Julien se souvenait d'un long couloir blanc où les talons hauts d'Hélène résonnaient sur le carrelage. C'était un hôpital. Hélène lui avait expliqué qu'ils avaient été convoqués, comme beaucoup de personnes, pour recevoir une capsule. Que c'était une nouvelle loi et que tout le monde devait en avoir une. Julien avait demandé si c'était un jouet avec lequel il pourrait jouer. Hélène avait secoué la tête et avait répondu que c'était pour être plus en sécurité et pour qu'il n'y ai plus de méchants dans le monde. Puis, ils étaient montés dans la voiture et Hélène avait conduit jusqu'au grand hôpital de la ville, où le lieu du rendez-vous avait été fixé. Elle marchait devant, vite (elle avait peur d'être en retard) et Julien peinait à suivre avec les petites jambes d'enfant de cinq ans. Il serrait contre lui le petit téléphone pour enfant, comme pour se rassurer. Il n'aimait pas l'ambiance froide de cet hôpital.
Enfin, à un tournant du couloir, une grande salle apparût. Elle était déjà pleine de monde, assis sur des chaises, le nez sur le téléphone, patientant comme ils pouvaient. Hélène repéra un siège vide et se dirigea vers celui-ci. Il n'y avait plus de place pour Julien à côté, elle le fit asseoir par terre. Elle croisa les jambes fines et hautes, attrapa le téléphone qui était dans le sac à main et ne se préoccupa plus de Julien. Ce dernier l'imita et ouvrit un jeu. C'était celui qu'il préférait. Il fallait empiler les blocs et au bout de quatre de la même couleur, s'ils étaient alignés, le bloc disparaissait, libérant de la place. On avait perdu lorsque l'on ne pouvait plus placer les pièces sur le plateau. Il fallait faire le plus de points possibles. Il était absorbé dans le contenu du jeu lorsqu'une voix fluette le fit sursauter.
— Tu joues à quoi ?
Julien releva la tête et se trouva nez à nez avec une petite fille aux cheveux roux et épais, le visage piqueté de taches de rousseur. Les yeux verts de la petite fille reflétaient de la curiosité enfantine et innocente. Julien replongea la tête dans le jeu.
— Je joue à Bloz. Faut mettre des...
— Je connais. J'ai le même. Mais c'est trop facile, l'interrompit-elle. Le score le plus haut que j'ai fait, c'est six, euh. Avec un quatre et deux zéros après.
Julien jette un regard au sien qui était affiché en tout petit, à droite de l'écran. Il avait seulement un huit et deux zéros.— T'es une menteuse, c'est pas possible, grogne-t-il.
— Non, je suis pas une menteuse.
— Alors montre-moi le score que tu as fait.
La jeune fille hausse les épaules avec mépris.
— Je peux pas, j'ai passé le téléphone à la petite sœur. Elle a un an, alors elle en a pas encore. Comme papa a dit qu'il y avait beaucoup d'attente, il fallait que je lui passe.
Sur l'écran, le mot Game over apparaît. Julien éteint le téléphone et le tend à Hélène.
— Tu peux le mettre dans le sac, Maman, steuplait ?
Hélène prit le téléphone et le rangea sans même jeter un regard à Julien. Il se tourna alors vers la petite fille et la regarda plus en détail. Elle portait une robe mauve à volant que les mains potelées lissaient distraitement. Au poignet, elle avait quelques bracelets colorés et des pinces dans les cheveux.— Je m'appelle Sophia, et toi ?
— Julien.
Il y eut un silence un peu long, et le petit garçon risqua :— Tu viens pour qu'on te donne une capsule ?
Elle secoua la tête, prenant un air sérieux.— Non, moi et papa, on en a eu une la semaine dernière, mais là, je viens pour Camilla.
Le doigt potelé désigna un homme assis sur une chaise, une petite fille sur les genoux. Tous deux avaient le téléphone dans la main. La petite fille avait les mêmes cheveux roux que Sophia, quoiqu'un peu plus foncés.— Tu peux me montrer comment c'est ?
— Je peux pas, ils ont dit que c'était dedans moi.
Julien jouait avec le lacet défait de la basket rouge. Il l'enroulait et le déroulait autour du doigt. Il s'arrêta.
— Dedans nous ? Mais ça fait mal, alors ?
De nouveau, Sophia hausse les épaules, indifférente.
— Non, tu fais dodo, tu sens rien.
Cela rassura un peu Julien. Il ne voyait pas l'intérêt de recevoir quelque chose qu'on ne pouvait pas voir, ni toucher. Il aurait mieux aimé qu'on lui donne une peluche, ou même une petite voiture.
— Tu fais quoi, comme métier, demanda Sophia.
— Ingénieur pour les voitures, répondit Julien. Et toi ?
— Restauration.
Julien renifla. Il ne savait pas quoi dire d'autres. Sophia ne l'intéressait plus. Il reprit le téléphone dans le sac d'Hélène et recommença à jouer. Sophia regardait par-dessus l'épaule de Julien et parfois, elle lui donnait des conseils. Cela l'agaçait un peu, mais il dépassa le record précédent. À l'écran, le mot Congrat s'afficha.
— Tu vois, c'est facile, souffla Sophia.
De temps en temps, une femme en blouse blanche appelait des noms et des personnes se levaient. Le reste du temps, la salle était plongée dans un silence de plomb, entrecoupé par quelques toux et raclement de chaises. Enfin, la femme en blouse blanche réapparut :
— Camilla 2-2-3914-0140.
Le père de Sophia se leva, la petite fille dans les bras. Il chercha la plus grande du regard.
— Je dois y aller, explique Sophia à Julien.
Elle se leva également, épousseta la robe mauve et se précipita vers l'homme qui l'attendait, debout au milieu de la salle. Avant de passer la porte et de suivre la femme en blouse blanche, Sophia se retourna et fit signe de la main à Julien. Il ne répondit pas et se replongea dans le jeu. Sophia n'était déjà plus qu'un lointain souvenir pour lui. L'attente fut longue. Julien eut le temps de faire onze parties de Bloz, puis, lassé, il changea de jeu quand enfin la femme en blouse blanche l'appela :
— Julien 1-2-2240-1329.
Hélène se leva, ajusta le sac à main sur l'épaule et s'avança vers la femme. À peine se retourna-t-elle pour voir si Julien la suivait. Le petit garçon était agacé de devoir se lever maintenant, alors qu'il était au beau milieu d'une partie, mais visiblement, Hélène n'était pas d'humeur à l'attendre, il se dépêcha donc de la suivre en faisant attention de ne pas trébucher sur le lacet défait.
De nouveau, ils s'enfoncèrent dans une enfilade de couloir, à la suite de la femme. Elle parlait avec Hélène qui hochait de temps en temps la tête, mais Julien avait dû mal à comprendre la conversation. Enfin, on s'arrêta devant une porte et la femme ouvrit.
— Je vous laisse avec le docteur.
Hélène entra, mais Julien s'arrêta et regarda la femme.
— Le docteur ? interrogea-t-il. Je croyais qu'on allait me donner une capsule.
Il se sentait trahi, avec la désagréable impression de s'être fait avoir. Il détestait aller chez le docteur. La femme sourit.
— Oui, c'est le docteur qui va te donner la capsule.
— Mais je veux pas aller chez le docteur, moi ! s'exclama Julien.
Il croise les bras sur la poitrine, les sourcils froncés, décidé à ne pas bouger. Hélène fit demi-tour et l'attrapa par le bras.
— Ça suffit, Julien, pas de cirque ! Tu vas voir le docteur.
Julien cria, mais Hélène avait plus de force que lui et il fut obligé d'entrer dans la salle du docteur, où se trouvait un bureau noyé sous une tonne de piles de documents en tout genre. Hélène le força à s'asseoir et se laissa tomber sur le dernier fauteuil disponible en face du médecin. Elle souffla et replaça une mèche de cheveux blond derrière l'oreille.
— Excusez-moi, cet enfant est infernal, se justifia-t-elle.
Julien pleurait silencieusement, n'osant pas bouger de l'endroit où on l'avait installé. Les larmes l'empêchaient de voir distinctement le docteur. Il ne voyait que la blouse blanche et la grosse moustache qui bougea quand il se mit à sourire.
— Ne vous en faites pas, il n'est pas le seul enfant à ne pas aimer le médecin. C'est normal à cet âge.
Le docteur lui tendit une corbeille où s'amassait des bonbons de toutes les couleurs. Julien en prit un.
— Voilà, pleure pas bonhomme : tu vois, je ne vais pas te faire de mal.
Il reposa la corbeille sur le bureau et croisa les doigts avant de se tourner de nouveau vers Hélène.
— Bien, je suppose que vous avez lu la convocation. Cette étape est importante et assurera la sécurité de Julien, comme la vôtre. Vous avez été convoqué aussi, n'est-ce pas ?
