Chapitre 1 - Cité des Iris

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15 octobre 2004 - 23:30
Cité des Iris, Marseille.


Assise sur la marche devant les portes de l'immeuble, des jeunes dealent à quelques dizaines de mètres plus loin. La gamine est seule, attend, fixe, observe. Elle n'est pas perdue, elle est tranquille. Du haut de son mètre cinquante-quatre, elle patiente. Les jeunes ne la remarquent même plus. C'est comme une routine. Par ici, les gang de frères rivalisent quant ils se croisent, parlent fort, font plus de gestes avec les bras, parfois en viennent aux mains quant ils s'embrouillent trop fort. Ce soir-là c'était calme. La gamine observait, les jeunes ne la remarquaient toujours pas. Pourtant, une gamine de 14 ans, assise seule sur une marche, devant un immeuble, dans une Cité au nord de Marseille, il y aurait mille mots pour décrire ce qu'il pourrait se passer.

Elle observait. Calmement. Elle parcourait lentement de ses yeux bruns tout l'horizon qui s'offrait devant elle, d'un bout à l'autre. Dans un silence incertain, entrecoupé de quelques bramements lointains des différentes fenêtres encore ouvertes, et qui formaient par moment un dialogue entre les immeubles de la Cité.

Personne ne la remarquait. C'était comme une routine.

Mais elle semblait fatiguée. Son jeune âge était dissimulé derrière un regard plus mature, réfléchi, distant. Un teint sombre ; une jeunesse dissimulée derrière des traits figés. Elle ne croisait pas beaucoup de regards, elle semblait dans un espace-temps lointain. Ses vieilles baskets fixées au sol, son esprit était ailleurs. Elle se camouflait derrière un vieux foulard qui entourait tout le bas de son visage ; il devait être aussi froid que ses yeux. Le châle ne lui tenait pas chaud, elle cherchait presque l'anonymat.

Son regard fut lentement attiré vers une voiture, au bout de la route, qui s'arrêta non loin de l'immeuble. Les basses de l'autoradio réveillèrent son esprit. Électrochoc des voix dans la radio qui résonnaient dans la nuit noire contre la façade de l'immeuble, réveillèrent quelques curieux aux fenêtres. Les deux types à l'intérieur continuèrent l'écoute, ils avaient allumé la lumière de leur rétro et semblaient profiter des rythmes lents envoyés par le son. Quelques voix haut perchées des fenêtres du dessus vinrent saccader la basse.

Fin de la chanson, les deux types discutèrent un peu, la lumière du rétro s'éteignit, les portes s'ouvrirent.

- Salut

Un des deux types avait remarqué la gamine. Ils étaient encore à la voiture, mais il s'était retourné vers l'immeuble et la regarda. Le deuxième type ferma la voiture, et se retourna enfin vers elle. Ils se fixèrent.

Après s'être avancés vers l'immeuble, ils passèrent à côté d'elle et ne purent s'empêcher de s'arrêter une fois à la porte.

- Tu rentres pas ?

Elle ne causait pas beaucoup. Le calme revenu, son esprit vagabond l'avait vite rattrapée par la main et entraînée dans le souvenir des anciennes basses. Elle réfléchissait, perdue dans ses pensées.

- Hey oh, tu rentres pas ? Dit l'un des gars en lui touchant l'épaule.

Elle sursauta et leva soudainement son regard vers lui.

- Tu veux pas rentrer ? Ce sera peut être mieux pour toi dedans.

Elle resta là, fixée, à contre-plongée du gars. Rien ne sortait. Rien ne venait. Elle réfléchissait.

- Ça va ?

Il sembla commencer à s'inquiéter.

- Non, je veux pas rerentrer.

D'une voix douce mais ferme, elle venait de décliner. Elle semblait sûre d'elle. Pourtant, son jeune âge transpirait encore de ses yeux couleur nuit.

- Ben vas-y c'est pas hyper rassurant ici la nuit, tu devrais te poser chez oit plutôt, tu seras mieux tu sais. T'habites l'immeuble ?

Le deuxième type, un peu plus en retrait, observa la fille assise, sembla perplexe.

- J'ai jamais eu de problème, c'est bon.

- Ouais enfin il est tard t'as vu, t'as pas de chez toi ?

Elle ne répondit pas. Sa tête toujours relevée vers le type debout devant elle, son regard retombait. Elle réfléchissait, mais ses sourcils se fronçaient légèrement. Elle essayait de le cacher. Mais il y avait un truc.

- Vas-y t'inquiète on va pas te faire du mal hein, c'est juste que c'est chaud pour une fille de rester la nuit toute seule dans le quartier, en plus t'as l'air jeune j'sais ap...

- Ça va. Je suis mieux dehors c'est bon.

Court instant. Les types se regardèrent, perplexes tout les deux. Ils ne savaient plus trop quoi dire, elle ne semblait vraiment pas vouloir bouger. Ils commençèrent à se rapprocher de la porte quand le plus bavard se retourna vers elle.

- Ben vas-y, on te laisse la porte ouverte si t'as besoin. On monte Jehk ?

Il n'eut pas l'air emballé, mais elle ne bougea pas. Quand ils eurent passé la porte, elle osa se retourner, lentement, pour les observer s'éloigner et monter les escaliers de l'immeuble. Ici pas d'ascenseur. Elle les regarda monter jusqu'à ne plus les voir, mais, toujours tournée vers les portes de l'immeuble, sembla fixer un point fixe ; elle n'était déjà plus présente.

Plusieurs heures étaient passées après ça. Les bramements continuaient par petits groupes, quelques fenêtres allumées réfléchissaient les échos de la nuit qui allait bientôt se coucher. La fille observait le vide à travers ses yeux d'enfant et son regard d'adulte. Elle se leva, lentement, et comme si ses pieds avaient de la difficulté à se soulever du sol, rejoignit la porte de l'immeuble sans envie. Elle fixa chaque marche qu'elle montait. Le même trajet, le même poids qui s'alourdissait à chaque étage. Bientôt elle arriva au 5ème. Appartement 5C. Elle rentra.

Bientôt, la réalité revenait. L'enfant ressurgissait. Son masque tombait.

Tout commence à l'Iris 𑁋 Deen BurbigoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant