XIII- Le roc naufragé

425 38 145
                                    

Alfie s'était occupé de tout.

De la toilette mortuaire à la mise en cercueil, il avait veillé à ce que Ollie parte comme il le fallait. Surveillant que tout se déroulerait selon la tradition, Solomons avait été présent jusqu'à ce que la dernière poignée de terre ait recouvert le tombeau de sa pupille.

Son frère d'armes, son protégé, son sang.

Pendant le peu de temps qui avait suivi entre l'inhumation et les obsèques, Alfie avait été impassible, ses yeux reflétant un vide infini, son visage était dénué de toute expression, mais il restait droit.

Dorothy n'avait pas osé venir aux obsèques sachant qu'elle ne faisait pas partie de la communauté juive. Elle était restée à la boulangerie s'occupant à faire tourner la boutique pendant l'absence de son employeur.

Une semaine s'était écoulée depuis que cette tragédie avait frappé à leur porte. Alfie avait été d'un calme mortifiant, la plupart du temps, et quand ça n'était pas le cas une mer houleuse s'abattait sur la boulangerie. Dorothy n'osait pas le regarder de peur d'y voir une honte indescriptible. Et quand elle trouvait la force de lire en Alfie, tout ce qu'elle voyait était un mur sans mots.

Depuis une semaine, il était impossible d'échanger comme ils avaient l'habitude de le faire.

Dorothy ne s'octroyait plus le droit de venir terminer la journée de travail avec lui. Elle ne posait pas de questions sur les comptes et ils ne restaient plus tous les deux silencieux, face à face, pendant l'inventaire.

Et si Alfie avait l'impression de tout avoir mis sur pause, ce n'était pourtant pas le cas. Sans relâche, il avait travaillé. Ne se privant pas pour incendier ses employés, vociférer ses habituelles insultes, cracher, jurer. Mais ce qu'il y avait de différent avec ces brimades-là, c'est qu'elles semblaient vouloir tuer.

Faire mal.

Toucher haut et juste.

Quand Alfie se levait brusquement de son bureau pour se défouler, Dorothy se bouchait les oreilles, fermant ses yeux et priant pour que le déluge passe.

Le distillateur savait que sa haine et sa colère effrayaient sa conseillère mais il n'arrivait pas à se contrôler.

Il choisissait le silence, les jurons et la haine.

Il taisait sa douleur, ignorant son chagrin dévastateur, fermant les yeux sur le poids de sa culpabilité.

Son alliance avec Thomas Shelby tenait bon, malgré le raz-de-marée, mais la bataille avec son frère aîné n'arrangeait en rien les choses. Et si pendant les obsèques d'Ollie une trêve s'était installée, Alfie savait que ce n'était que pour mieux reprendre par la suite.

Après l'enterrement, Solomons était rentré chez lui.

Refusant que Tobias le ramène dans sa grande bâtisse inhabitée, il avait marché, ignorant sa cuisse douloureuse, qui le tiraillait à chaque pas, oubliant sa peine physique, pour se concentrer sur celle qui faisait bouillir sa cervelle.

Ses maux invisibles.

Après des heures de marche, qui n'avaient fait que rendre Solomons encore plus à cran, sa maison finissait par se dresser devant lui.

Cyril l'accueillit comme il avait l'habitude de faire. Le chien n'aboyait jamais et ne jappait pas. À l'inverse de son maître, la parole n'était pas son fort et il se contentait des actes.

Alfie ferma derrière lui et resta un moment debout sur le seuil de l'entrée. Ses paupières clignaient lentement, comme s'il avait pris une drogue hallucinogène. La pièce semblait bouger tout autour de lui, et il n'arrivait pas à se concentrer sur un point.

The Woman In Black And White || PEAKY BLINDERS A.SOù les histoires vivent. Découvrez maintenant