Hélène confirma. Le docteur continua :
— Vous allez passer en première. Vous serez endormie complètement. De cette façon, vous ne sentirez rien durant l'opération, mais mieux encore : vous ne saurez jamais où se trouve la capsule. C'est très important, ce détail évitera qu'on puisse vous torturer pour savoir l'emplacement ou qu'un criminel l'enlève pour disparaître dans la nature. Cela renforce la sécurité, vous comprenez ?De nouveau, Hélène hocha la tête. Elle semblait suspendue aux lèvres du médecin. Julien écoutait d'une oreille distraite, il faisait attention de ne pas s'étouffer en suçotant le bonbon à la fraise.
— Je vais vous faire remplir un questionnaire, pour les éventuelles allergies ou les problèmes médicaux, annonça le médecin avant de désigner Julien du doigt. Le père n'est pas là ?
— Il n'y a pas de père, répondit Hélène alors qu'elle commençait à remplir le questionnaire.
— Oh, je vois.
Le docteur resta silencieux le reste du temps, attendant qu'Hélène finisse de remplir le questionnaire. Puis il appuya sur un bouton et articula dans le micro :
— Charlène, ils sont prêts, tu peux les emmener au bloc et venir avec les suivants.
Il serra la main d'Hélène et ébouriffa les cheveux de Julien qui suçotait toujours le bonbon. La femme en blouse blanche les conduisit de nouveau dans une enfilade de couloir. Julien décida qu'il détestait l'hôpital et qu'il ne changerait pas d'avis, même pour tous les bonbons du monde. On les fit patienter de nouveau dans un couloir. Ils étaient seuls. L'attente dura moins longtemps et un médecin vint les chercher. Hélène suivit le médecin et Julien resta seul avant qu'un autre médecin, une femme, cette fois, vienne le chercher. Elle le fit entrer dans une pièce bizarre où se trouvait trois autres personnes et des grosses machines aux multiples écrans. On le fit s'allonger sur un lit.
— C'est l'heure de la sieste, lui dit la dame en gloussant.
On lui posa un masque sur le visage. Julien était tétanisé, mais bientôt, il se sentit plus léger, et il finit par s'endormir.*
Julien se réveille. Le soleil est déjà haut dans le ciel et vient chatouiller le visage du jeune homme. Il sort de la voiture, il a mal au dos d'avoir dormi dans cette position. Il s'étire, baille. Il a l'impression d'être en vacances. Le champ est toujours le même, si ce n'est qu'il en distingue mieux les détails maintenant qu'il fait jour. L'arbre est un genévrier. Julien a très faim. Il remonte dans la voiture. Il décide de s'éloigner de Pau, afin de brouiller les pistes. Anna devait sûrement le chercher, inquiète, voyant qu'il ne répondait plus au téléphone. À moins qu'elle était encore trop fâchée contre lui.
Il n'avait aucune idée de comment cela se passait : est-ce que quelqu'un avait remarqué l'absence de Julien ? Est-ce qu'ils avaient contacté le gouvernement ou quelque chose pour le chercher ? Julien fouille dans les souvenirs, mais il ne se rappelle pas avoir entendu une quelconque affaire similaire à la radio. Il démarre la voiture et s'engage sur la route. Le plus urgent maintenant est de trouver à manger. Il s'enfonce dans la campagne, s'arrête lorsqu'il voit des buissons, et regarde s'il n'y a pas des mûres. Il se souvient d'une sortie scolaire où ils étaient allés cueillir des fruits. On lui avait appris à reconnaître les arbres et les plantes. Au bout de quelques heures, il finit par trouver un mûrier, enlacé dans les ronces sur le bas-côté, le long d'un petit ruisseau. Il s'en gave, en cueille encore quelques-unes pour plus tard.
Il a roulé vers le Nord. S'il récupère la départementale, il arrivera bientôt sur l'autoroute. L'autoroute est le meilleur moyen d'aller loin. La journée est bien entamée. Il calcule cependant qu'il peut être à Paris à la tombée de la nuit. La grande ville lui paraît être une bonne idée, il pourra se fondre dans la masse, espère-t-il. Puis, il pense à Papi Nico. C'est là que se trouve le centre de conformité où ils l'ont emmené. Y était-il toujours ? Julien n'en savait rien. Il n'avait eu aucune nouvelle depuis l'arrestation de Papi Nico.
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Capsule
Science FictionAprès le Grand Soulèvement, des lois ont été créée pour satisfaire la population qui réclamait plus de sécurité, qu'elle soit financière ou politique. Ceux qui ont pris le pouvoir ont réussi à instaurer l'ordre et à rendre le monde parfait : il n'y...