Chapitre IX (partie 1): La lumière qui existe en chaques choses

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Adelheid

Jamais je n'aurais cru qu'après les évènements il aurait été possible qu'elle repeigne son visage à l'expression sobre. C'était comme si elle avait tout oublié.

Même si rien n'était oublié. Parfois, alors qu'elle marchait dans les couloirs, la simple vue de son cousin la faisait trembler. À table, son regard se montrait fuyant lorsqu'il croisait celui de son cousin. Mais aussi et surtout, elle n'avait pas avalé une miette depuis.

Elle était très faible la plupart du temps, à tel point que par moment même Monsieur Leward semblait inquiet. Mais leur inquiétude n'était pas morale, leur inquiétude était matérielle, leur inquiétude était sociale. Le jour suivant devait être célébré son anniversaire, et il ne fallait à aucun prix que la jeune fille soit malade pour l'occasion – entendez l'occasion de montrer de montrer au plus grand monde à quel point ils ont la main mise sur leur nièce.

Dans l'après-midi, alors que la neige s'était remise à tomber après des semaines, Mademoiselle Ambre me demanda de l'accompagner dans le petit salon voire son cousin. Je fus surprise, incapable de comprendre les raisons qui l'avaient poussée à agir ainsi.

Seulement, lorsqu'il fut en face d'elle, un sourire ingrat dessiné au bout des lèvres, le regard perçant, elle s'exprima la première, sans frémir malgré la peur qui l'animait :

-    Cher cousin, je vais être brève. Il y a peu vous m'avez demandé ma main, si j'ai décliné dans un premier temps, aujourd'hui mon opinion a changé, et malgré toute la réticence que j'éprouve à l'égard du mariage, je consens à vous épouser.

Les battements de mon cœur cessèrent leur course effrontée. Quand Monsieur Francis se mit à rire, ma poitrine devint une boule de rage, jamais auparavant je ne fus tant en colère et, sans même y réfléchir je criais :

-    Mademoiselle ?! Vous n'y pensez pas !

Quand elle se retourna, je vis ses yeux brillants, emplis de larmes, mais elle souriait, un sourire triste, comme si elle avait voulu me rassurer. Mais je ne serai jamais rassurée. Pas dans ces conditions. Le jeune homme me fusilla du regard, mais mes yeux étaient trop emplis de courroux pour y prêter attention.

-    N'y portez pas attention Francis s'il vous plait, continua-t-elle en tournant les talons, vous pouvez l'annoncer à vos parents, ils seront ravis.

Ses mots étaient secs, tranchants. Je ne les supportais pas. Je savais tout ce qu'elle sacrifiait en acceptant cette union, et je savais aussi toute la douleur que cela devait créer en elle. Mais mon crâne surchauffait, peu importe où je cherchais, j'étais incapable de comprendre sa décision.

Alors qu'elle s'apprêtait à partir, Monsieur Francis se releva du canapé puis lui saisit l'avant-bras, avant de poser un genou à terre. Il déposa un baisé sur la main gantée de sa cousine dont le corps se raidit avant qu'elle ne brise brusquement le contact.

-    Décidément, finit par dire l'intéressé en se relevant, ce n'est pas demain la veille que vous serez docile.

Sous mes yeux ébahis, il chuchota à l'oreille de Mademoiselle Ambre des mots qui ne n'entendirent pas. Les sourcils froncés, le pas allant, elle s'éloigna de ce grossier personnage, qui conservait malgré tout son sourire narquois.

Je me voyais obligée de la suivre, malgré mon envie de frapper de toutes mes forces Monsieur Francis, et malgré mon envie de lui hurler au visage tout ce que j'avais toujours pensé. Avant, j'aurais été terrifiée, mais aujourd'hui, je n'ai plus peur.

Un fois la porte fermée, elle afficha un regard terne, presque sans vie. La mort dans l'âme elle esquissa ces quelques mots :

-    Adelheid, va-t'en, je ne sortirai de ma chambre que lorsque ce sera impérativement nécessaire.

Ses traits pâles s'éloignaient face à mes yeux sans que je ne puisse rien dire. J'aurais voulu la gifler, lui dire de se réveiller, qu'elle faisait n'importe quoi. Mais évidemment, je n'étais qu'une domestique, et je devais rester à ma place.

*

-    Comment ?!! Hurla Matthieu, Mademoiselle Ambre a accepté les avances de son cousin ?!

Il positionna sa main devant sa bouche, comme s'il fut lui-même surpris de par sa réaction. Puis il posa sa main sur mon dos pour me diriger vers la sortie de la pièce. Une fois dehors, il reprit en allumant une cigarette :

-    Tu en veux une ? Me dit-il en me montrant le paquet.

Je hochais la tête, puis il reprit :

-    Tu sais ce qui l'as poussée à agir comme ça n'est-ce pas ?

-    Oui, dis-je en inspirant le tabac.

Je toussai, c'était la première fois que je fumais. La sensation était désagréable, altérait mes sens. Mais cette sensation me semblait toujours moins désagréable que l'ignominie que me rongeait à cet instant.

-    Tu peux me le dire ? Continua-t-il sans même porter attention à ma toux.

-    Non, kof, kof, je ne peux rien dire.

-    C'est grave ?

-    Oui.

-    Mais tu ne peux pas en parler ?

-    Non.

-    Pourquoi ?

-    Je ne peux pas.

Cette discussion me semblait stérile, vaine. Je ne comprenais pas où il voulait en venir.

-    Et elle ne veut plus sortir de sa chambre...

Je lui lançais un regard de dépit. Il ne faisait que répéter ce que je venais de lui dire. Comme pour répéter la leçon. Finalement, il dit :

-    Cela fait un moment qu'il a demandé la gamine en mariage. Je suis majordome, ce ne sont pas mes affaires. Mais, je me dis que quelque chose a bien pu se passer pour qu'elle change ainsi d'avis. Tu ne crois pas ? Et toi tu sais cette chose, seulement tu ne peux pas m'en parler.

Je hochais la tête, la gorge nouée. Sans que je ne sache pourquoi, deux larmes bouillantes coulèrent le long de mes joues. Mon corps se laissa glisser le long du mur de pierres gelées, et cela me brulait le dos. J'aurais dû en parler, mais pour quoi faire ? Moi je n'étais qu'une domestique que personne ne croirait dans cette histoire. J'avais été là, j'avais tout entendu, ou rien du tout. Je ne me souvenais de rien et de tellement à la fois.

En face de moi, Matthieu s'accroupit, plongea ses yeux bleus dans les miens, puis dit ces mots que je ne compris pas :

-    Tu l'aimes, n'est-ce pas ?

L'absenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant