XXXXII- Rouge

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La peur était un sentiment bien complexe, qui, pourtant, semblait être assez familier chez Alfie. Depuis sa naissance, le criminel pensait avoir une assez bonne représentation de ce qu'était la peur, à l'état brut. Il avait déjà pu faire face à des situations effroyables, violentes, demandant un sang-froid inégalable. Il était devenu cette montagne inébranlable, sans peur ni crainte.

Cet accomplissement, le roi de Londres le devait à son parcours, à la guerre, à son statut de chef, à tout ce qui l'avait endurci.

Les deux couronnes noires, le cancer, les pertes innombrables, le sang des ennemis et des amis, tout ceci était le moule qui l'avait forgé.

Alfie avait baigné dans la terreur et la haine dès le début. Terreur et haine faisaient partie de son quotidien, de son plat de consistance, de sa vie.

Sa mère lui avait inculqué l'effroi, la misère et le respect. Elle n'avait jamais cherché à mentir sur la dureté du monde, en cela Solomons lui était reconnaissant. Son frère avait également participé à l'apprentissage de ce sentiment bien humain.

Peut-être était-ce donc sa famille qui était en tort. Alfie croyait être maître de lui-même, de ses pulsions arbitraires, de son moi. Il pensait, à tort, avoir le dessus sur tout. Parfois, il semblait même qu'il était capable de contrôler la foutue météo.

Un sentiment aussi risible comme la peur paraissait peu de choses. Il savait ce que c'était, il l'avait déjà ressenti.

Toutefois, jamais comme maintenant.

À la guerre, il y avait cette perception commune que la mort guettait, tapie dans l'ombre des tranchées. Elle était omniprésente, comme cette trouille infinie. Le bleu était la couleur de cette émotion, pourtant, Alfie ne voyait que du noir. La guerre était noire. Il n'y avait rien d'autre sinon l'obscurité, les ténèbres.

Non, la crainte ne venait pas de ce temps apocalyptique.

Alfie avait perdu mère, frère, ami. Jamais il ne s'était senti apeuré, atterré.

Jamais comme maintenant.

La guerre des gangs, la faucheuse au coin de la distillerie, Sabini, rien qui ne lui faisait sécréter cet état qui prenait aux tripes. En outre, Alfie n'était pas du genre à penser que l'anxiété, l'épouvante, étaient les sœurs de la lâcheté. Tout homme avait le droit de craindre, à un moment donné. Cela n'était pas un signe de couardise, au contraire. Néanmoins, il ne l'avait jamais ressenti.

Jamais comme maintenant.

Parce qu'avant, avant la guerre, la mort, les pertes, le sang, il ne la connaissait pas.

Sa famille lui avait appris à se méfier, à appréhender, à frissonner devant la bassesse de cet univers. C'était dans les gènes de son peuple, Alfie le savait. Il connaissait son histoire et celle de ses ancêtres. Cependant, il n'avait jamais cru bon de ployer le genou, et ne l'avait, d'aventure, pas fait.

Devant quiconque.

Alors, si à présent c'était la peur qui l'étouffait, Alfie aurait été incapable de le dire. Il n'avait jamais ressenti ça avec autant de force, de vigueur.

Tout semblait se décupler si rapidement, alors que tout était d'une lenteur effroyable, autour de lui.

Il entendait sa propre respiration, son cœur qui tapait lourdement dans sa poitrine. Avec tant de fureur qu'il avait eu envie de l'arracher de son étau de chair. Puis ses yeux, d'ordinaire d'un bleu parfait, tiraient maintenant sur le noir.

Si chaque mot devait avoir une couleur, une saveur, une odeur, sans conteste la peur était rouge, elle avait le goût du sel et des effluves maritimes.

The Woman In Black And White || PEAKY BLINDERS A.SOù les histoires vivent. Découvrez maintenant