Epilogue

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Le soleil se reflète sur le sable brûlant en millier de cristaux que la mer vient lécher. Au-dessus d'elle, les mouettes tournent, piaillent, pareilles à des petits enfants. Elle regarde, au loin, l'horizon qui se découpe sur le bleu du ciel, en un trait plus foncé. Et la mer, cette mer bleue, immense, qui s'étend là, impassible de tous ces gens qui, dedans, s'ébattent. Jen fouille la foule du regard, cherche des yeux. À côté d'elle, allongé sur la serviette de plage, le bras musclé, sec, devant les yeux fermés, comme pour se protéger de la lumière vive du soleil, Enzo dort. Pendant qu'elle, les yeux plissés, elle fouille cette foule, ces personnes au teint légèrement hâlé, certain plus blancs que d'autre, et d'autres encore plus rouges que blancs, elle cherche deux taches plus foncées.


Enfin, elle les aperçoit, remontant la pente légère de la plage, ils grossissent au fur et à mesure qu'ils s'avancent et bientôt, elle peut distinguer les deux figures si familières, une plus ronde que l'autre, les cheveux noirs jais dressés sur les têtes de petits garçons. Le plus petit semble soutenir, péniblement, le plus grand qui boitille légèrement. Aussitôt, Jen s'affole, remue sur la serviette de plage, qu'elle entortille entre les doigts, de la main libre, l'autre étant posée à l'horizontale sur le front, pour se protéger de l'éclat du soleil. Elle attend que les deux garçons arrivent à hauteur. Le petit gémit :
— Maman.

Jen voit, sur la jambe de l'autre une ligne de sang, qui goutte sur le sable chaud. Elle se lève et s'accroupit près de l'enfant, rapidement, les gestes sûrs. La plaie semble profonde. Elle fronce les sourcils et fixe les deux enfants.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? gronde-t-elle, luttant pour que l'angoisse ne prenne pas le dessus sur la voix qu'elle veut menaçante.

Le plus petit se recroqueville, honteux. Il lève le regard vers le grand frère, cherchant un signe d'approbation.

— Victor, pourquoi est-il blessé ? répète Jen.

Alors le petit, après s'être tortillé sur le sable, baisse la tête et marmonne.

— On jouait sur les rochers, et il est tombé.

Jen fronce de nouveau les sourcils, jette un regard au mari, qui n'avait pas bougé, sans doute toujours endormi. Ou peut-être faisait-il semblant, afin de ne pas prendre part à la dispute familiale. Avec un soupir, Jen se concentre à nouveau sur les deux garçons.

— Et que diable faisiez-vous là-bas ! Je vous avais interdit d'y aller !

Cette fois, c'est au tour du plus grand de répondre.

— On voulait attraper des crabes.

Après avoir levé les yeux au ciel, vaguement agacée, Jen s'assoit de nouveau sur la serviette de plage, tirant l'enfant vers elle, en l'obligeant à s'asseoir à côté d'elle.

— Fais voir, fait-elle en se penchant sur la plaie, moins superficielle qu'elle en avait l'air. Victor, va me chercher de l'eau, dans la glacière... Et des lunettes.

Le petit garçon, qui s'était accroupi pour faire un château de sable se relève d'un bond, contourne les deux adultes et fouille dans la glacière, avant de revenir, une bouteille d'eau fraîche dans une main et les lunettes demandées dans l'autre. Jen s'en empare.

— Tends la jambe, ordonne-t-elle.

Le blessé s'exécute sans protester et laisse la mère verser de l'eau sur la jambe, qui retombe teintée de rouge sur le sable.

— Ça pique, gémit-il.

Jen ne répond pas, mais relève néanmoins la bouteille d'eau afin d'arrêter le flux. Elle se penche de nouveau vers la plaie et grimace.

— Ok, les garçons, on rentre au camping. Il va falloir des compresses, puis elle ajoute à l'adresse du plus grand : Ne te roule pas dans le sable, surtout.

Les deux protestent vainement, et commencent à rassembler les affaires. Jen se tourne vers Enzo, toujours endormi. La bouche est légèrement entrouverte et la poitrine bouge lentement, au rythme de la respiration. Elle l'observe un court instant, puis lui pose la main sur l'épaule, doucement.

— Maman.


Jen sursaute, et se retourne promptement. Victor lui fait face, la mine contrit.

— Quoi encore ? s'agace Jen.

Le petit garçon tend la main potelée, fermée en un poing serré.

— C'était dans la jambe.

Alors, il desserre les doigts, et au creux de la main, Jen voit se dessiner la forme carrée et transparente, laissant voir les circuits de la puce.

Dans le petit poing innocent de Victor, se trouvait la capsule du frère.

La respiration de Jen s'accélère, elle jette un coup d'œil à Enzo, qui n'a toujours pas bougé. En une fraction de seconde, elle s'empare de l'objet et le porte à hauteur du visage. La capsule ressemble en tout point à ce dont elle se souvenait, ce souvenir qu'elle avait essayé d'enterrer, d'effacer, impitoyablement depuis ces douze années. Elle referme le poing, en un sursaut, quand elle entend la voix d'Enzo, dure et froide, articuler :
— Que se passe-t-il ?

Jen se tourne vers lui, de nouveau. Les traits tantôt apaisés du visage d'Enzo se sont durcis, les sourcils se tiennent froncés. Aussitôt, le petit Victor s'empresse d'annoncer la nouvelle au père :

— Nicolas s'est fait mal à sa jambe !

— Victor, on ne dit pas cela. C'est incorrect.

Le petit garçon baisse la tête contrit, et Jen sourit mollement.

— Ce n'est pas grave, laisse-le s'exprimer, Enzo ! Bref, cela ne règle pas le problème : Nicolas s'est blessé, il faut rentrer à l'hôtel.

Enzo fronce les sourcils, se lève et s'approche de l'enfant. Il le soulève du sol et le jette sur l'épaule. Le garçon éclate de rire. Aussitôt, Victor accourt, saute autour d'Enzo en tendant les bras :
— Moi aussi, je veux, moi aussi, papa !

Le père secoue la tête, adresse un clin d'œil à Jen, avant de se mettre en marche.

— Ce n'est que pour les héros blessés, Victor. La prochaine fois.

Jen ramasse les serviettes de plage et les regarde quelques instants s'éloigner ; Enzo portant la glacière de la main libre, Nicolas de l'autre et Victor, qui suivait péniblement, les bras trop courts d'enfant peinant à porter tous les râteaux, seaux et pelles. Le soleil d'été les entourait d'un faible halo lumineux.

Et dans la main, Jen sent la capsule de Nicolas palpiter, rageusement, avec cette insistance sourde. Et dans le bras, au-dessous de la cicatrice, sur la tête du dragon, elle sent aussi la sienne palpiter en écho.

Jen se mord les joues, pour étouffer un sanglot, et un à un, desserre ses doigts.

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