Prologue

1.4K 98 49
                                    

Cinq ans et demi plus tôt

La nuit engloutit toujours le paysage derrière le hublot lorsque je prends place dans l'avion. Il doit être quelque chose comme six heures du matin mais je ne peux pas vérifier l'heure exacte. Mon téléphone est rangé dans la poche latérale du sac à dos coincé entre mes pieds. Et je ne peux pas bouger. Aucune chance que je prenne le risque de réveiller Mila. J'ai déjà eu toute la peine du monde à l'endormir après avoir passé les contrôles de sécurité, je ne vais sûrement pas gigoter dans tous les sens maintenant qu'elle ronfle paisiblement entre mes bras. Je savais que ce vol si matinal n'était pas l'idéal pour elle mais les billets étaient à un prix défiant toute concurrence. Alors j'ai fait comme j'ai pu. Exactement comme tous les jours, depuis six mois.

L'avion se remplit au rythme des nombreux passagers qui trouvent leur place non sans générer un sacré brouhaha. Je remonte le col de ma veste pour protéger Mila de l'agitation ambiante quand un homme d'une cinquantaine d'années s'installe à côté de nous. Il parle d'une voix forte à son acolyte assis de l'autre côté de l'allée centrale, comme s'ils étaient seuls à bord. Il fait claquer le compartiment des bagages après avoir balancé son attaché-case et Mila sursaute contre mon torse. Je la berce doucement, chuchotant à son oreille que tout va bien, que je suis là, qu'elle peut se rendormir. Ma fille frotte son nez trois fois contre ma peau avant de replonger dans le sommeil. Je libère un long souffle, soulagé. Mais c'était sans compter sur la sonnerie stridente du téléphone de mon adorable compagnon de vol qui répond en beuglant dans le combiné. Mila se tortille de nouveau et je passe aussitôt ma main sur ses petits cheveux châtains pour la calmer. Heureusement, une hôtesse de l'air demande gentiment à l'homme à ma gauche de raccrocher et de s'installer pour le décollage. Il maugrée un instant mais se montre finalement docile.

Une fois les consignes de sécurité énoncées et le petit discours du commandant de bord terminé, le moteur de l'avion se met à gronder. Un bruit assourdissant envahit l'habitacle. Plus personne ne parle. Le tas de ferraille avance maintenant à vive allure sur la piste, avant de lever la tête et de prendre son envol. La sensation m'arrache un hoquet de surprise et je me cramponne à ma fille qui redresse sa tête d'un coup sec et me regarde de ses petits yeux paniqués. Et soudain, au bruit du moteur se mêle la mélodie des pleurs de Mila. Tout son petit corps est tendu. Je tente de la rassurer, de la bercer, de la caresser, de lui dire que tout va bien mais rien ne la calme. Elle hurle à plein poumon. Le cinquantenaire m'envoie un regard assassin et je me ratatine dans mon siège, gêné de ne savoir que faire. Au bout de cinq interminables minutes, je finis par déboutonner ma vieille chemise en coton épais. Je fais de même avec le gilet et le body de Mila jusqu'à ce que sa peau rencontre la mienne. Je blottis son visage dans mon cou, mon souffle berçant chacune de ses respirations. Et comme toujours quand nous sommes dans cette position, ma fille se calme et finit par se rendormir.

Je passe deux heures et demi à grelotter, le ventre à l'air, malgré la couverture qu'une adorable hôtesse a installée sur nous. Mais ma fille dort. Elle n'a plus peur et elle se repose. Alors je ne bouge pas. Et je remercie silencieusement la sage-femme qui m'a proposé de faire du peau à peau à la maternité, alors que je regardais ce minuscule petit être, cet espèce de petit gnome attendrissant essayant de se réchauffer tant bien que mal. C'était il y a six mois. Le jour où je suis passé d'un ado de dix-huit ans un peu paumé à un papa complètement à côté de la plaque mais résolu à montrer à ma fille que la vie ne se résume pas à une mère qui s'enfuit.

Je jette un dernier regard à travers la vitre. Seules des petites taches jaunâtres émergent de la pénombre. Des traces d'une vie que je quitte sans le moindre regret. Je ferme les paupières en espérant de tout mon coeur que la vie qui nous attend à Galway sera plus clémente avec nous que ces six derniers mois. Que mes dix-huit dernières années.

Pour toi ma fille, je ferai tout pour qu'elle le soit.

HollyciousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant