Julien a les épaules et le dos endoloris. Hier soir, il avait abandonné la voiture dans les rues de Paris – de toute façon, elle n'avait presque plus d'essence. Il n'avait pris que le petit sac plein de nourriture et le petit canif. Il avait hésité à prendre les lunettes de cinéma, qui lui masquait une partie du visage, mais qui brouillaient sa vision et le rendaient ridicule. Or, être ridicule n'était pas spécialement ce qui était recommandé lorsqu'on voulait se faire discret. Il avait donc emprunté une rue déserte et de fil en aiguille alors que la nuit tombait complètement, il avait cherché un endroit sûr où il pourrait dormir quelques heures en sécurité. L'anonymat qu'il recherchait dans cette grande ville ne lui était plus possible, maintenant que tout le monde était au courant. Au contraire, l'abondance d'habitants devenait dangereuse pour lui, qui manquait de se faire reconnaître à tous les coins de rues. Il prit donc la décision de quitter au plus vite cet endroit.
Mais avant, il avait besoin de repos. Il essaya d'ouvrir quelques voitures, qui, s'étonna-t-il, étaient toutes fermées à clé. Les gens prenaient donc désormais des précautions. Il réussit finalement à en trouver une et se glissa dans le coffre pour dormir un peu à l'abri des regards.
Voilà pourquoi il se réveille avec cette désagréable sensation de fourmis dans le corps. Il soulève la banquette arrière, ne pouvant pas ressortir par le coffre qu'il avait refermé sur lui et qu'il fallait ouvrir seulement de l'extérieur. Il avait beaucoup transpiré dans la chaleur du coffre. La nuit avait donc été plutôt inconfortable, mais il se sent assez requinqué pour continuer. Il n'a aucune idée de l'heure qu'il pouvait bien être, mais lorsqu'il sort du noir qu'est le coffre, il est aveuglé par la lumière extérieure. Il plisse les yeux un instant, suspendu dans le geste qu'il était en train de faire, le temps de s'habituer. Il passe ensuite devant, côté conducteur, pour prendre le volant, se faufilant tant bien que mal entre les sièges.
De même que pour la voiture précédente, il s'emploie à ouvrir le circuit de fils et tire dessus pour ne pas être repéré. Il allume ensuite le moteur : tout cela devient un jeu enfantin. Comme prévu, l'écran de bord ne s'allume pas, et Julien peut embrayer pour démarrer et s'engager sur la voie. Il n'y a pas un plein complet, cela l'embête. Mais il sera toujours temps de retrouver une voiture plus tard, quand il aura quitté la ville.
Il laisse le sac de nourriture sur la banquette arrière, sort simplement le canif et quelques cartes sd qu'il a emporté avec lui en quittant l'ancienne voiture. Il ouvre la boîte à gants, regarde. Elle est presque vide : une bouteille d'eau entamée, une couverture soigneusement pliée, un pare-soleil et un brumisateur. Sur les sièges arrières, il trouve également un petit sweat léger à fermeture, roulé en boule. Il commence à avoir tout ce qu'il lui faut. Il grignote un biscuit tout en étudiant la carte qu'il a volée à la station-service.
L'heure sur le cadran de la voiture indique huit heures. Il a dormi six heures : il ne pensait pas avoir dormi autant. Les rues de la ville sont bouchées par les véhicules. C'est l'heure de pointe. Il s'insère dans le boulevard, au milieu des autres. Les mains glissent sur le volant. Elles sont moites. Il craint que le conducteur qui se met à côté, sur la file de gauche tourne la tête, par ennui, et le reconnaisse. Il s'enfonce dans le siège en mousse, essaie de se cacher. Soudain, la file avance, il accélère, ralenti de nouveau pour ne pas rentrer dans la voiture de devant. Il espère également que celle qui est derrière ne lui rentrera pas dedans : puisqu'il a désactivé la reconnaissance par satellite, la voiture qu'il utilise devient invisible pour les autres, n'existe pas. Si celui qui est derrière lui active la conduite automatique, il est fichu.
Il se dit qu'il aurait peut-être dû attendre avant de partir, que le trafic soit moins dense. Il ne connaît pas la ville, ne sait pas où aller, et plus moyen d'utiliser le GPS. Il se guide avec les rares panneaux, mais il a l'impression de tourner en rond. Au bout d'un bon quart d'heure, il quitte la file de voitures pour s'engager dans une rue plus calme : cela a l'air d'aller au centre, mais au moins, il est plus rassuré. Il voudrait traverser et rejoindre le périphérique, de l'autre côté. Peut-être prendre direction de Strasbourg, puis l'Allemagne, ou plutôt au sud et passer en Italie. Brouiller les pistes. Il sait qu'il est traqué en France, mais peut-être qu'il aurait plus de chance dans ces autres pays. La frontière est totalement libre – plus besoin de frontière quand on peut savoir à n'importe quel moment où vous êtes. Mais ils l'ont peut-être fermée, pour l'empêcher de passer. Julien ne sait pas. Il ralentit, se gare. Il prend le temps pour réfléchir, ferme les yeux, laisse le rythme cardiaque redescendre. Toute cette aventure lui donne des sueurs froides. Lui qui n'aspirait qu'à être tranquille, le voilà avec plus d'ennuis.
Il songe un instant à se rendre, mais la peur de ce qu'on pourrait lui faire lui fait écarter cette idée. Il n'a donc plus d'autre choix que de jouer au jeu du chat et de la souris avec le reste du monde. Il inspire, expire. Tente de se calmer avant de reprendre. Il a le temps, les bouchons doivent toujours être présents. Il va attendre un peu que la circulation se calme. Peut-être même qu'il peut dormir en attendant ? La position assise est plus confortable que le coffre...

VOUS LISEZ
Capsule
Science FictionAprès le Grand Soulèvement, des lois ont été créée pour satisfaire la population qui réclamait plus de sécurité, qu'elle soit financière ou politique. Ceux qui ont pris le pouvoir ont réussi à instaurer l'ordre et à rendre le monde parfait : il n'y...