Papy avait ramené la fille à la Cité. Malgré le peu d'éloquence qu'elle eut, elle lui avait quand même dit son nom : Lunah. Il s'était aussi présenté : Mikaël, ou Papy, ou Deen, apparemment un dérivé de son ancien nom de danseur. Il avait déménagé depuis quelques années à Toulon, pas très loin d'ici, mais revenait de temps en temps pour voir sa grand-mère ici, à Marseille. Il avait 16 ans. Le peu de choses qu'il savait sur elle, c'est qu'elle avait 13 ans, et qu'elle avait souvent déménagé, toujours sur Marseille.
- Tu jactes pas beaucoup comme fille, avait dit Deen pour briser le silence qui s'était installé sur le chemin de la Cité. Normalement une meuf ça s'époumone, ça gueule, ça prend la tête. T'es plutôt timide à côté, du genre solitaire.
- Je sais pas, peut être, lui avait-elle répondu faiblement.
Elle sembla toujours garder son air pensif, attentive à tout ce qui se passait autour d'elle. A chaque bruit, chaque nouvelle lumière au loin, elle captait, comme le radar d'une chauve-souris qui capte les résonances dans l'air.
Arrivés devant l'immeuble, ils s'y arrêtèrent, dans l'attente d'une action. Mais ils restèrent là, fixes, à quelques mètres de la porte.
Deen semblait vraiment perplexe à l'idée de la laisser seule ; malgré son calme apparent, elle n'avait pas l'air de vouloir rentrer. A vrai dire, le peu de fois où il l'avait vue, elle n'était pas rentrée.- Tu veux pas rentrer chez toi ?
Elle fixa encore l'encadrement de la porte, ses yeux se baladaient sur les marches de l'escalier qui montait aux étages.
- Non, il est encore tôt.
Il était environ 20:30. Perplexe.
- Il se passe un truc chez oit pour que tu veuilles pas rentrer ?
- Non.
Elle avait répondu vite et pour une fois, fermement. C'était évident qu'il se passait quelque chose.
Au même moment, une femme sortit de l'immeuble. Lunah releva la tête et sembla la dévisager. Ses yeux bruns si calmes semblaient soudainement s'être agrandis, ses sourcils légèrement froncés. Elle attendait.- Qu'est-ce tu fais toi, là ? Dit la femme en pointant du doigt Lunah. Elle ne calculait même pas Deen à côté d'elle qui ne savait pas comment réagir.
La femme, les cheveux en crinière ébouriffée, mal maquillée, et qui était dans ce qui s'apparentait à une vieille tunique de pyjama, s'approcha de Lunah, toujours en la pointant du doigt et sans qu'elles se lâchent du regard.
- T'as bougé, t'étais où ?
Lunah resta impassible, les yeux toujours fixés dans ceux de la femme en face d'elle. Si elle n'était pas sortie du même immeuble, Deen l'aurait certainement jetée vu ses airs de folle apparents.
- Réponds-moi, t'étais où ? T'as bougé !
Elle sembla presque menaçante envers la jeune fille, qu'elle ne lâchait pas comme un animal sur sa proie. Deen, mal à l'aise, ne pu s'empêcher d'intervenir.
- Oh oh, doucement. On est allé manger c'est tout. On a-
- Oh toi le minot tu fermes ta gueule. Aller, rentres toi ou j'te met un taqué là. Elle désigna la porte d'entrée.
- Non mais t'es f-
- Tu FERMES ta gueule je t'ai dit toi !
Elle rebroussa immédiatement chemin vers la porte, qu'elle tenait d'une main en claquant à la jeune fille de rentrer de l'autre.
Un bref instant plus tard, Lunah se dirigea calmement vers la porte. Tout en fixant la folle au pyjama, nerveusement, qui était sur ses talons, Deen regarda la gamine monter les marches sans un regard en arrière.''Mais elle est fada elle !'' Se dit-il.
Quelques minutes plus tard, ne sachant pas réellement réagir, il se décida également à rentrer.
Passé la porte, toujours ces odeurs enivrantes. Cette fois-ci, ça ne sentait pas le brûlé. C'était plus un mélange de poissons grillés. Quelque soit l'heure, le jour ou le lieu, toujours ces odeurs, propres au sud, ou bien propre au mélange des différentes communautés qui vivaient ici. C'était fascinant.
Arrivé au 3ème étage, le jeune homme s'arrêta devant la porte 3C, l'ouvrit et fut accueilli par les odeurs de légumes grillés, et les cris d'une petite femme un peu âgée qu'il s'empressa d'aller embrasser.
- Ah mais c'est maintenant que tu rentres ! Tu es sorti tard, je me demandais si tu mangeais ici. Je t'ai gardé à manger si tu as faim.
- Henna, je t'ai dit que je mangeais dehors ce soir. J'ai mangé avec Maxime, et j'ai proposé à la petite qui est souvent devant l'immeuble aussi de manger avec nous. Tu l'as déjà vue ?
Il partit s'asseoir à côté de la grand-mère sur le canapé, devant le feuilleton allumé.
- Oh oui oui je l'ai déjà vue. L'aînée s'empressa de tendre une assiette de sucreries au jeune homme. Elle est un peu bizarre elle est toujours devant quand je sors ! Mais elle est toute maigre la pauvre, elle ne doit pas très bien manger chez elle eh...
- Oui elle s'appelle Lunah... Mais y a une femme en pyjama là qui est sortie comme une fada quand je l'ai ramenée, oh je te jure elle était flippante henna ! Je sais même pas si c'est sa mère, mais elle avait pas l'air de vouloir la suivre con !
- Une folle en pyjama ? Oh ça doit être la folle du 5, elle en fait du boucan ! On entend qu'elle ici ! Elle passe ses journées et ses nuits à crier et à tout renverser ! Pauvre petite.
A moitié rassuré, le jeune homme finit de manger quelques sucreries de l'assiette. Perdu dans ses pensées, il n'écoutait même plus sa henna parler de son feuilleton. Il pensait à la gamine... Ses nuits dehors n'étaient peut être pas si singulières que ça finalement...
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Tout commence à l'Iris 𑁋 Deen Burbigo
General FictionDeen Burbigo 𑁋 L'Entourage 𑁋 Saboteurs ❝ 15 octobre 2004 - 23:30 Cité des Iris, Marseille. Assise sur la marche devant les portes de l'immeuble, des jeunes dealent à quelques dizaines de mètres plus loin. La gamine est seule, attend, fixe, o...