne soient plus qu'imaginaires.

Elle alla ensuite s'assoir en face de sa coiffeuse, pour se poudrer légèrement le visage, se coiffa, sans même demander mon aide, tressant ses cheveux à la perfection, insérant des rubans de soie fine. Quand elle eut fini, elle se retourna vers moi puis esquissa un sourire délicat. Elle semblait dire « tu as vu comme je suis jolie ? », mais elle se taisait, comme toujours.

Un frisson me traversa le corps, elle était splendide. Ambre Leward était de loin la plus belle personne que je n'avais jamais vue.

Et, sans faire d'aguet, elle se rendit dans le petit salon. Avant qu'elle ne saisisse la poignée, je lui pris le bras dans un geste involontaire, elle me fixa, interloquée, et sans vraiment comprendre pourquoi, je lui rendis son chaleureux sourire de tout à l'heure.

J'aurais dû lui souhaiter bon courage, mais je ne l'ai pas fait. Au lieu de cela, je lui ai lâché la main et elle s'est engouffrée dans la pièce baignée de lumières orangés.

Au loin, j'entends encore la voix de monsieur Francis derrière la porte :

-    Chère cousine... Vous êtes délicieuse...

Au fur et à mesure que je m'éloignais, des vagues de sueurs froides prenaient possession de mon être. Ces mots raisonnent encore en moi :

-    M'accorderiez vous cette danse ?

La musique qui s'échappait de la pièce s'envolait dans toute la demeure.

Ils ont dansé pendant des heures. Il l'a emportée dans cette valse obstinée, sans même tenir compte du fait qu'elle ne le voulait pas. De toute façon personne ne prenait jamais compte de ses désires.

Elle aurait pu crier, elle aurait pu pleurer, mais elle n'en fit rien.

J'aurais pu ouvrir la porte, j'aurais même pu la retenir d'entrer dans cette pièce dès le début, mais je n'en fis rien.

Je demeurais, seule dans le couloir, figée. Transpercée par cette musique accablante, incapable de faire quoi que ce soit. Prise au piège par le temps, coincée dans ces heures éternelles.

Je ne sais pas exactement quand elle est sortie. Il faisait peut-être nuit, peut être Monsieur et Madame Leward étaient-ils rentrés. Seul ce sentiment de culpabilité persistait quand je vis enfin passer la porte son corps tremblant, ses cheveux en désordre. Son visage était rosi, son regard était plus vide qu'il ne l'avait jamais été.

Elle vacillait comme la flamme d'une bougie, sursautant au moindre bruit, coupant sa respiration au moindre geste. Il n'y avait plus aucune fierté dans ses yeux.

Une fois dans sa chambre, elle ôta sa robe sans même que je ne puisse l'approcher. Quand elle finit par se rendre compte de ma présence, elle était presque nue.

Quand mon regard croisa le sien, elle fondit en larme.

Je n'avais jamais vu ça. Ses mains semblaient incapables de contenir les flots qui s'échappaient par vagues de ses yeux bouffis par l'émotion.

-    Adelheid, je ne peux pas porter cette robe ! Cria-t-elle en une complainte aiguë. Adelheid, elle ne me va pas, elle ne m'ira jamais, il faut l'échange Adelheid, Adelheid...

Je m'approchais d'elle, prudemment. Et quand nous ne furent plus qu'a quelques centimètres l'une de l'autre, elle se jeta dans mes bras, plus tremblante qu'elle ne l'avait jamais été, animée par les sanglots.

-    Je l'ai sali, elle n'est plus propre, comment vas-t-on faire ? Je ne peux plus la mettre... Je ne peux plus la mettre... Elle a coûté si cher, mais je ne peux plus la mettre...

L'expression de sa douleur était si soudaine. Je n'étais pas prête, je n'étais absolument pas prête. J'étais incapable de dire quoi que ce soit. J'aurais aimé la consoler, frotter son dos, lui dire que tout irait bien. Mais le moindre mot l'aurait glacé, la moindre caresse aurait fait cesser les battements de son cœur, et je savais pertinemment que rien n'irait plus jamais bien, que rien ne serait jamais plus comme avant.

Je ne pouvais qu'écouter sa complainte, ni plus, ni moins.

L'absenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant