Chapitre 10

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Enzo pose le plateau repas sur la place du milieu, restée vide. À la table, une seule discussion est sur toutes les bouches : chacun fait des commentaires, établit des théories ou des démarches à suivre. Tous répètent que c'était quand même incroyable. Bill se tourne vers le jeune homme qui venait de s'installer.

— Et toi, Enzo, t'en pense quoi ?

— J'en pense qu'il va falloir le coincer le plus vite possible, avant que cela se sache.

Il pique la fourchette dans un bout de pomme de terre. Il est de mauvaise humeur. Ce gars, Julien, avait vraiment choisi le mauvais moment pour se faire remarquer. Puis, petit à petit, on fit le tour de la question et on changea de conversation, du moins jusqu'à la fin du repas. Enzo vérifie le téléphone. Jen ne lui avait pas répondu. Elle devait être réveillée maintenant. Était-elle plongée dans la lecture d'un livre au point d'oublier de répondre ? Ou bien lui faisait-elle définitivement la tête ? Il tâche d'écarter ces mauvaises pensées ; il devait se concentrer pour gérer la crise. Plus vite ils le retrouveraient, plus vite il pourrait prendre des congés. Aussitôt la dernière part de muffin avalée, il nettoie le plateau et lance à la cantonade :
— Je vais commencer à préparer le matériel, il faut qu'on se rende sur place. Je prends trois hommes avec moi. Deux resteront ici pour gérer les autres non-conformes et un autre contacte la famille, fouille Rézo... Je veux un rapport détaillé sur lui, ce qu'il pense, ce qu'il fait. Qui se sent capable de faire cela ?

Une main se lève. Enzo hoche la tête. Il distribue les autres rôles.

— Bill, tu viens avec moi à Pau aussi. On s'y rend en hélico pour aller plus vite.

Il laisse alors les six hommes finir de manger et se dirige vers la tour de contrôle. On utilisait très peu l'hélicoptère, rarement pour des missions. Le plus souvent, il était mis à la disposition du patron lorsqu'il se rendait à des meetings de l'autre côté de l'Atlantique. Les États-Unis avaient un peu de retard, mais ils commençaient eux aussi à se servir des capsules.

Un homme était vissé au siège de la tour de contrôle, un casque sur les oreilles. Il partageait le travail entre ici et l'aéroport commercial. Enzo est soulagé de le trouver déjà en place. Il pose la main sur l'épaule du contrôleur, qui sursaute. Il se retourne et enlève le casque.
Vous m'avez fait peur ! J'espère que vous avez une bonne raison de me déranger.
Enzo faillit répliquer qu'il n'était pas payé à rien faire, et qu'il était donc juste qu'on le dérange, mais il s'abstint. À la place, il enfonce les mains dans les poches et prend un air décontracté.

— Je vais avoir besoin de l'hélico. Je dois me rendre à Pau de toute urgence, avec trois passagers. Vous pouvez être prêt à quelle heure ?

— Dans une heure, c'est fait.

Enzo grogne. Il se dit que pour une urgence, c'était un peu long. L'autre hausse les épaules, indifférent.

— Eh, on est pas à Roissy, hein. Moi je suis tout seul, je peux pas tout faire.

— Ouais, mais y a qu'un seul hélico à s'occuper, lance Enzo avec humeur avant de partir.

Il avait l'impression qu'on cherchait à lui mettre les bâtons dans les roues. L'idée que cela soit un test lui traverse l'esprit. Ils n'auraient quand même pas poussé le réalisme jusque-là, si ? Tout en zigzaguant dans les couloirs pour atteindre l'ascenseur, Enzo réfléchit. Test ou pas, il devait faire du mieux qu'il pouvait : l'estime du beau-père était en jeu.

Il descend au sous-sol, récupère du vieux matériel qui n'avait pas servit depuis très longtemps et qu'on avait entreposé là « au cas où ». Les gardes n'avaient pour arme qu'une matraque, dont ils ne se servaient que très peu et les agents de terrain qui attrapaient les non-conformes se limitaient aux tasers si les choses dégénéraient. Cela et la casquette noire frappée du logo étaient en réalité le seul matériel utilisé. Pourtant, ici, on trouvait de quoi faire sauter des immeubles, brûler des maisons et tuer d'un seul geste de l'index.

Enzo fouille, finit par trouver ce qu'il cherche : il prend quatre sacs qu'il remplit de matériel : lampe-torche, corde de rappel, talkie-walkie, une trousse de soin et une petite mallette de bricolage – on ne savait jamais. Il teste un par un le matériel pour vérifier qu'il marche. Il ne manque plus que les tablettes, qui elles, se trouvent encore en haut. Même si on ne pouvait pas repérer Julien sur une carte par satellite, on pourrait peut-être s'en servir pour chercher d'autres indices. Enzo s'apprête à partir lorsqu'il s'arrête. Il balaye une dernière fois la pièce du regard et tombe sur un petit revolver léger et maniable. Il avait eu quelques cours de tirs durant la formation. Il savait s'en servir. Il le décroche de l'étagère où il était accroché, souffle la poussière dessus. Il n'est pas chargé. Il cherche ce qu'il faut, trouve même une sacoche pour l'accrocher à la ceinture. Il se sent prêt. La lumière s'éteint derrière lui, plongeant de nouveau la pièce dans le noir, encore pour de nombreuses années.

Il récupère les derniers éléments qui lui manquent. Il ne sait pas trop ce qu'il doit faire : il n'a jamais fait face à ce genre de situation. D'ailleurs, personne n'avait eu à faire face à ce genre de situation, et il se sentait perdu. Lorsqu'il rejoint les trois hommes sur la piste de décollage, ils ont tous le visage tendu. Ce n'est plus l'heure de l'amusement : la réalité les rattrape et elle est palpable.

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