XXXI- Déroute

235 23 166
                                    

Dorothy avait le dos courbé quand elle s'arrêta enfin devant un appartement similaire au sien. Elle avait marché tellement longtemps qu'elle était incapable de se souvenir du moment où elle avait perdu la sensation de ses membres.

Les clochers, qui avaient accompagné sa marche du condamné, avaient sonné minuit quand elle était enfin arrivée près de Farringdon.

Ses mains étaient brûlées par le frottement du cuir contre ses paumes, elle était sûre que du sang avait commencé à imprégner les poignées des malles. Ses pieds n'étaient pas sans reste, couvert d'ampoules et de crevasses, témoignant des kilomètres qu'elle avait parcourus. La travailleuse, toujours impeccable et la tête haute, n'avait rien à voir avec son allure actuelle.

D'abord, Dorothy avait pensé entrer dans cet appartement où tout avait commencé. Il n'était pas loin, elle avait encore les clés accrochées au trousseau de la boulangerie. Tout avait été lavé depuis son départ. Le sang d'Alfie ne recouvrait plus les draps, ni le sol. Mais elle n'avait pas le cœur à rentrer dans cette chambre où elle s'était ouverte pour la première fois à lui. Elle voulait trouver un refuge qui lui permettrait de se reposer, de fermer les yeux, ne serait-ce qu'un court instant, sans avoir à trembler de peur sous les mots crus de Solomons.

Il faisait froid, Londres était glaciale, silencieuse et brumeuse. Le parfait opposé de ce qu'elle avait laissé derrière elle. Dorothy avait chaud, elle était en nage et essoufflée. Les larmes ne coulaient plus depuis une heure déjà, elle n'avait plus la force pour les essuyer.

Les quelques véhicules qui circulaient, pendant que Dorothy errait comme une âme esseulée, avaient été une source d'imagination. Imagination, naïve, elle avait pensé qu'il aurait pu s'agir d'Alfie.

Elle espérait encore que les mots qu'il avait choisis n'étaient que le reflet de sa colère et qu'il ne les pensait pas. Pourtant, elle était habituée à ces mots cruels, au rejet, à l'abandon. Mais habitude ne veut pas dire accepter. Elle avait encaissé le crachat de son père, la porte qui se ferme, les insultes... venant d'Alfie c'était insurmontable.

Pendant ces heures de marche, Dorothy avait eu le temps de réfléchir à ce qu'elle avait fait. Elle méritait sûrement tout ceci, toutefois elle n'en était pas certaine. Tout tournait autour d'elle, rien n'était stable et certainement pas ses pensées. Sa vision des choses était perturbée et déformée. Perturbée parce qu'elle avait pensé faire le bon choix. Déformée parce qu'Alfie avait raison, elle ne pensait qu'avec le cœur.

Était-ce si mauvais que cela ?

Dorothy était née de parents dont le seul intérêt était les convenances.

Pas elle.

Le cœur avait toujours eu sa place dans les raisons de l'existence. Même après que ses parents aient refermé cette porte dorée, Dorothy ne leur avait jamais jeté la pierre. Son sort était mérité.

Aussi, ne croyait-elle pas en vouloir à Alfie. De toute façon, sa peine était trop grande, il n'y avait pas de place pour l'amertume. Le sentiment d'avoir perdu quelque chose de cher prenait bien trop de place dans son cœur et dans son esprit.

Plusieurs fois, Dorothy s'était arrêtée sur la route déserte. Fixant le brouillard, elle s'était demandée si elle ne devait pas faire demi-tour. Lâcher ces valises et courir vers Alfie. Mais elle ne pouvait pas. Elle l'avait habitué à mieux, à plus. Ce n'était pas le genre de la maison que de regarder par-dessus l'épaule.

Ni ce soir.

Ni demain.

Dorothy appréhendait le lever du soleil quand elle devrait retourner travailler. Quand ses yeux noirs devraient croiser l'azur sombre de son employeur. Il allait être d'une humeur massacrante, elle le savait, elle le connaissait.

The Woman In Black And White || PEAKY BLINDERS A.SOù les histoires vivent. Découvrez maintenant