L'ambiance est lourde au sein de l'hélicoptère. Personne ne parle, malgré le long trajet. Devant, le pilote est concentré sur la conduite, mais Enzo, lui, n'a rien à faire et cela le ronge. Il aurait aimé pouvoir conduire l'engin, afin de conjurer les pensées qui l'assaillent. De temps en temps, il jette un coup d'œil à l'arrière, vers Jen. La jeune femme est assise à côté de Bill, collée contre la paroi de métal de l'appareil, la tête posée dans le creux de la main, observant le paysage qui défile. Il aurait aimé pouvoir lui parler et s'expliquer avec elle, mais la présence de Bill et du pilote rendait impossible toute conversation intime.
De l'autre côté de Bill, Julien gisait, inconscient. À moins qu'il ne fasse semblant d'être inconscient. Enzo avait demandé à Bill de lui passer des menottes, pour plus de sûreté. Un hématome bleu-jaune commençait à s'étaler le long de la mâchoire fine du jeune homme. Enzo ne l'avait pas raté. Il en ressentait une certaine satisfaction, mais également une pointe de perplexité. Il n'avait pas réussi à se contrôler et avait frappé Julien alors qu'il était à terre, sans défense.
Les paroles de Jen lui reviennent en mémoire. S'il tire, s'il te tue alors que tu te rends, il montrera à tous que même un conforme peut faire quelque chose d'horrible. Il n'avait pas tué Julien, mais il l'avait frappé sans aucune justification, sinon celle de lui faire mal, de le détruire, de voir ce visage aux traits fins se réduire en bouillie. Sans doute cela signifiait-il qu'il ne valait pas mieux que les non-conformes qu'il pourchassait. Un frisson le parcourt. Il s'ébroue et tente de chasser ces pensées dérangeantes pour le reste du trajet.*
L'hélicoptère atterrit sur le toit du centre, à l'endroit même où il avait décollé, quelques jours plus tôt. Moins d'une semaine s'était écoulée depuis le début de la fuite de Julien, mais Enzo avait l'impression que cela faisait des mois. Il saute à terre alors que le moteur de l'engin ronronne encore et embrasse du regard le complexe qui s'étend sous lui.
Un pincement au cœur le prend. Il a l'impression de rentrer à la maison après de longs mois à l'étranger. Pourtant, il sait que ce retour ne marque pas un retour à la normale, loin de là. Il contourne l'appareil pour aller aider Jen à descendre. Derrière lui, Bill saute également, puis porte Julien, toujours inconscient. Des quatre heures qu'ont duré le trajet, le jeune homme n'a pas ouvert les yeux. Enzo se prend à espérer qu'il ne soit pas mort, et qu'il se réveillera dans quelques instants, sous le regard bienveillant d'une infirmière.
Au moment où la portière de Jen s'ouvre, le regard d'Enzo est attiré par un mouvement, à l'autre bout du toit, vers la sortie. Une armada d'hommes et de femmes munis de caméras et d'appareils photo ne perdent pas une miette de la scène. Au milieu d'eux, Eliott qui s'avance pour aller à la rencontre d'Enzo.
— Merci, souffle Jen alors qu'elle saisit la main qu'Enzo lui tend.
Elle descend, d'un bond souple. Les deux mains se séparent, aussi vite qu'elles se sont jointes. Enzo reste, les bras ballants, sans savoir que faire ou que dire, alors que la jeune femme s'éloigne. Il la retient par le bras, plus fermement qu'il ne l'aurait voulu, et plonge les yeux dans ceux de Celle-qui-lui-est-Promise :
— Il faut qu'on parle. Plus tard.
Elle hoche la tête et se dégage. Il la regarde avancer vers la sortie, vers cette armée de journalistes occupés à photographier le corps inanimé de Julien dans les bras de Bill. Elle croise Eliott, qui la serre contre elle. Ils s'échangent quelques mots, mais Enzo est trop loin pour entendre ce qu'il se dit. Il regarde seulement le frère et la sœur se retrouver, Eliott examiner Jen sous toutes les coutures, les embrassades. Sait-il que Jen les a trahis ? Lui a-t-il déjà pardonné ?
Et aussitôt que la question se fraye un chemin dans la tête d'Enzo, une autre la remplace : la pardonnera-t-il, lui ? Enfin d'éviter d'y penser, il ferme la porte latérale et coulissante de l'hélicoptère dans un grand bruit métallique, puis se dirige vers Eliott. Jen lui laisse la place, sans rien dire et continue d'avancer vers l'intérieur du bâtiment.
Eliott lui assène une forte tape sur l'épaule, un grand sourire aux lèvres :
— Bravo Enzo ! J'avais fini par penser que tu ne l'attraperais jamais.
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Capsule
Science FictionAprès le Grand Soulèvement, des lois ont été créée pour satisfaire la population qui réclamait plus de sécurité, qu'elle soit financière ou politique. Ceux qui ont pris le pouvoir ont réussi à instaurer l'ordre et à rendre le monde parfait : il n'y...