Chapitre VIII (partie 2): Le soleil brille trop fort

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Victoire

Au début, j'étais ravie qu'une nouvelle élève intègre notre classe. A St Joseph les visages féminins se dissipaient au fil des années et l'on se sentait rapidement seules, retranchées entre nous.

Avant, c'était moi, la plus fortunée, c'était moi qui éclatais dans ma splendeur. Alors, quand mon père m'a dit qu'il s'agissait de l'héritière des textiles Leward déjà, j'eu un pincement au cœur. Mais j'avais encore espoir, ce n'est que lorsque j'ai croisé son regard que j'ai réellement compris à quel point je ne pourrais jamais l'apprécier, à quel point je la détesterais toujours. C'est pour ce que l'on appelle plus communément la haine, ou de la jalousie. J'en avais bien conscience. Mais la conscience est inutile là où les ressentiments sont trop forts.

Comme chaque matin, je croisais le regard dur de mon père qui semblait dire « je compte sur toi ». Pour l'honneur de la famille que je semblais porter sur les épaules depuis que le monde s'était rendu compte de la folie de mon frère. Je l'enviais la plupart du temps, lui n'avait jamais besoin d'être parfait pour espérer avoir de l'attention ; les autres le voyait partout où il passait. Si je ne faisais pas tellement attention, je n'aurais jamais eu cette même chance. Plus tard avec un peu de chance, j'épouserai un bon parti, sinon, au vu du déclin de ma famille, je me verrais obligée d'entamer des études, au plus grand désarroi de mes parents.

Dans la voiture qui nous menait à l'école, nous ne nous regardions jamais, en fait je crois bien que nous ne nous étions jamais regardés franchement. Il ne mérite pas mon attention. Je ne suis pas comme tous ces gens qui le regardent de haut, plaignant notre famille d'avoir fait naître une telle créature en son sein. Il montait toujours avec moi vers l'école, mais il n'y entrait que rarement -bien que sa présence se fasse plus fréquente depuis la venue de cette pimbêche qui l'avait sensiblement ensorcelé.

Une fois en classe, une fois ce perturbateur loin de moi, je vis Ambre assise, seule a son bureau. Elle avait su se faire discrète depuis l'incident de la dernière fois, elle ne semblait même pas s'en préoccuper, mais étrangement, cela ne me plaisait pas, cela ne me suffisait pas. J'avais cette envie, pleine de perversion, je voulais la faire s'engager, sortir de ses gonds et tout cela sans ne faire aucune entache à ma réputation que j'avais pris grand soin de bâtir.

- Ambre ! Dis-je amicalement en m'avançant vers elle.

Elle me jeta un regard qui me fis froid dans le dos, elle avait pour ainsi dire l'art et la manière de m'effrayer, surtout depuis qu'elle avait ôté son bandeau.

- Comment allez vous ma chère ? Continuais-je, c'est bientôt votre anniversaire n'est-ce pas ?

Je pris une chaise pour m'assoir en face d'elle afin d'avoir une discussion qui lui paraîtrait d'égal à égal.

- Bon sang ce que vous êtes maigre, vous suivez un régime ? Si c'est dans le but de plaire à mon frère sachez qu'il les aime bien en chair. Quel dommage que vos efforts puissent si facilement tomber à l'eau...

Au fur et à mesure que je lui parlais, le volume de ma voix s'essoufflait, et bientôt ce n'était plus que des chuchotements mesquins qui sortaient de ma bouche. J'adorais me sentir tellement puissante.

- Et bien quoi ? Attention, susurrais-je, vous ne devriez pas froncer ainsi les sourcils, ça ne vous va pas du tout, en plus il parait que cela favorise l'apparition de rides... Remarquez après tout, des rides ça ne vous irait pas si mal... Les vieilles filles sont souvent ridées...

Son poing se serra mais comme à son habitude elle ne dit rien. Je l'observais, moi aussi, tentant tant bien que mal de conserver mon sourire pour ne pas attirer l'attention autour de nous.

Comment une fille, sortie de nulle part, sans gênes ni manières pouvait ainsi se tenir là, en face de moi dans cet établissement de prestige. Comment pouvait elle prétendre s'immiscer parmi nous ainsi. Je ne comprenais pas pourquoi les Leward l'avait faite revenir. Ou pourquoi ils ne l'avaient tout simplement pas accueillie dès la mort de ses parents. Mon père s'était contenté de me dire que ce n'était pas des histoires qu'il convenait que les jeunes filles entendent. Que ce qui était passé appartenait au passé, qu'il fallait voir devant et que nous n'avions pas à nous mêler des choix de vie des Leward.

Derrière moi deux des mes amies firent irruption.

- Victoire tu parles à une tricheuse comme elle ? C'est mauvais pour ta réputation, commença la première.

- De toute façon, on peut dire ce que l'on veut devant elle, elle ne répond jamais, continua la seconde, alors dit lui franchement ce que tu penses.

Je savais pertinemment qu'elles faisaient ça pour l'intimider, à vrai dire si je n'avais pas commencé à agir de la sorte dès son arrivée, elles ne m'auraient jamais suivi. Mais j'avoue que cela me donnait le fier avantage du nombre sur elle.

- Oh Ambre, finis-je pas ajouter, je voulais vous dire, ici, nous n'avons jamais tellement apprécié qu'une fermière puisse oser faire la fière pour de bonnes notes, alors comprend qu'avec ces histoires de tricherie, plus que jamais, votre place n'est pas ici vous comprenez ? Enfin, ça crée des tensions entre nous et tu vois, tout aurait été tellement plus facile si vous n'aviez pas existé...

Ça y est, j'avais jeté mes filets. Ambre avait relevé la tête en un gémissement presque inaudible. Mes mots, mes couteaux bien aiguisés l'avaient semblait-il touchée en plein cœur.

- Et bien quoi, toujours pas de cris, toujours pas de larmes, dis-je en me redressant avant d'avancer ma tête vers son oreille, quel dommage qu'Henry ne soit pas là, vous ne pourrez pas pleurnicher dans ses bras...

A ces mots, j'entendis notre professeur toussoter comme pour témoigner de sa présence. Le mal était fait, et je pouvais revêtir mon parfait sourire, j'avais ce regret tout de même, qui enrobait mon cœur d'un parfum d'amertume. Une sensation inexplicable.

L'absenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant