Plusieurs jours étaient passés depuis que Lunah avait été sortie de son kidnapping dans cet appartement de fous à Marseille.
Deen avait réussi à sortir Lou de chez le voisin louche avec coups et blessures. Les gars étaient intervenus rapidement pour l'y aider. Ils n'avaient pas eu trop de mal à gérer deux personnes et à sortir Lou de cet enfer. En réalité, il s'agissait de l'appartement du cousin de son père. Sa mère avait profité de l'appartement voisin pour la punir de l'avoir abandonnée et humiliée il y a plusieurs mois maintenant, sans chercher à revenir. Elle l'avait punie d'avoir commencé une nouvelle vie, loin d'elle, sans elle, et sans être là pour elle.Sa mère était sérieusement atteinte de bipolarité en phase maniaco-violente, qu'elle doublait avec une dépendance aux anxiolytiques sévère. Dès son plus jeune âge, elle dû gérer seule les phases maniaques de sa mère, souvent en spectatrice impuissante de ses excès compulsifs qui retournaient entièrement l'appartement. Souvent aussi, elle dû l'empêcher de s'auto-mutiler pendant ses plus grosses crises ; elle ne se souciait pas de Lunah, ne la voyait peut être même pas comme on voit son enfant. Elle vivait seule avec elle, spectatrice de ses crises, l'empêchant de se blesser gravement, elle était comme une aide soignante à domicile qui gère au quotidien un patient blessé. Parfois, dans ses phases dépressives, elle se confiait à elle, avec la haine que tout était évidemment de sa faute. Quel avenir pour un enfant à grandir dans cet environnement ?
Son père quant à lui, Lunah lui en avait finalement parlé après être rentrée sur Toulon, pour la première fois. Il l'avait abandonnée seule, avec sa mère, très tôt, lorsqu'elle avait 4 ou 5ans, et faisait régulièrement des séjours en hôpital psychiatrique et en prison pour des trafics qui tournaient mal.
Colérique comme sa mère, il frappait cette dernière régulièrement, qui vouait pourtant toujours un amour inconditionnel pour lui. Ils étaient tout deux épris d'une relation maniaco-dépendante malsaine, entre des prises de médicaments et rails dans les nasaux et des crises de jalousie violentes. Lui était un jaloux impulsif alors qu'elle n'avait pas le droit de sortir. S'il décidait quant elle sortait et qu'il la surveillait de près, elle, savait ses infidélités et n'hésitait pas à lui faire payer le prix fort, en trouvant de nouvelles raisons à sa colère : dépenses inutiles, sorties des nuits entières, photos compromettantes ou discours vagues qui entretiennent les délires fiévreux. Bref, la manipulation était de paire dans leur relation et tout était question à la violence verbale et physique.Et au milieu de ce chaos, il y avait Lunah. Lunah qui avait eu à affronter les coups de son père sur sa mère, et qui plus tard eu à la gérer entièrement seule, indépendamment de sa volonté ou de ses capacités malgré son jeune âge, en dépits même de sa propre évolution, de sa routine, de son échappatoire : l'école. Elle dû tout abandonner pour se livrer entièrement à cette vie familiale tumultueuse. Une vie de famille qui lui apprit à grandir plus vite qu'elle n'aurait dû, sans enfance et sans repères, à faire passer les autres avant elle, sans choix contraire. Elle dû accepter de recevoir des coups et des insultes de ses géniteurs sans rien avoir à y redire. Sa mère prenait un plaisir malsain à la dévaloriser sans cesse, ou à user de manipulation psychologique emplie de culpabilité. Elle s'occupait d'elle ou elle mourrait.
Et pourtant malgré cela, Lunah était foncièrement bonne. Elle regardait le monde avec curiosité, examinait les gens et semblait lire à travers eux, des émotions qu'ils dégageaient. Elle était un peu naïve et surtout très craintive, car au final, elle ne connaissait pas grand chose aux choses simples de la vie.
Ce n'était pas nouveau dans les quartiers qu'un gamin se débrouille seul, sans structure familiale soudée. Ici, souvent, un des parents est déjà parti et c'est à la mère ou à la grand-mère de gérer, et les gamins sont livrés à eux-mêmes à l'extérieur, développent des stratèges parfois dangereux pour trouver une place, se forger une identité. C'était monnaie courante. Mais Lunah, elle, restait dans l'ombre de ses peines. Elle ne cherchait pas une identité, elle cherchait à comprendre la façon dont le monde fonctionnait, survivait par l'observation. Cela la rendait douce et réfléchie, et surtout profondément humaine. Il n'était pas question de dévaloriser les autres ou de les surpasser, il était question de comprendre ce qui les emmenait à réagir de la sorte. Et les inquiétudes des humains étaient grandes, bien trop souvent centrées sur eux-mêmes, sur leurs propres échecs qui se répétaient encore et encore.Il aurait fallu voir au-delà de ses propres échecs, voir les réussites. Si sa mère avait réalisé une seule seconde qu'elle rejetait la seule personne dans sa vie qui restait à ses côtés malgré la maladie et les crises, elle aurait peut être mieux accepté sa présence, et une autre relation aurait pu se créer.
Mais Deen était persuadé que malgré ce qu'elle avait vécu toutes ces années, Lunah devait certainement essayer aujourd'hui de tirer le meilleur de ce qui se présentait à elle. Sa rencontre avec Deen, ces derniers mois ensemble, et sûrement même qu'elle pensait à toutes ces bonnes choses lorsque sa mère la battait dans cette chambre, préférant se souvenir du meilleur en attendant que le pire passe.Il la regardait dormir ce soir-là, un carnet et un stylo dans la main. Il lui prêtait son lit ces derniers jours. 5 jours étaient passés, mais la peur de la perdre à nouveau était toujours présente. Les bleus sur son visage encore tuméfié laissaient le souvenir de cette nuit-là.
Il ne voulait clairement plus ressentir cela, cette crainte et cette colère, mélangées à l'inquiétude de voir son petit frère meurtri conduit à l'hôpital. Il avait la rage de vaincre cette colère et cette crainte. Alors il écrivait, il écrivait des lignes et des lignes.- Soit on meurt, soit on survit le cœur endurci... Ici, la vie...
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Tout commence à l'Iris 𑁋 Deen Burbigo
General FictionDeen Burbigo 𑁋 L'Entourage 𑁋 Saboteurs ❝ 15 octobre 2004 - 23:30 Cité des Iris, Marseille. Assise sur la marche devant les portes de l'immeuble, des jeunes dealent à quelques dizaines de mètres plus loin. La gamine est seule, attend, fixe, o...