Le pub est bondé. Nous ne sommes pourtant que mercredi mais des groupes d'étudiants ont pris leurs quartiers entre nos murs et je cours dans tous les sens. Abbi peine à trouver un nouvel employé pour la seconder en salle. Je dois donc jongler entre les tonnes de préparations que requièrent nos après-midi gourmands et l'effervescence des clients. Parmi ces derniers, un visage se démarque tous les jours, sans exception. Celui d'Ariane qui ne manque jamais une occasion de parler à ma fille. Son attitude me met les nerfs en pelote. Je ne supporte presque plus son omniprésence, sa façon de s'imposer en douceur, de me déposséder de ma capacité à contrôler leurs échanges. En un mot, je suis sous pression.
J'attrape rapidement l'entonnoir à piston pour garnir les petits pots en terre cuite que m'a dégotés Abbi. A peine cinq minutes plus tard, j'enfourne une vingtaine de crème brulée avant de me remuer au comptoir pour encaisser deux jeunes. Du coin de l'oeil, je surveille Mila, encore attablée avec Ariane. Elles sont penchées sur ce qui me semble être un journal ou un magazine, je n'en sais rien. Ariane commence à connaitre quelques signes basiques, ce qui ravit ma fille. Le reste de leurs conversations s'articule avec une feuille et un stylo. Parfois, celle qui a déserté me demande de l'aide. Je me retrouve alors entre elles, spectateur malgré moi de ce lien qui se tisse lentement.
Depuis dimanche, Mila est branchée sur cent mille volts. Elle ne parle que de sa mère. Elle prévoit déjà des tas d'activités et de sorties à faire avec elle. Elle passe beaucoup de temps dans sa chambre, à passer en revue sa garde-robe et à tester de nouvelles coiffures devant le miroir. J'ai beau essayer de la ramener à moi, ma fille m'échappe déjà. Un peu plus chaque jour.
Ma petite brune passe la porte de la cuisine pour se poster à côté de moi. Un saladier rempli d'une ganache au caramel dans les mains, je l'interroge du regard.
-Est-ce que je peux montrer ma chambre à maman ?
Maman. Lire ce mot me fait à chaque fois l'effet d'un coup de poing dans le ventre.
-Non, pas maintenant. Il me reste encore beaucoup trop de travail ici.
-Mais on peut monter sans toi, tente-t-elle en boudant déjà un peu.
-Non Mila. Je ne veux pas qu'Ariane monte à l'appartement si je ne suis pas là.
-Mais je voulais lui montrer mes poupées !
-Alors va en chercher une ou deux et montre lui les ici.
-C'est nul..., grogne-t-elle en tournant les talons.
La porte de la cuisine claque quand elle regagne la salle. Je pose mes deux mains contre le métal froid du plan de travail pour me calmer. Abbi m'apostrophe à peine quelques secondes plus tard, alors que j'ai toujours la tête entre les épaules, à essayer de me raisonner.
-Pourquoi est-ce qu'elle passe tout son temps ici celle-là ? Elle n'a rien de mieux à faire ?
-Apparemment non. Elle s'est mis en tête de « rattraper le temps perdu ».
-Méfie-toi d'elle Louis. L'instinct maternel ne se réveille pas comme ça, un beau jour.
J'acquiesce en reportant mon attention sur ma ganache. Derrière la vitre de la porte, Abbi scrute la salle. Elle grommelle plusieurs jurons que je fais semblant d'ignorer. Ils sont tous destinés à la mère de ma fille. Quand j'ai expliqué la situation à ma patronne, elle a vu rouge. Elle ne comprend pas la démarche d'Ariane et surtout, elle ne supporte pas de voir Mila avec autant d'espoir. Une femme aussi instable par le passé ne devient assurément pas quelqu'un de confiance selon Abbi.
J'ai donc décidé de passer le plus clair de mon temps à Kinvara. Fini les aller-retours en bus pour étudier avec Holly, c'est désormais elle qui me rejoint chez moi après sa classe. Je ne veux surtout pas qu'Ariane profite de mon absence pour ensorceler Mila. Le problème, c'est que cette nouvelle organisation fait que je suis constamment avec ma fille. Et elle commence à en avoir marre. Elle sent bien que je ne suis plus aussi détendu que d'habitude. Hier, j'ai refusé qu'elle sorte jouer avec Ella pendant que je travaillais avec Holly. Mila n'a pas du tout compris mon refus et elle me l'a fait payer. Elle a été insupportable toute la soirée. J'ai d'ailleurs dû couper court à ma séance parce qu'elle me rendait chèvre. Holly s'est montrée patiente et compréhensive, comme toujours, mais moi, je fulminais.
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Hollycious
RomantizmJeune père célibataire, Louis n'a jamais eu une vie facile. Il a choisi l'authenticité de l'Irlande pour offrir un bel avenir à sa fille. Mais il se bat tous les jours pour cacher le secret qui le mine depuis l'enfance. Jusqu'à cette rencontre, une...