Chapitre 29

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Julien grogne. C'est Jen qui le secoue comme une prune pour le réveiller. Il avait laissé le lit à Jen et lui, avait dormi dans le canapé. Il avait eu des difficultés à trouver le sommeil, mais maintenant qu'il l'avait, il comptait bien ne pas le lâcher. Il jette un regard au réveil posé sur la table de chevet et qui indiquait trois heures et demi du matin. Cela ne faisait donc que trois heures qu'il dormait.

— On avait dit qu'on se réveillait à cinq heures, proteste Julien d'une voix pâteuse encore imprégnée de sommeil.

— Oui, je sais...

Jen marque une pause, avant d'ajouter :
— Mais j'y ai réfléchi et je trouve cela dangereux de rester plus longtemps.

Julien s'étire. Il a mal au dos à cause de la position qu'il a adoptée pour dormir et de l'accoudoir qui lui rentrait dans les reins. Il a dû mal à se remettre les idées au clair, mais il n'appréciait pas ce réveil matinal.

De mauvaise grâce, il se lève et rassemble les quelques affaires qu'il a éparpillées dans la pièce. Jen est déjà à la porte, le sac sur le dos. Julien ne comprend pas ce revirement de situation : c'était elle qui avait insisté pour qu'ils ne gagnent pas tout de suite l'Italie et qu'ils s'arrêtent dans ce gîte. Et maintenant, c'était elle qui insistait pour partir en pleine nuit.

— Il se passe quelque chose ? Tu peux me le dire, tu sais.

Jen sautille d'une jambe à l'autre devant la porte.

— Non, du tout. Je pense seulement qu'il est plus prudent de...

— Bon, dans ce cas, tu n'y vois pas d'inconvénient si je prends cinq minutes pour me débarbouiller le visage, la coupe Julien.

Sans attendre la réponse, il fait coulisser la porte de la salle de bain et s'enferme à l'intérieur. Il entend la voix étouffée derrière la porte lui dire de se dépêcher. Il fait couler l'eau du robinet et se passe de l'eau froide sur le visage. Cela a le mérite de le réveiller. Il détaille le reflet dans la glace. Les joues sont plus creuses qu'à l'ordinaire et les yeux soulignés par des cernes violets. La barbe qu'il a rasée il y a quatre jours a fini par repousser un peu. Il se penche dans le placard en dessous du lavabo, dans l'espoir d'y dénicher un rasoir. Il finit par en trouver un, entre deux serviettes blanches. À défaut de mousse spéciale, il s'applique du savon et commence à passer la lame sur les joues d'un geste précis et rapide. À la moitié, Jen frappe à la porte. Elle commence à s'impatienter.

— Bon, c'est bon, là ?

— Oui, encore deux minutes, grogne Julien.

Il ne voyait pas pourquoi il devrait se dépêcher. Il était trois heures du matin, soit deux heures avant l'heure prévue, et l'Italie n'était qu'à une demi-heure. Pourquoi Jen changeait-elle les plans ainsi ? Enfin, il ouvre la porte de la salle de bain. Jen se trouve juste derrière. Elle hausse un sourcil.

— C'était nécessaire, le rasage ?

— Oui, répond Julien pour couper court à toute protestation.

— Ok.

D'un bond, la jeune femme est déjà devant la porte et l'ouvre. Julien lui emboîte le pas, un peu plus traînant. Alors qu'ils traversent la petite cour pour rejoindre la moto, Julien remarque de la lumière dans les cuisines, au rez-de-chaussée. Il fixe le point lumineux en se demandant quel plat pouvait nécessiter de se lever à une heure pareille. Il manque alors de rentrer dans Jen qui s'est arrêtée en plein milieu de la cour.

— Mais fais attention où tu t'arrêtes, souffle Julien.

Il regarde aux alentours pour voir ce qui avait provoqué un tel arrêt de la part de la jeune femme, mais la pénombre ne lui permet pas de distinguer grand-chose. Rien ne semble avoir changé, mise à part peut-être une voiture noire, garée au bord de la route, bouchant une des deux voies. Jen semble se ressaisir et recommence à se mettre en marche, sans répondre à Julien. Ce dernier se frotte le menton, là où le crâne de Jen a tapé.

Derrière eux, la porte du café s'ouvre. Julien se retourne, sur le qui-vive, mais ce n'est que l'hôtesse qui court vers eux.

— Vous partez ?

Elle a l'air essoufflée. Les boucles rousses qui étaient hier au soir impeccablement attachées en chignon lui retombaient maintenant sur le visage, de façon désordonnée. Julien jette un regard vers Jen, mais celle-ci ne bouge pas. Ils ne l'avaient sans doute pas payé – avec quel argent ? Jen voulait sans doute partir dans la nuit afin d'éviter de devoir payé. Julien se sent alors honteux d'avoir pris autant de temps dans la salle de bain. Le rouge lui montant aux joues, il tente de se justifier :
— Oui, euh... Mais pas définitivement, nous allons...

— C'est bon, Julien, le coupe Jen. Qu'est-ce qu'il se passe, Sophia ?

Julien sursaute. Comment Jen connaissait le prénom de la jeune femme. Elles semblent avoir au moins cinq ans de différence et n'habitent pas du tout la même zone géographique. Il tente de raisonner logiquement. Jen l'a peut-être appris hier soir, lorsqu'elle a réservé la chambre. Il était courant que les réceptionnistes se présentent avant de recevoir un nouveau client, afin de créer un lien amical. Il reporte l'attention sur ce qu'il se passe devant lui. La jeune femme, Sophia, tient serré dans la main un téléphone. Elle le tend vers Jen.

— C'est pour vous.

Julien pâlit. Qui pouvait savoir où se trouvait Jen. Était-ce également en rapport avec lui ? Les avait-on retrouvés ? Il jette un coup d'œil à la voiture noire. Il ne peut pas bien reconnaître le modèle dans une telle pénombre, mais à la réflexion, la forme ressemble quand même beaucoup à celle de l'AFS.

— À cette heure-là ? croasse Jen en prenant le téléphone.

Sophia s'essuie la main sur le jean. Puis, elle se recule et dévisage nerveusement Jen et Julien Enfin, elle finit par dire :
— Je retourne à l'intérieur.

Elle fait volte-face et s'en retourne à grandes enjambées vers le gîte. Julien, quant à lui, se tourne vers Jen dont il distingue désormais le visage, éclairé par l'écran du téléphone qu'elle porte à l'oreille.

— Allô, fait-elle d'une petite voix.

Elle ferme les yeux, et se tait. Sans doute écoute-t-elle l'interlocuteur à l'autre bout du fil. Elle semble tendue, mais, comme toujours, dans le contrôle de la situation. Lorsque Julien, s'impatientant, trouvant la tension insoutenable, ouvre la bouche pour parler, elle le fait taire d'un geste de la main. Puis, elle lui jette un regard rapide, avant de soupirer :

— Oui, il est avec moi.

Julien se fige. Qui était à l'autre bout du fil et savait que Jen l'accompagnait ? Cela était-il déjà passé aux informations ? Jen se mord nerveusement les lèvres. Elle semble embêtée, ne parle pas beaucoup et répond le plus souvent par monosyllabes, ce qui fait que Julien n'arrive pas à comprendre le sujet de la conversation, ni qui peut bien être cet interlocuteur. Soudain, Jen semble s'énerver. Elle articule :
— Enzo, je sais ce que je fais.

Julien sursaute. Il cherche, mais il ne connaît aucun Enzo. Cela ne lui donnait donc aucune information sur qui était à l'autre bout du fil. En revanche, c'était la deuxième phrase qu'elle prononce depuis le début de la conversation. Julien comprend qu'il doit sûrement être le sujet de la conversation. D'ailleurs, quelques secondes après, il entend Jen annoncer à l'interlocuteur qu'elle allait lui passer le jeune homme et lui tend effectivement le téléphone.

— C'est pour toi.

Julien s'empare de l'objet et le porte lui aussi à l'oreille. Une décharge d'adrénaline s'empare de lui, faisant bondir le cœur dans la poitrine du jeune homme. Il allait enfin savoir qui était ce mystérieux interlocuteur.

— Julien ?

La voix est masculine – comme le laissait de toute façon entendre le prénom utilisé par Jen. Julien inspire profondément, pour chasser l'appréhension qui le gagne. Il espère que cela ne s'entend pas à l'autre bout du fil.

— Oui, c'est moi.

Il est lui-même surpris par le calme qui transparaît dans le ton qu'il a employé. La voix n'a pas tremblé. Il enchaîne donc, un peu plus sûr de lui :

— Que me voulez-vous ?

— Ce que je veux ? Oh, c'est très simple. Te prévenir. Mais, que suis-je bête. Je ne me suis pas présenté.

Visiblement, Julien n'est pas le seul à sembler calme. L'interlocuteur l'est aussi, et possède même un petit ton ironique et narquois dans la voix. Visiblement, ce dernier cherche à le déstabiliser. Le jeune homme resserre la prise sur le téléphone. Il ne veut pas montrer qu'il a peur. Jen, quant à elle, s'est assise sur la selle de la moto et attend, les yeux fixés au sol.

— Je sais que tu t'appelles Enzo.

C'est la seule information dont Julien dispose, et il espère pouvoir en tirer quelque chose. Et effectivement, une petite hésitation se fait sentir de la part de l'homme à l'autre bout du fil. C'est léger, à peine perceptible, mais Julien sent qu'il a touché juste.

— Je vois. Elle t'a parlé de moi, lâche l'homme.

— Oui, ment Julien.

Il l'entend soupirer. Visiblement, cela l'embêtait. Julien se sent sourire. C'est bête, mais la sensation de mener la conversation le rempli d'énergie et de confiance. L'homme finit par reprendre la parole :
— Ok, très bien. Dans ce cas, laisse-moi te dire une chose : c'est que j'en fais une affaire personnelle. Je ne sais pas très bien ce que vous traficotez tous les deux, mais je fais confiance à Jen. Tu te feras attraper à un moment ou à un autre. Avant d'arriver en Italie. Et à ce moment, tu seras un homme mort.

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