Chapitre 36

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La voiture d'Abbi roule sur le bitume qui nous conduit à Dublin. A l'extérieur, le temps est plutôt clément. Mais dans l'habitacle, il ne règne que le silence. Ma patronne a accepté de me conduire sur le lieu du tournage, Holly étant obligée d'assurer sa classe. Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit et je me retiens de lui demander de faire demi-tour toutes les deux secondes. Je n'ai pas eu le courage de lui expliquer ce qu'Ariane m'a annoncé hier. Les mots font déjà trop mal dans ma tête, je n'ose pas imaginer la douleur si je les prononçais à haute voix. Abbi pense sûrement que si je ne suis qu'une boule de nerf, c'est à cause du concours. Si elle savait à quel point je me fiche du concours...

Quand Ariane a lâché sa bombe, j'ai mis quelques minutes à reprendre mes esprits. J'étais littéralement tétanisé. Elle m'a dit ne pas vouloir nous séparer mais simplement souhaiter que notre organisation devienne officielle et encadrée. Elle prétend ne demander que la garde partagée mais je ne sais même pas si je peux la croire. Quand j'ai remonté les escaliers, je me suis effondré dans les bras d'Holly avant de me jeter sur mon téléphone pour appeler Bastien. Ce dernier s'est montré rassurant, arguant que les six dernières années jouaient clairement en ma faveur mais il a aussi précisé qu'une enquête sociale est régulièrement ouverte pour les cas un peu particulier, comme le nôtre. Et c'est ce qui me fait peur. Une personne qui ne nous connait absolument pas va venir chez nous pour décider si je suis un assez bon père pour ma fille. Et moi, je suis censé me plier à son jugement, sans discuter ? Je refuse envisager ce genre de scénario.

Bastien m'a conseillé de prendre un avocat puisque c'est ce qu'Ariane va faire, apparemment. Elle m'a promis qu'elle ne lancerait pas la procédure tant que je suis pris par le concours mais les heures sont comptées. Le tournage ne dure que trois semaines. Et durant ces trois semaines, je serai occupé six jours sur sept. Autant dire que je n'aurai absolument pas le temps de chercher un avocat ou de me renseigner sur ma situation. Bon sang, je suis mort de trouille. Je n'y connais rien moi, à ces histoires de juge et de tribunal ! Et je n'ai absolument pas les moyens de me payer les services d'un avocat ! Je vais devoir aller rendre visite à mon banquier et le supplier de m'accorder un prêt. Plus j'y réfléchis et plus je me dis que je n'ai rien à faire dans cette voiture.

Je m'apprête à demander à Abbi de rentrer à Kinvara quand mon téléphone vibre, m'indiquant l'arrivée d'un texto. C'est Bastien qui m'écrit un message bref mais qui me soulage d'un énorme poids.

« Je viens ce week-end, j'ai déjà demandé aux avocats avec qui je travaille au cabinet de me recommander des professionnels en Irlande »

Je libère un vrai soupir de soulagement. Savoir que mon meilleur ami viendra me soutenir dans quelques jours me réconforte un peu. Et puis, il a l'habitude de tout cela, lui. Il est assistant juridique, il connait les ficelles des procédures et du jargon légal. Je ravale mes mots et me tasse dans mon siège.

A peine deux heures et demi séparent Dublin de Kinvara, nous atteignons la capitale sans encombre malgré le trafic du début de semaine. Abbi me laisse devant un immense hangar situé dans la périphérie de la grande ville. Elle me souhaite bonne chance, m'adresse de chaleureux encouragements et se remet en route. Seul devant ce grand bâtiment métallique, ma valise en main et l'angoisse qui ronge chacune de mes cellules, je prends quelques instants pour souffler et me mettre en condition. Derrière moi, j'entends les bip des camions qui reculent, le flot des voitures sur le périphérique, des cris et des gens en effervescence. Je n'ai jamais mis les pieds sur un plateau de tournage, je ne me sens pas du tout à l'aise ici au milieu de cette agitation.

Je me décale quand un chariot élévateur transportant d'immenses bac métalliques remplis de fils me klaxonne. J'ai les mains qui tremblent, l'angoisse qui me serre la poitrine. Je pense à ma fille, à tout ce temps précieux que je vais perdre en restant ici, à la possibilité de la perdre et plus rien ne fait sens. Il y a moins d'un an, j'étais sagement cloitré au pub, à vivre une vie sans remous et sans émoi. Même si l'année qui s'est écoulée m'a apporté les plus beaux bonheurs qui soient, à cet instant précis je voudrais juste voyager dans le temps et me rappeler ce que c'était de laisser couler les jours sans avoir peur.

HollyciousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant