Chapitre 4

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Vendredi, dix-sept heures quinze. Je cours dans les petites rues désertes de Kinvara, mon manteau remonté sur la tête pour me protéger de la pluie torrentielle qui zèbre le paysage. Le pub a été bondé tout l'après-midi, un effet secondaire du temps maussade. Et heureusement pour Abbi, le temps est souvent maussade en Irlande, surtout en automne. Je pâtisse non stop depuis hier matin et les clients dévorent mes préparations. Ma tarte au citron meringué a disparu à une vitesse hallucinante. Abbi m'a demandé d'en préparer rapidement une seconde et une chose en entrainant une autre, je n'ai pas vu l'heure passer. Je suis maintenant, et comme à mon habitude, en retard pour aller récupérer Mila.

Aujourd'hui, elle est restée en étude après la fin de la classe. Le vendredi est un jour très chargé pour moi à cause du tea time et je n'ai pas vraiment le temps de m'occuper d'elle, ni de superviser ses devoirs. Ça, c'est la version officielle. Je n'ai pas le temps, c'est vrai, mais en réalité, la mettre deux heures en étude lui permet de travailler la lecture et l'écriture avec des personnes capables de l'aider. Je n'ai pas pris à la légère la demande de Mademoiselle Holly mais je me suis retrouvé complètement démuni après notre entrevue. Je veux absolument que Mila continue de progresser mais je ne peux pas l'aider. Je n'arrive déjà même pas à déchiffrer un formulaire administratif, comment pourrais-je l'aider à lire un roman ?

Je n'ai rien dormi de la nuit ce soir là. J'ai tourné et retourné le problème dans tous les sens et la seule solution que j'ai trouvée, c'est de permettre à Mila de travailler avec des professeurs. Je ne me vois pas avouer mon secret à mes amis, ni à Abbi. Et puis ils ont bien mieux à faire. C'est à moi de gérer, c'est mon problème, mon fardeau. Alors le lendemain, je suis allé voir mon ami le libraire pour lui demander un cahier d'écriture. Je ne savais pas quoi acheter d'autre. Il m'en a proposé deux, j'ai acheté les deux. J'ai expliqué à Mila que ces cahiers allaient lui servir à s'entrainer en étude, pendant que je travaille au pub. Elle a acquiescé, elle semblait plutôt séduite par l'idée. Je ne suis pas dupe, je sais bien que si elle a accepté si facilement, c'est parce que sa copine Ella reste tous les soirs après la classe. Mais je m'en fiche, l'important c'est que mes lacunes ne pénalisent pas ma fille. Je me le suis promis le jour de sa naissance. Et je compte bien tout faire pour tenir cette promesse.

Au bout de la rue, j'aperçois le bâtiment rouge et blanc. Mila doit être en train de travailler sur un de ses cahiers. Ou de papoter avec sa copine. La connaissant, elle doit même sûrement être en train de faire les deux ! Essoufflé et trempé jusqu'aux os, j'atteins enfin l'école. Je retrouve ma fille, visiblement fatiguée par ces deux heures supplémentaires que je lui ai infligées. Après un rapide baiser sur son front, je mets son cartable sur mon dos pendant qu'elle enfile sa cape de pluie. Quand nous sortons du bâtiment, la pluie n'a pas cessé. J'ai même l'impression qu'elle a redoublé d'intensité. Et dire que ce matin, le ciel était plutôt dégagé ! Le temps varie si vite au bord de la côte Atlantique, je ne sais pas si j'arriverai un jour à comprendre comment les éléments peuvent autant nous faire tourner en bourrique. Ma fille remonte sa capuche sur ses cheveux. Les miens sont déjà ruisselants mais je rehausse tout de même le col de ma veste. Alors que nous sommes sur le point de nous mettre à courir pour atteindre le pub, mon regard dévie vers le parking où je distingue une silhouette blonde postée devant un véhicule gris, le capot ouvert.

-On dirait que c'est Mademoiselle Holly, annonce Mila.

La jeune institutrice tente maladroitement de se protéger des trombes d'eau sous un petit parapluie. Elle claque le capot de sa voiture et court se mettre au volant. Elle essaie de démarrer mais le moteur ne l'entend pas de cette oreille. Sans trop réfléchir, je me dirige vers elle, ma fille à mes trousses. Elle ne me voit pas arriver à sa hauteur, ses yeux sont clos et son front est écrasé contre le volant en signe de défaite. Je toque timidement contre la vitre. Elle redresse la tête à vive allure, paniquée. Je lève les deux mains en l'air, pour lui montrer que ce n'est que moi, que je ne suis pas dangereux. Quand elle comprend à qui elle a à faire, elle abaisse légèrement la vitre, les sourcils froncés.

HollyciousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant