Chapitre 26

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La chambre est plongée dans une demi-pénombre. Les rideaux ont été tirés pour garder une certaine fraîcheur dans la pièce. Enzo supporte mal la chaleur beaucoup plus forte des après-midi de Menton. La chambre d'hôtel est dans les tons jaune et crème, décorée sobrement, mais avec goût. Au centre de la pièce, un grand lit deux places et deux tables de chevet occupent presque tout le pan du mur. En face, sur la gauche, la porte entrouverte de la salle de bain et à droite, en retrait, la porte d'entrée.

Enzo se frotte les yeux. Il a fixé toute la journée le petit point rouge sur la carte, avançant toujours plus vers le sud. Depuis le matin, il les avait précédés et, en hélicoptère, s'était rendu à Menton, près de la frontière italienne. Il est maintenant sûr qu'ils passeront en Italie. Cela paraît logique : si désormais chaque pays du monde a adopté le même système, il reste des petites spécificités et les autorités ont donc du mal à s'organiser. C'est sans doute ce qu'il aurait fait, lui aussi, pour tenter de disparaître. À la différence, pense-t-il, qu'il aurait pensé à enlever la capsule seulement au dernier instant, afin de ne pas éveiller les soupçons.

Si Julien passe en Italie, il ne pourra plus rien faire. Ce dernier, cependant, ne sera pas plus avancé : sans argent, sans logement, il ne tiendra que quelques semaines, avant que l'AFS italienne ne remarque les vols étranges qui se produisent. Ce processus pourra être accéléré si Enzo demande à Eliott de les contacter en leur expliquant le problème. Mais Enzo refusait de s'abaisser à faire appel à lui : il n'avait toujours pas digéré l'appel du midi.

Il s'était isolé dans la chambre d'hôtel, n'avait rien mangé depuis le matin. Il avait ruminé de sombres pensées contre Julien. Il le détestait. C'était devenu une affaire personnelle maintenant. Il ne lâcherait rien. Il voulait l'arrêter lui-même. Lui mettre lui-même une balle entre les deux yeux. Cela lui apprendra. Pourtant, il n'avait rien fait, à part suivre le trajet sur le téléphone, les regarder s'approcher inexorablement de la frontière italienne et se demander ce que Jen faisait.

Il s'accrochait à l'idée qu'elle faisait cela pour l'aider. Qu'elle cherchait un peu de frissons. Qu'elle allait écrire un grand article sur la traque de Julien, quand tout cela serait fini. Mais dans ce cas, pourquoi ne le dissuadait-elle pas de rejoindre l'Italie. Elle devait savoir qu'une fois la frontière passée, il serait difficile à Enzo de l'attraper. Il devait y avoir autre chose, mais le jeune homme refusait de l'admettre.

Étaient-ils amants ? Il essaye de se rappeler du comportement de Jen, ces derniers mois, mais il ne trouve rien de changé. Toujours le nez dans un livre, elle n'avait pas utilisé de téléphone plus qu'à l'accoutumée et souvent, ce dernier restait abandonné sur le plan de travail de la cuisine ou le rebord de la baignoire. Et comment auraient-ils fait pour se rencontrer ? Julien n'habitait pas du tout Paris, et Jen n'avait jamais mis les pieds à Pau.

Enzo pose la tête contre la tête de lit et reste ainsi plusieurs secondes, à tâcher de savoir quoi faire. Il tente de réfléchir de manière logique. La priorité était de les empêcher d'arriver en Italie. Puis, de comprendre ce que trafiquait Jen, afin d'anticiper les réactions des deux fugitifs. Enfin, il fallait, cela allait de soi, qu'il attrape Julien. Il décide de régler dès maintenant le premier point. D'après le signal satellite émis par la capsule de Jen, dans deux heures, ils pourraient atteindre la frontière. Il fallait donc agir vite. Il cherche dans les contacts du téléphone pour appeler la brigade de Menton. Elle était cependant petite – seulement trois membres. Il faudrait peut-être compléter avec celle de Nice, qui n'arriverait qu'une heure après, et pourraient alors prendre le relais. Cela paraissait plutôt correct.

Enzo compose le numéro. Quelqu'un décroche au bout de la quatrième sonnerie. Il se présente, et explique le motif de l'appel. Il sent, dans le changement de ton de la voix, qu'il a piqué la curiosité de l'agent. Il donne les instructions, les fait répéter pour être sûr que celles-ci soient bien exécutées.

— Si vous avez le moindre problème, appelez-moi. À toute heure du jour et de la nuit, je reste joignable, conclut Enzo.

Il raccroche après les formalités d'usage et appelle immédiatement l'équipe de Nice. Le même manège se répète, jusqu'à ce qu'il raccroche de nouveau. Avec un soupir, il éteint l'écran du téléphone et le jette devant lui, sur le matelas. Il retombe avec un bruit sourd et étouffé par les draps.

Le regard du jeune homme se pose alors sur la table de chevet. Il avait emporté le livre que lui avait laissé Jen. C'était un vieux livre, aux pages cornées. Elle l'avait lu sûrement, de nombreuses fois. Il tend la main pour le prendre. Le soupèse.

Il n'est pas très lourd, mais déjà plus qu'une tablette ou un téléphone. Ce poids lui fait étrange. C'est bien la même taille qu'une tablette, mais c'est beaucoup plus lourd. Le post-it est toujours accroché dessus. Il le fixe, tente de s'imprégner des lettres rondes. Ce sont celles de Jen. Puis, après quelques minutes, il se décide à l'enlever pour pouvoir mieux voir la couverture. Elle est dans les tons bleus. Il y a un bébé dessus. Enzo fronce les sourcils. Est-ce que Jen tente de lui faire passer un message ? Pourtant, c'est bien elle qui était contre le mariage.

Il tourne le livre, pour avoir accès à la quatrième de couverture. Il parcourt le résumé. Cela ne parle pas du tout de bébé, mais de Delta, Gamma ou de Soma. Enzo a du mal à comprendre ce à quoi tout cela fait référence. L'idée de reposer le livre sur la table de chevet et de ne pas l'ouvrir l'effleure. Il pourrait simplement lire un résumé sur internet et faire croire à Jen qu'il l'a lu. Mais ce serait tricher. Et il ne voulait plus tricher.

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