Chapitre 34

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La fraicheur de l'hiver a laissé place à la douceur du mois de Juin. Le soleil montre fréquemment le bout de son nez même si de gros nuages chargés de pluie s'amusent régulièrement à le chasser. La vie suit son cours, les passants continuent de marcher tête baissée, plongés dans leurs pensées et les gourmands sont de plus en plus nombreux à se régaler au pub. Rien n'a changé, si ce n'est que tout a changé.

Depuis trois mois maintenant, je vis au rythme des aller-retours d'Ariane. Elle a tenu parole, elle s'envole un vendredi sur deux pour rejoindre sa fille qui n'attend qu'elle. Si Mila était un peu septique les premières semaines, elle a finalement réalisé que sa mère tenait parole. Elles se parlent tous les soirs sur Skype, leurs sessions papotage deviennent de plus en plus longues. En plus de lui faire confiance, Mila s'est également ouverte à sa mère. Elle lui parle régulièrement de ce qu'elle ressent, de ses coups de mou et de ce qui fait battre son coeur. C'est un vrai pas de géant qu'elle a fait, elle qui voulait toujours être parfaite pour essayer de garder sa mère près d'elle. Elle lui montre désormais ses brouillons, ses ratures, ses tâtonnements. Et Ariane sait à chaque fois trouver les mots. Pas les mêmes que les miens mais d'autres mots qui font tout autant de bien à Mila. Et c'est le principal.

Malgré cela, un vendredi sur deux, elle se lève avec l'envie de vomir. Elle ne peut pratiquement rien avaler de la journée et n'est qu'une boule de nerf. Ses vêtements doivent être parfaitement repassés, ses cheveux parfaitement coiffés, ses chaussures parfaitement vernies. Je déteste ces jours-là. Je ne sais jamais comment je dois me comporter avec elle. J'essaie de lui faire entendre raison tout en la soutenant mais dans ces moments-là, on dirait qu'elle est hermétique à tout ce qui se passe autour d'elle. Cette épouvantable boule de stress ne se désagrège que quand la voiture d'Ariane se gare en bas de chez nous. Mila court dans les escaliers pour sauter dans les bras de sa mère qui l'étreint si fort que j'ai peur qu'elle lui brise les os. Et tout est envolé. Tout est oublié. Sauf pour moi.

Le dimanche soir, quand elle réintègre l'appartement, Mila est aussi joyeuse que nostalgique. Elle est plus excitée qu'une pile électrique. Intarissable, elle passe des heures à me raconter leurs escapades en détails. Ces derniers temps, elle s'est mise en tête de faire découvrir à sa mère la beauté de notre pays. Evidemment, connaissant Mila, je n'ai pas été surpris quand elle m'a dit vouloir d'abord lui présenter tous les bonheurs de la cuisine irlandaise. Ensemble, elles parcourent régulièrement la côte Atlantique, dorment dans des bed'n'breakfast, vivent leurs propres aventures et créent des souvenirs rien qu'à elles. Ariane a offert un polaroid à ma fille qui en a déjà fait bon usage. Le mur au dessus de son lit est tapissé de photos d'elles. Mais à droite, juste au dessus de la tige en fer blanc qui constitue sa tête de lit, trône une photo de nous. De Mila et moi. De ma fille et de son père. Une photo qu'elle a prise un dimanche matin, alors que nous étions enroulés sous notre plaid, en train de déjeuner et de nous prélasser devant la télé. Nous avons tous les deux les cheveux en l'air et nous portons encore nos pyjamas mais nous sommes emmitouflés l'un contre l'autre. C'est la plus belle photo de nous.

De mon côté, je continue d'étudier avec Holly et de l'aimer de tout mon coeur. Je suis maintenant capable de lire. Peut-être encore un peu maladroitement, peut-être un peu lentement mais je lis. Mon écriture est parsemée d'hésitations et de gaucheries mais elle prend vie quand je laisse glisser la pointe du stylo sur une feuille. La blancheur immaculée disparait, laisse place à mes mots à moi. La noirceur de l'encre s'impose mais à mes yeux, elle brille comme un arc-en-ciel. Comme l'espoir qui renait après des années passées à souffrir en silence, à me cacher, à avoir honte.

Je m'appelle Louis Perret et je sais lire et écrire.

Je continue de travailler comme un acharné au pub mais heureusement, Abbi a réussi à nous dégoter un nouvel allié - John - qui manie aussi bien les spatules que les plateaux remplis de verres. Je peux donc maintenant me concentrer sur la pâtisserie et le concours qui débutera dans deux semaines. Deux semaines. Rien que d'y penser, j'hyperventile ! Dans les prochains jours, une équipe de tournage va venir à Kinvara pour filmer mon portrait. Je n'ai pas encore prévenu la production de mes problèmes d'élocution. Holly me dit de me concentrer sur mes desserts et que le reste n'a pas d'importance. Moi, je ne sais pas trop. J'ai bien conscience qu'une fois les mains plongées dans la farine, j'oublie tout, même de bégayer. Mais ce que je redoute le plus, ce sont les passages face caméra. Je connais assez bien l'émission pour savoir que les candidats débriefent chaque épreuve en interview. Je ne sais pas encore si je suis prêt à assumer mon handicap devant tout le pays.

HollyciousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant