Chapitre 2 - Crainte

867 43 0
                                    


Elle était retournée sur sa marche la veille, le lendemain et le surlendemain. Elle avait recroisé les mêmes personnes de l'immeuble, qui étaient passées à côté d'elle sans même la remarquer. Des jeunes bramaient et des échos de bébés qui pleuraient rendaient la vie à la Cité toujours active. On entendait souvent des sirènes ou des crissements de pneus. Des gens qui criaient ou des enceintes qui résonnaient. Souvent du rap, mais aussi des musiques plus tendances ou carrément has been de certaines fenêtres au moment du Ramadan. C'était festif. Toujours des odeurs de cuisine, à n'importe quelle heure de l'après-midi. On entendait chanter certaines femmes qui s'en donnaient à plein poumon pendant qu'elles préparaient. Parfois des odeurs de lacrymo qui empestaient, ou alors c'était du piment oublié sur le feu avec la cuillère qui brûlait. On sentait pas trop la différence par moment.

- Eh papy, regarde, c'est la fille de l'autre fois. Elle est encore là t'as vu ?

- Putain chaud, j'sais ap ce qu'elle fait là toute seule mais c'est pas fou de rester là, je sais même pas si elle est de l'immeuble t'sais quoi, je l'avais jamais vue avant. Vas-y viens on va la voir.

- At-

Le gars était parti comme un missile. Il se dirigeait vers la jeune brune.

- Salut, t'es encore là ?

Elle ne releva même pas la tête, mais fixait encore l'horizon derrière lui. Il se retourna pour constater qu'elle regardait un groupe de filles qui se faisait taquiner à cinquante mètres de là, sur la place. Posées, quelques gars semblaient s'être invités dans le groupe. Elles semblaient faussement dérangées, le bruit de leur piailleries résonnait pas moment.
La fille ne bougea pas, elle les fixait, calmement, comme en réflexion. Il se retourna à nouveau vers elle pour la contempler. Quelle étrange impression elle donnait. Il s'assit à côté d'elle, sans grande délicatesse, et le contact de son épaule contre la sienne la fit sursauter.

- Tranquille, t'inquiète. On s'est croisé l'autre soir quand je rentrais avec mon reuf. Tu bouges pas trop hein ?

Il était proche. Pour la première fois, elle dégageait quelque chose d'autre : elle semblait avoir de la gêne. Son visage toujours tourné, elle le regarda de côté ; elle observa ses yeux, sa peau, ses lèvres, ses cheveux rasés, son cou. Ses yeux l'observèrent, lentement, le détaillant. C'était calme autour d'eux, le vide. Alors le silence de la jeune fille semblait encore plus fort.
Son frère réapparut peu de temps après, il avait été rejoint par quelques autres gars. Ils étaient autour du Papy et de la fille qui restèrent là, assis sur la marche devant l'immeuble. Le silence s'interrompit vite par les discutions des gars autour d'eux, créant une bulle de gêne autour des deux toujours assis. Ils ne se parlaient pas, ils observaient ce qu'il se passait, écoutaient d'une oreille les conversations. La fille était entourée mais ne semblait pas attentive au désordre qui l'entourait. Pour une fois, les personnes qui passaient devant l'immeuble la remarquaient. Elle remarqua par moment les regards des gens sur elle, interrogateurs.

- Oh, on va graille bientôt là ? Demandait l'un des gars.

- Ouais il commence à faire faim là, on va en ville ? A côté du Kléber ? Proposait le petit frère.

- Vas-y on s'arrache, tu viens Bigo ou tu restes avec ta petite ?

Après un doute, il se leva. Il commença à sortir une clope et à la porter à sa bouche. Il l'alluma, prit une taffe et expira lentement en regardant sa clope.

- Tu veux venir ? Demandait-il à la petite.

Toujours le regard porté au loin, cette fois-ci elle avait capté. Elle était peut être attentive, finalement, à l'attention qu'il lui portait. Malgré ses airs, elle y prêtait attention.

- Moi ?

Elle sembla surprise. Nul doute qu'elle ne s'attendait pas à autant se faire démarquer, elle s'était habituée à être effacée, à se faire oublier, à passer si inaperçu qu'on la bousculait souvent devant l'entrée de l'immeuble, quand les gens passaient.

- Ouais on va graille, tu veux venir ?

Il y avait eu peu d'échanges entre eux. Ils ne savaient rien l'un de l'autre, pas même les bases. Pourtant, il dégageait quelque chose de serein, une confiance. Il était calme.
Elle, elle dégageait de la crainte. Un calme sous-jacent une tempête.

Elle ne répondit pas, elle réfléchissait encore beaucoup trop. C'était vraiment curieux, de se faire remarquer. Un esprit tourmenté qui remettait tout en question. Même si la question était simple, elle semblait ne pas la comprendre. Son esprit n'était pas clair.

- Pourquoi ? Demanda t-elle, sincèrement.

Tout se passait lentement. Leurs échanges, leurs réponses. Comme s'ils essayaient chacun de comprendre l'autre, de capter quelque chose simultanément.

- Pourquoi quoi ? Pourquoi grailler ?

Il sourit.

- Aller vas-y, viens, te prends pas la tête.

Il entreprit les choses. D'un coup, il se baissa pour lui prendre la main et la tirer pour la relever, doucement. Ses deux mains attrapèrent son bras. Elles avaient glissé le long de son jeune bras, lentement. Une de ses mains toujours dans la sienne, comme pour la rassurer. Il sourit. De ses yeux bruns clairs, elle le dévisagea. Il était plus grand qu'elle, c'était une mini-pousse. Il était plus vieux aussi, un peu de barbe et une moustache mal rasée. Les yeux marrons et toujours ce sourire en coin. ''Toujours'', alors qu'elle ne l'avait vu qu'une fois avant. Mais il dégageait quelque chose de positif. Elle n'y était pas habituée. Elle continua de le dévisager en silence, les sourcils légèrement froncés, ses jeunes yeux méfiants essayant de scruter la moindre parcelle du bonhomme devant elle. Il brisa le silence.

- Aller viens, je te paye un truc, disait-il en l'entraînant doucement vers le reste du groupe qui avait déjà fait quelques pas devant eux.

Elle remarqua qu'il venait de lâcher sa main. Elle remarqua tout.

- Hm... non... mais...

Il se retourna doucement. Il était doux. Elle n'y était pas habituée.

- Je te force pas, je te propose juste t'as vu. Ça te ferait du bien de bouger un peu d'ici. On y va souvent graille là-bas, t'inquiète je te ramènerais après. Je dois rentrer voir ma grand-mère de toute façon après, elle habite au 3ème.

Elle entrouvrit légèrement la bouche. Il sentait bien qu'elle était anxieuse.

- T'as besoin de prévenir quelqu'un que tu bouges ?

- Non. J'ai personne à prévenir, dit-elle calmement.

Il sembla dubitatif, mais ne voulait pas insister.

- Ok, ben vas-y viens alors, on fait ça. On fait un tour et je te ramène.

Tout commence à l'Iris 𑁋 Deen BurbigoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant