Chapitre 33

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— Réveille-toi ! Réveille-toi !

On le secoue dans tous les sens, sans ménagement. Dans un sursaut, Julien ouvre un œil, se redresse d'un bond. Il regarde de tous les côtés, mais il ne voit que les troncs d'arbres les plus proches et le reste plongé dans l'obscurité.

— Quoi ? fait-il.

Dans l'intonation de la voix du jeune homme, on devine la panique. Mais Jen ne paraît pas du tout affolée. Il peut voir les dents de la jeune femme briller, accrochées par un rayon de lune. Julien se frotte les yeux. L'adrénaline redescend, et il sent maintenant les désagréments de ce réveil brutal.

— J'espère que tu as une bonne raison de m'avoir réveillé, grogne-t-il.

Jen secoue la tête et le sourire s'élargit.

— Je sais où elle est, annonce-t-elle.

Julien n'y comprend rien. Il regarde Jen avec un air ahuri. La jeune femme est assise en tailleur à même le sol, les mains sur les genoux, le dos droit. Et elle ne se départit pas de ce grand sourire.

— La capsule, ajoute-t-elle. Je l'ai trouvée.

— Quoi ? Mais c'est génial !

Jen hoche la tête, et l'expression qu'elle aborde change. Le sourire meurt et laisse place à un air grave.

— Elle est juste là.

Elle baisse le gilet noir, dévoilant l'épaule où un dragon noir est tatoué. Elle pointe la tête de l'animal et Julien grimace. Cela risquait de lui faire très mal. Jen redresse la tête et se lance dans des explications :
— Je suis presque sûre que c'est ici. Je ne la sens toujours pas, mais je me suis souvenue que lorsque je me suis faite tatouer, le tatoueur a eu dû mal a bien dessiné la forme de la tête. Il avait l'impression que l'aiguille buttait sur quelque chose...

— La capsule, en déduit Julien.

— Exact.

Elle fouille dans le sac à dos et déniche le petit canif. La lame est mal affûtée, cela risquait d'être encore plus compliqué que prévu. Julien grimace.

— Tu es sûre de vouloir faire ça ? Après, on ne pourra pas revenir en arrière.

Jen roule des yeux.

— Bien sûr que je suis sûre, sinon je ne t'aurais pas réveillé en plein milieu de la nuit.

Avec un soupir, Julien attrape le canif qu'elle lui tend. Elle se place à côté de lui, le bras dénudé. Julien hésite encore. Il sait que cela va être un carnage.

— C'est où, exactement ? Demande-t-il.

— Sur le derrière de la tête du dragon, à la limite entre le tatouage et la peau.

— Ok.

Julien appuie la lame un peu au-dessous de l'endroit indiqué. Il appuie un peu, guettant la réaction de Jen. Celle-ci ne bouge pas. Il appuie de nouveau, plus fort.

— Attends, attends, l'interrompt la jeune femme.

Elle lui prend le canif des mains et d'un geste vif et sûr, elle le glisse dans un des trous du jean, à mi-cuisse. Elle découpe alors la jambe en petite lanière large.

— Ca va saigner et on n'a pas de pansement, explique-t-elle.

Elle rend le couteau-suisse à Julien, et lui fait signe de continuer. Il appuie de nouveau à l'endroit indiqué, la peau se tend autour du point de pression. Il appuie encore plus fort et fait glisser la lame. Rien ne se passe.

— D'un coup vif, marmonne Jen.

Julien recommence en suivant les instructions de la jeune femme. Cette fois, la peau se déchire. La coupure est nette. C'est déjà ça. Julien jette un coup d'œil à Jen. Elle grimace et des larmes semblent perler aux coins des yeux, mais elle ne dit rien.

— Là, c'est le moment pas agréable, prévient-il.

Il insère la lame dans la plaie et tente de trouver le petit bout de plastique caché dans le bras de Jen. Bientôt, il sent le petit carré. Il le fait glisser vers l'ouverture, pour le ramener à l'air libre et afin de ne pas le perdre dans la végétation et l'obscurité, il pose la main libre en coupe pour le récupérer à la sortie. Jen grimace à chaque mouvement de la lame dans la plaie. Julien la voit, du coin de l'œil, qui sert les dents pour ne pas crier.

— Ca y est ! Je l'ai.

Jen se penche vers la main de Julien, tachée de sang.

— C'est ça ? Ce petit truc ?

— Oui, répond Julien.

— Et tu en as fait quoi, toi ?

— Je l'ai détruit.

Jen enroule la bande de jean qu'elle a préalablement découpée autour de la plaie. Elle sert pour qu'elle soit bien maintenue. Puis elle pose le menton sur les genoux ramenés vers elle.

— Ok, faisons ça.

Quelques minutes plus tard, la capsule de Jen était détruite, écrasée par une pierre et les deux fugitifs s'étaient recouchés.

*

Les rayons du soleil se reflétaient dans l'eau claire de la rivière. Ils s'étaient arrêtés pour manger près de ce point d'eau, admirant le paysage. Jen regarde la carte.

— On aurait dû franchir cette départementale depuis longtemps. Elle était à moins d'un kilomètre, soupire-t-elle.

Julien, pieds nus, le pantalon retroussé avance dans la rivière.

— Viens voir, elle est super fraîche ! s'exclame-t-il.

Jen lui lance un regard noir. Elle est assise au bord de la rivière, sur un rocher. Le visage éclairé par le soleil, elle ferme un œil pour mieux voir Julien en contre-jour.

— Julien, on est perdu. C'est pas le moment de barboter.

Le jeune homme revient vers le rivage. Les pieds mouillés laissent des empreintes de pas sur les pierres. Il se laisse tomber à côté de Jen.

— C'est pas très grave, si on est perdu.

— Comment ça ?

Julien hausse les épaules.

— Si nous même, nous ne savons pas où l'on est, ils ne sauront pas où l'on est non plus. Plutôt logique. On pourrait rester dans cette forêt, s'y installer.

Jen replie la carte et la range dans le sac à dos posé à côté d'elle. Julien se relève et se dirige à nouveau vers la rivière. Il jette un regard en arrière, et devant l'air sceptique de la jeune femme, il ajoute :
— Je te construirai une cabane, t'inquiète.

— Ouais, et tu pêcheras des poissons aussi ?

— Bien sûr.

Julien se penche, scrutant la surface de l'eau tâchant de voir si des poissons pourraient se faufiler dans le courant. Il ne voyait que le bleu de l'eau et quelques roches dépasser de la surface.

— Fais gaffe, y a un requin qui arrive.

Julien relève la tête, par réflexe, et une gerbe d'eau l'éclabousse. La fraîcheur de l'eau lui pique la peau nue des bras. Il souffle, pour chasser l'eau qui lui coule du visage, et ouvre un œil pour voir Jen, hilare, en face de lui. Elle est entrée dans la rivière, le bord du jean qu'elle a coupé la veille trempant dans l'eau. Elle a abandonné le gilet noir sur le rocher, laissant les bras nus. L'œil de Julien se pose sur le bandage, où une tache presque noire est apparue. Il ne peut s'empêcher de grimacer. Mais cette distraction l'empêche de riposter et il se retrouve arrosé une seconde fois.

— Eh ! proteste-t-il.

Jen rit de plus belle. Julien tente de se venger et l'arrose. Elle crie, se déplace, riposte. Chacun essaie d'envoyer l'eau vers l'autre, sans se faire mouiller. À la fin, les cheveux mouillés plaqués sur le front et le t-shirt trempé, Julien s'arrête, essoufflé.

— Stop, stop, j'en peux plus.

Cela fait plusieurs semaines qu'il n'a pas goûté de bonheur aussi simple. Et il se dit qu'il se voit bien vivre ici, au bord de cette rivière, sous le soleil de midi.

Le bandage de Jen a glissé, dévoilant la plaie, à peine coagulée. Elle tente de le remettre d'une main. Julien s'avance :
— Attends, je vais t'aider.

Ils s'assoient tous deux sur le rocher, au bord de l'eau. Julien défait le bandage et cherche une lanière propre dans le sac. Il l'enroule délicatement autour du bras de Jen, où perlent les gouttes d'eau.

— Voilà, fait-il, satisfait.

Il relève les yeux, jusque-là plongés sur la tâche qu'il accomplissait. Il croise le regard noir de Jen, à quelques centimètres seulement. Elle se mordille la lèvre. Sans réfléchir, Julien se penche davantage. Il s'arrête juste avant que les lèvres ne se frôlent, semblant demander la permission. La jeune femme ne bouge pas. La respiration est bloquée, en attente. Alors Julien franchit le dernier centimètre et les deux bouches se scellent.

Les lèvres de Jen sont fraîches, elles ont le goût de l'eau de la rivière. Julien ferme les yeux et savoure, jusqu'à ce que la jeune femme se recule, doucement.

— Désolée. Je ne peux pas.

Elle se détourne. Pas assez rapidement, cependant, puisque Julien voit les larmes poindre au bord des yeux de la jeune femme. Il la regarde s'éloigner quelque peu, ne cherche pas à la retenir et s'abîme plutôt dans la contemplation de l'eau.

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