Chapitre 7

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-Mais pourquoi est-ce que je ne peux pas en apporter à Abbi ? soupire Mila en sortant deux gaufres du gaufrier.

-Je te l'ai déjà dit, elle est partie deux jours rendre visite à une amie à Dublin.

-J'aime pas quand elle n'est pas là.

-Tu la vois presque tout le temps, tu peux quand même la laisser respirer deux jours, ris-je en frottant ses cheveux.

Mila fait la moue mais n'insiste pas. Elle dispose nos gaufres sur une grande assiette et me rejoint au salon, où j'ai déjà apporté deux bols de fruits coupés, une boite métallique contenant les sablées pistache-noisette que j'ai préparés vendredi et deux tasses fumantes. Nous engloutissons notre petit-déjeuner devant la télévision, comme à notre habitude le dimanche matin. L'émission de cuisine préférée de Mila nous donne l'eau à la bouche, même si c'est une rediffusion que nous avons déjà vue. Un homme et une femme s'affrontent en final d'un concours de pâtisserie où un jury leur a demandé de leur préparer un gâteau à la fois réconfortant et extravagant.

-Tu devrais t'inscrire au concours papa, je suis sûre que tu gagnerais !

-Ne dis pas des bêtises ma chérie, je ne suis pas aussi doué qu'eux.

Tout en buvant une gorgée de thé, je réfléchis tout de même à ce que j'aurais concocté si j'avais été à leur place. J'aurais utilisé du chocolat, pas de doute là-dessus. Le chocolat c'est réconfortant mais c'est aussi très technique. Je me suis cassé les dents plus d'une fois sur une sculpture en chocolat. J'aurais peut-être réfléchi à intégrer des légumes ou des aliments salés pour le côté extravagant. Je sais que la betterave, par exemple, se marie très bien avec le chocolat.

-Tu serais beaucoup plus fort qu'eux papa ! Tes sablés sont trop bons. En plus, c'est même pas une recette que tu as copiée, c'est toi qui l'a inventée. Et toi, tu connais toutes les pâtisseries françaises, tu sais bien que le jury adore ça.

Mes pensées se tournent immédiatement vers le livre de cuisine que m'a offert Holly. Quand je me suis terré dans mon appartement jeudi soir, je l'ai immédiatement caché dans ma chambre, dans un des tiroirs de mon armoire. Je ne voulais surtout pas prendre le risque que Mila tombe dessus et se mette en tête de le déchiffrer. Elle m'aurait demandé de l'aide et j'aurais été incapable d'assurer mon rôle de père.

La discussion que j'ai eue vendredi soir avec Holly tourne en boucle dans ma tête. Sa proposition surtout. C'était très serviable de sa part mais franchement, comment aurais-je pu accepter ? Cette simple idée me donne tout bonnement l'impression de perdre ma dignité. De me reléguer au statut de pauvre garçon illettré, ce qui est plutôt vrai mais je refuse de l'admettre publiquement. Et puis, je ne la connais pas. Je ne pense pas qu'elle ait un mauvais fond mais je me méfie toujours. Pourquoi voudrait-elle m'aider, sans rien attendre en retour ? Ce n'est pas normal, il y a forcément un truc qui m'échappe. J'ai grandi en apprenant très tôt que les autres ne me voulaient pas forcément du bien. Devenir transparent et les tenir à distance étaient les seuls moyens de les empêcher de m'atteindre. Il n'y a aucune raison pour que ça change aujourd'hui.

La petite joue de Mila s'installe confortablement contre ma poitrine. Mon bras passé autour de ses épaules resserre son étreinte et nous restons ainsi une heure, à commenter silencieusement tous les faits et gestes des candidats. Cette parenthèse enchantée me fait un bien fou.

En début d'après-midi, ma fille s'installe dans sa chambre pour faire ses devoirs. J'en profite pour essayer d'appeler Bastien sur Skype, même si je sais que le dimanche n'est pas le jour où il est le plus facilement joignable. Entre les festins chez ses parents et les lendemains de soirée, il n'appuie pas souvent sur le bouton « décrocher ».

HollyciousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant