Chapitre 19

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Le mois de janvier se termine comme toutes les années dans un rush spectaculaire. Si le tea time attire désormais un nombre incalculable de gourmands, ce n'est rien comparé à la foule qui franchit les portes de la ville à l'occasion du festival des pêcheurs. Durant un mois, les villes bordant le golf atlantique accueillent chacune à leur tour des festivités. Cette ancienne tradition met à l'honneur Saint Pierre, le Saint patron des pêcheurs et des disparus en mer. Les habitants et les visiteurs se rassemblaient autrefois dans les villes emblématiques du golf pour célébrer les ceux qui nourrissaient la population. Ils voulaient aussi s'attirer les faveurs d'un éventuel protecteur pour s'assurer de leur sécurité au mois de février, mois réputé particulièrement dangereux sur les côtes irlandaises.

Cette grande fête commence toujours le dernier weekend de janvier à Kinvara. Pour l'occasion, le village revêt ses habits de lumière et se pare de bleu et de blanc, les couleurs emblématiques du festival. Le coup d'envoi est donné le vendredi soir, lorsqu'un cortège de pêcheurs dévale les ruelles du village pour conduire une représentation en bois d'un immense Galway hooker jusqu'au port. Là, dans la nuit noire et glaciale, les mains des pêcheurs approchent une torche enflammée vers le bateau qui prend rapidement feu. Il est alors mis à l'eau. La tradition raconte que les flammes brillent alors loins sous l'eau pour rendre hommage à ceux que la mer nous a pris. Dès le lendemain, des commémorations sont organisées ainsi que des représentations musicales, des jeux ou encore des expositions. Les visiteurs viennent de tout le pays. L'espace d'un weekend, Kinvara est en fête. Aucun véhicule ne circule sur nos pavés. Les rues sont noires de monde et les rires résonnent entre chaque maison.

Bien sûr, je ne profite pas beaucoup de la fête puisque je croule sous le boulot. Les clients se pressent et les commandes s'entassent sur le comptoir. Hormis un restaurant spécialisé dans les produits de la mer, le pub est le seul établissement convivial de Kinvara. Alors, quand les visiteurs finissent par avoir tellement froid qu'ils ne sentent même plus leurs doigts, il finissent par passer la porte. Depuis deux ans, Abbi me demande de préparer tout un tas de snacks chauds ou froids à emporter. C'est une bonne idée puisque cela nous permet d'assurer une bonne rentrée d'argent. Sauf que je suis le seul à cuisiner ici et que j'ai beau travailler comme un forcené, je ne peux pas nourrir des milliers d'estomacs à moi tout seul. C'est ainsi qu'une semaine avant le festival, Cahal, un des cousins d'Abbi me rejoint pour me donner un coup de main. Cet ancien cuisinier à la retraite n'est pas bavard mais il abat un travail impressionnant. A nous deux, nous anticipons tellement de préparations que le jour J, il ne nous reste plus qu'à assembler les éléments pour sortir un sandwich en deux minutes maximum.

D'habitude, nous ne servons aucune pâtisserie ce weekend là. Tout simplement parce que je ne peux pas être sur tous les fronts. Mais cette année, la donne a changé. La semaine dernière, un article est paru dans le journal local, vantant les mérites de notre tea time. Mon nom était cité en toutes lettres et des photos alléchantes de notre présentoir s'exhibaient sans retenue. Quand Abbi m'a montré la publication, j'ai ressenti une immense fierté. Je souriais de toutes mes dents. Je lui ai arraché le journal des mains pour courir rejoindre ma fille et lui présenter l'article. Mila a explosé de joie ! Elle qui me pousse tous les weekend à participer à son émission favorite était si heureuse de voir que le critique culinaire du journal local encensait mes pâtisseries. Depuis ce jour, presque tous les clients qui sont venus se faire plaisir l'après midi nous ont parlé de cet article.

C'est ce qui a poussé Abbi à me demander de préparer quelques gourmandises pour ce weekend.

-Vous n'êtes pas sérieuse ? me suis-je aussitôt emballé. Vous ne vous rendez pas compte du travail que cela représente ! Déjà que chaque année, je finis sur les rotules en ne m'occupant que du salé, comment voulez-vous que prépare des centaines et des centaines de pièce sucrées à moi seul ?

HollyciousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant