Chapitre X (partie 3): mettre un pied devant l'autre dans l'obscurité

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Sophie Leward

-    Ambre, dis-je en toquant à la porte de mon insupportable nièce, vous joindriez vous à nous pour le thé ? Nous avons à vous pas.

Aucune réponse ne semblait s'échapper de derrière le porte en bois, et alors que je m'en éloignais, elle s'ouvrit subitement, laissant apparaître l'occupante des lieux. Plus les jours passaient et plus l'on aurait dit sa mère, c'était les mêmes traits, les mêmes cheveux d'un roux immonde. Seule l'expression changeait, Ambre semblait toujours en colère là ou Anastasia souriait toujours comme une idiote.

-    Je serais là, ma tante.

L'amour n'existe pas. Je ne sais pas ce qui animait Barthélémy, mais ce n'était certainement pas de l'amour. Mais maintenant qu'Ambre et Francis étaient fiancés, tout cela n'avait plus quelconque importance.

Pourtant, depuis l'annonce des fiançailles, je ne cessait de me remémorer à quel point mon propre mariage fut insensé. J'étais jeune, naïve, et n'avait plus personne pour me protéger dans une telle maison. Mon union avec Louis avait été en tout et pour tout arrangé par mes parents qui tenaient à tout prix à être rattaché à une fortune naissante. Les Leward étaient des nouveaux riches, et je faisais partie de cette noblesse démodée. C'était là mon ascension.

J'ai cru que le mariage me rendrait heureuse. Heureuse de biens, peut être. Mais Louis s'est très rapidement désintéressé de moi. Dès que je fus enceinte de Francis, il enchaîna les conquêtes, et ne me prenait que lorsqu'il était ivre. Je n'avais plus qu'un interêt décoratif à ses yeux. Et, par sa faute, notre réputation empirait de jours en jours, là ou celle de Barthélémy et Anastasia, vus comme libres et visionnaires, était blanche comme neige.

Quand nous avons appris leur mort, je me sentais presque soulagée, de ne plus avoir à être constamment comparée à une vulgaire couturière comme Anastasia. Seulement, mon soulagement ne fut que de courte durée, puisqu'un obstacle inattendu se dressa face à nous ; Ambre. Comme si ces gens allaient continuer de nous importuner même après leur mort. C'est peut être aussi pour cela que je détestais l'enfant.

« Elle ne porte même pas de corset, mère, c'est dire si c'est une sauvageonne. » C'était moi qui avait rendu mon fils comme ça. Mais que voulez vous, dans la vie il faut savoir arriver à ses fins.

*

Face à moi, elle était assise, droite sur le divan, comme toujours, sa simple vue avait le don de me donner des convulsions. Mais si elle était doué pour cacher ses sentiments, je n'en était pas moins excellente.

-    Nous devrions aller chez le notaire pour officialiser les fiançailles, n'est ce pas Francis, commença mon mari, brisant le silence.

Mon fils acquiesça, son habituel sourire accroché au visage.

-    Évidemment, désormais qu'une gouvernante est là pour la dresser je peux décemment l'épouser. Heureusement, tout de même que je suis là, ma gentillesse d'esprit me perdra.

Nous riions tous. Sauf elle, bien sur. J'avais du mal à desceller sa technique pour rester toujours si inexpressive. En moi régnait toujours cette indescriptible envie de la secouer, de saisir ses pleurs.

-    Vous devriez nous remercier d'étouffer l'affaire et de vous éviter le scandale. Après tout, les jeunes filles respectables ne devraient pas avoir ce genre d'idée derrière la tête, continua Louis.

-    Laissez, mon cher, c'est entièrement de notre faute, répondis-je, jamais nous n'aurions dû permettre qu'elle soit éduquée chez de simples fermiers.

Son regard aur    ait pu être aussi transperçant qu'elle l'eut voulu, rien n'aurait changé la position dans laquelle elle se tenait. Je ne sais pas si elle tentait de rester digne, seulement elle resterait salis à jamais et elle le savais. Louis ouvrit son journal, comme pour clore la discussion. Soudain elle se leva, pour sortir de la pièce, sans même prendre le temps de rétorquer ou de se défendre. Francis se releva, furieux pour la gifler sous nos yeux ébahis. Pas que cela ne me dérange, j'en fus seulement surprise. Mais c'était bien là son rôle. Il hurla :

-    Comment osez vous vous lever sans ne demander l'avis à votre futur mari ?!

Sa main lui caressa le bras, puis le cou. Pas par sympathie, évidemment, simplement pour l'intimider. Mais elle renchéris :

-    Nous ne sommes pas encore mariés, Francis.

Cette fois, s'en était trop, il se mit à secouer son maigre corps avant de le plaquer contre le mur qui se tenait en face et de lui susurrer à l'oreille :

-    Non mais pour qui vous vous prenez, femme ! Vous me devez le respect.

-    Cela suffit mes enfants! S'exclama mon mari, vous faites un bruit fou, je n'arrive pas à me concentrer sur mon journal. Vous aurez bien assez de temps pour cela une fois mariés.

À ces mots, Francis relâcha sa cousine avant de s'exclamer :

-    Et à l'avenir, mettez un corset, je vous prie ! Jamais je n'ai vu de telle manières chez une lady.

Sans même lui adresser un regard, elle sortit de la pièce, les épaules fière, alors que l'on venait de la violenter.

Décidément, je ne pouvais me résoudre à apprécier cette garce.

L'absenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant