Julien se gare sur le trottoir un peu défoncé, au bord de la route. Ils viennent d'entrer dans un petit village, près de la frontière italienne. Ils y étaient presque. Une petite brise s'était levée, rendant acceptable la chaleur de cette fin de journée. Il avait slalomé dans les rues étroites bordées de murs, admirant le beau paysage : la verdure et les rochers sont omniprésents, grimpant sur des terrains à pic. Ils avaient évité les routes les plus passagères. Roulant sans casque, ils auraient été repérés rapidement.
Julien descend de la moto, et s'étire en faisant un tour sur lui-même. Il s'est arrêté sur une petite place qui fait le carrefour entre quatre routes. Il ne sait pas laquelle prendre. Devant lui, un petit muret de pierre le surplombe, formant une rampe pour accéder à une petite chapelle au grillage de fer forgé. Les arbres sont alignés sur le côté, jouant avec le soleil, et faisant de petites taches sombres sur le goudron, dansant sous le vent. Sur la gauche, une première route part et monte en lacet. Un panneau indique « Sainte Agnes, village du littoral le plus haut d'Europe vous souhaite la bienvenue ».
— Tu es perdu ? demande Jen en sautant également sur le bitume.
Régulièrement durant la journée, ils s'étaient arrêtés pour étudier la carte et choisir la route à suivre. Jen fait descendre le sac qu'elle portait aux épaules et commence à farfouiller dedans. Julien coupe le contact. Le voyant orange de l'essence s'était allumé. Est-ce que cela suffira pour atteindre l'Italie ? Jen s'est déjà dirigé vers un petit banc, à l'ombre des platanes, pour étudier la carte. Il la rejoint.
— Ce serait peut-être bien de faire le plein avant de repartir, fait-il remarquer.
La jeune femme lève la tête du papier plié qu'elle tient. Un pli soucieux lui barre le front.
— Ce ne serait pas très prudent. Avec quel argent veux-tu que l'on paye ? Il en reste combien ?
— Le voyant est orange, soupire Julien.
Jen se replonge dans la contemplation de la carte. Avec le doigt, elle suit une ligne et semble calculer la distance.
— Il reste une bonne dizaine de kilomètres avant la frontière, explique-t-elle. Sachant que nous évitons les grandes routes, il faudrait rajouter le double. Disons trente kilomètres pour être large. Ce qui fait qu'on peut y être ce soir, si on se dépêche. Ça devrait suffire pour l'essence.
Le cœur de Julien s'emballe à cette nouvelle. Il se sent un peu plus léger. Pourtant, Jen, elle, a les sourcils froncés. Elle semble contrariée.
— Il y a un problème ? demande Julien.
Jen secoue la tête et semble se reprendre.
— Non, aucun. Je me disais seulement qu'on ferait mieux d'attendre la nuit pour passer la frontière. Et puis, une fois en Italie, c'est bien joli, mais on va où ? fait-elle en repliant la carte.
— Cela n'a pas d'importance, non ? On se cache quelque part et on se fait oublier.
Jen soupire.
— Moi qui rêvais d'aventure, je suis servie.
— Tu as une meilleure idée, peut-être ?
La jeune femme secoue la tête.
— Non, pas vraiment, lâche-t-elle d'un ton amer.
Julien, qui se tenait jusqu'à présent tourné vers Jen, se tourne de nouveau vers l'endroit où ils ont laissé la moto, un peu plus haut sur la place. Une bande de gamins est en train de tourner autour en riant et se poursuivant. Il se fige.
— Regarde, souffle-t-il.
Jen redresse vivement la tête. Puis, de nouveau, elle plonge les mains dans le sac et en tire une casquette et des lunettes de soleil qu'ils ont acheté la veille.
— Tiens, enfile ça.
Julien ne se fait pas prier et s'exécute. Il a l'impression d'être ridicule ainsi, mais cela tient déjà moins chaud que le sweat.
— Tu es prêt ?
Il hoche la tête. Les enfants se sont éparpillés sur la place, certains ont grimpé sur le muret et s'amusent à sauter. Ils sont quatre.
— C'est quoi le plan ?
Jen hausse les épaules.
— Tu veux aller en Italie, non ? Alors on récupère la moto et on se casse. On trouvera bien un endroit plus tranquille pour passer la nuit.
Jen se lève et remet le sac d'un coup d'épaule. Elle ne vérifie même pas que Julien le suit et s'avance d'un pas déterminé vers les enfants. Julien la rejoint à grandes enjambées lorsque cette dernière est déjà au niveau du véhicule.
Les enfants se sont agglutinés devant elle et admirent la moto. Ils ne doivent pas avoir plus de six ans.
— Vous êtes des touristes, demande l'un des enfants à la tignasse emmêlée de boucle brune et à la salopette élimée.
Jen, sans doute un peu surprise par la question, se tourne vers Julien, et bafouille :
— Euh, oui. Oui c'est ça.
L'enfant se met à sautiller dans tous les sens. Vrai moulin à paroles, on ne peut l'arrêter.
— Dans ce cas, il faut que vous allez dormir chez moi, parce que c'est un gîte, et c'est là que tous les touristes vont. Pas vrai ? Et après, demain, vous pourrez aller visiter, y a un fort pas très loin.
Et en plus, papa, il fait la meilleure cuisine de tout le village. Hein les gars ?
Les autres enfants hochent la tête de concert. Un autre enchaîne :
— Est-ce que la moto elle fait du bruit quand on la conduit ?
Les mains de Julien commencent à devenir moites. Il n'est pas à l'aise. Comment refuser poliment les sollicitations des enfants, sans paraître trop impolis. Jen elle, ne semble pas s'en soucier outre mesure et répond aux questions avec patience.
— Et en fait c'est quoi votre nom ? Moi c'est Massimo, mais on peut m'appeler Max, fait le petit garçon avec la salopette.
Julien se fige. C'était la question de trop, celle qu'il ne fallait pas poser. Mais Jen , elle, ne se départit pas du calme qu'elle affiche.— Moi, c'est Jen. Et lui...
Elle se tourne vers Julien et cherche le regard du jeune homme derrière les lunettes noires.
— Et lui, c'est Nicolas.
Elle lui fait un clin d'œil avant de se détourner et de reporter l'attention aux enfants. Julien sent les muscles, jusque-là restés en alerte, se détendre d'un coup.
— Ah ouais, ben si vous me suivez, je vais vous montrer le gîte, répond Massimo.
Et le petit déguerpit, suivit de toute la petite clique. À mi-chemin, il se retourne et lance :
— Bon, alors vous me suivez ? Sinon vous êtes des poules mouillées.
Julien et Jen échangent un regard, puis Jen se met à pousser la moto en direction des enfants. Que fait-elle ? Un peu surpris, Julien lui emboîte le pas. La pente est raide, dans les routes de montagne. Julien grimpe sur la moto et démarre. Jen marche à côté et ainsi, ils suivent les enfants.
À un croisement, les enfants tournent à gauche et suivent de nouveau une route qui monte, parallèlement à la première. Julien a dû mal à se maintenir en équilibre à si petite vitesse. Il avance par à-coups.
— C'est tout en haut, indique Massimo en pointant un doigt à l'horizon.
Julien grogne. Il voudrait s'enfuir. Si Jen montait à l'arrière, il pourrait faire demi-tour. Mais la jeune femme met un point d'honneur à marcher à côté du véhicule. Elle a sûrement un plan dans la tête.
Les maisons commencent à apparaître sur le bord de la route étroite, collée à droite de celle-ci. Elles sont typiques de la région, en pierre ou en enduit jaunâtre. Elles font face au paysage alpin qui s'étend devant elles. À gauche, encore un petit parapet, qui empêche de tomber dans le vide du ravin.
Enfin, Massimo s'arrête devant une maison, où, effectivement, il est marqué « gite » et « café ». Au-dessus l'enseigne indiquait Le Coq italien. Les enfants s'éparpillent, en faisant des gestes de la main.
— Salut, à demain !
— Ouais, salut.
À la fin, ne reste plus que Massimo, qui trépigne devant la porte. Julien fait entrer la moto dans l'espèce de petite cour, que les bâtiments entourent et qui donne sur la route. Il l'appuie contre le rebord en pierre d'un parterre de fleurs. Massimo le tire par le bras.
— Allez, venez voir à l'intérieur, vous pourrez manger et puis prendre une chambre.
Cette fois, ils ne pouvaient plus reculer.
— Reste dehors et fais-toi discret, souffle Jen à l'oreille de Julien.
Puis elle emboîte le pas de Massimo, qui la précède en sautillant. Julien la regarde disparaître à l'intérieur du bâtiment, les bras ballants. Mais que faisait-elle ? Ils n'avaient pas d'argent pour payer ni nourriture, ni chambre de gîte. Julien s'assoit sur le muret et se met à contempler le paysage. En contrebas, il pouvait apercevoir le toit de tuile d'une autre maison, et au loin, les montagnes recouvertes de vert sombre. Les arbres l'empêchaient de voir plus loin en contre-bas. Il ne voyait pas la place sur laquelle ils s'étaient arrêtés.
Il laisse les derniers rayons du soleil lui caresser le visage et ferme les yeux. La chaleur est plus supportable en fin de journée, quand les températures baissent quelque peu. Il devait être dix-neuf heures ou vingt heures. Julien n'avait aucun moyen de savoir l'heure, n'ayant plus de téléphone. C'était l'heure de manger, en tout cas, car l'estomac du jeune homme se manifesta avec bruit. Il plaque une main sur le ventre.
Il espère secrètement que Jen pourra prendre quelque chose de chaud à manger dans le gîte. Mine de rien, il commençait à en avoir marre de manger des sandwichs matin, midi et soir. Il mangerait bien une salade de pâte ou même une pizza. Il se met à saliver en pensant à tous les plats qu'il pourrait dévorer, s'il n'était pas en cavale.
— Ok, c'est bon tu peux venir.
Julien sursaute. Jen se tient derrière lui. Il ne l'avait pas senti approcher, ni même vu l'ombre de la jeune femme, puisque celle-ci était dirigée vers l'arrière. Jen rigole.
— Pardon, désolée. Je ne voulais pas te faire peur.
Julien se lève.
— Comment ça, c'est bon, demande-t-il en ignorant le rire de la jeune femme.
— Eh bien, on peut manger là-bas, et même dormir.
Les sourcils de Julien s'envolent sur le front, dans une expression de surprise.
— Mais comment tu as fait ?
Jen ne répond pas et fait volte-face. Elle esquive la question :
— Allez viens, je meurs de faim.
Julien la rattrape par le bras. Il ne veut pas mettre en l'air tous les efforts qu'il a effectué durant ces quatre derniers jours pour un bon repas.
— Ce n'est pas dangereux ? Tu es sûre ?
— Mais oui ! Tu ne me fais pas confiance ou quoi ? Aller, viens.
Julien laisse retomber le bras qui tenait Jen. Celle-ci en profite pour se retourner et se diriger vers la porte d'entrée. Il reste quelques secondes sans bouger, réfléchissant à cette dernière phrase. Ils étaient liés, maintenant. En mettant Julien en danger, Jen se mettait également en danger elle-même. Elle l'avait d'ailleurs pas mal aidé. Il était donc un peu tard pour se demander s'il devait lui faire confiance. Cependant, il avait cette désagréable impression qu'une partie de la vérité lui échappait.
Jen était décidément très mystérieuse.
Au moment de franchir la porte, elle se retourne et constatant que Julien n'a pas bougé, elle lui lance :
— Reste pas planté là, viens ! J'ai commandé des pizzas.
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Capsule
Ciencia FicciónAprès le Grand Soulèvement, des lois ont été créée pour satisfaire la population qui réclamait plus de sécurité, qu'elle soit financière ou politique. Ceux qui ont pris le pouvoir ont réussi à instaurer l'ordre et à rendre le monde parfait : il n'y...