Bien avant que l'humanité existe, la Terre était séparée en sept royaumes, tous gouvernés par un prince de la même lignée. Plus celui-ci était âgé, plus son territoire était grand. Il s'agissait de sept frères démons dont vous connaissez sûrement la renommée. Ces créatures aussi effrayantes pour vous que pour leur peuple n’ont jamais eu de cesse de construire leur grandeur au point d’en écraser tous ceux qui s’opposèrent. Régnant sur le monde avec une autorité incontestable, leurs noms furent écrits à jamais dans les mémoires du temps, les immortalisant comme ceux qui seront baptisés dans le futur par le genre humain : « les sept princes de l'Enfer ». Leur histoire fut tellement racontée que tout le reste disparu dans les abîmes… Même l'existence du huitième frère. Car oui, il y en avait un huitième ! Il s'agissait du dernier de la fratrie, et ayant été jugé « trop jeune » par ses aînés, il n'avait pas eu de territoire. À la place, il vivait dans le château du chef de famille – Lucifer – et avait comme devoir de suivre son exemple. En fait, il n’était que l’ombre d’un souverain dont la célébrité le dépassait…
Cependant, bien que tout le monde s’aperçoive de sa tristesse déchirante, personne ne soucia de lui. Il passait sa vie cloîtré entre les quatre murs de sa chambre, à essayer de prouver à ses frères qu'il valait autant qu'eux ! Dans son esprit accablé de chagrin, il songeait parfois qu’il aurait voulu être quelqu’un d’autre. Un homme qu’on admire, un homme qu’on craint. Un être dont le seul nom forcerait le respect. Alors, comme le fantôme errant d’un poète maudit jamais reconnu, il écrivait dans son journal toute sa frustration, ainsi que son immense peine. Ewan devait être quelqu’un. Pas parce qu’il était le petit frère de Satan, mais parce qu’il le méritait. Tel était son destin, il en était sûr.
Hélas, qu'importe à quel point il faisait des efforts : rien ne changeait. Il restait le petit dernier à la traîne, l'incapable de service, la honte de la famille. Peut-être valait-il mieux qu'il reste enfermé dans sa chambre au final… Dans ces moments de faiblesse où il n’entrevoyait aucun avenir, il ouvrait son journal dont la couverture de cuire lui rappelait la liberté du monde extérieur pour y laisser une quelconque trace de son existence. Il y gravait des prières adressées à un destin inconnu, des larmes et des questions qui ne trouveront jamais de réponses, puis il signait. Il écrivait son prénom avant de s'inventer un titre en y mettant tout son espoir, comme pour se persuader lui-même qu'il pouvait changer, et devenir un autre… Quelqu'un qui existe, pas une ombre. C’est tout ce qu’il voulait, savez-vous ! Avec toute sa détermination il notait sur les pages blanches détentrice de son cœur : « Ewan Don Valliery ».
Mille ans plus tard, après une guerre sans merci entre les anges et les démons, le verdict tomba : tous les esprits démoniaques devaient quitter la Terre pour aller dans un nouveau royaume : l'Enfer. Là, ils ne pourraient plus sévir et leur étaient inculqués la tâche de juger les mortels ayant commis un crime. Ils ne pourraient jamais plus retourner sur la planète, sauf, si un être humain innocent les y invitait ! Bien sûr, pour que cela ne soit pas chose facile, l'armée angélique détruisit toutes traces de l'existence sur le globe du règne des sept frères. Leur histoire, pourtant, resta gravée pour toujours dans les gênes même de l'univers.
Ewan, le fantôme d’un souverain méprisé par son sang, s’effaça de l’Histoire sans que personne ne sache vraiment pourquoi. Il aurait pu être immortalisé dans des livres mais il n’en fut rien. Jamais Lucifer ne prononça son nom, jamais personne ne se souvint de lui. Il a disparu comme l’on souffle sur une bougie, s’est envolé comme les feuilles des arbres en automne.
Qui a voulu déchirer la page de ce roman incompris ? Quelle faute a-t-il commis pour terminer ainsi ? Il semblerait que ces questions ne puissent plus trouver de réponses : Ewan n’existe plus. Et puisqu’on cessa de parler de lui, bien qu’on n’ait jamais réellement commencé à le faire : certains de ses objets personnels furent oubliés…
Un homme qu’on admire, un homme qu’on craint. Un être dont le seul nom forcerait le respect…
Tel était son destin, il en était sûr.
VOUS LISEZ
Le Grimoire Maudit D'Ewan Don Valliery
HorrorForce était d'admettre qu'Ewan n'était rien. Rien qu'une rature, qu'une erreur, qu'une crasse à faire disparaître. Mais après tout, comment peut-il en être autrement lorsqu'on est le benjamin des princes de l'Enfer ? Comment se faire une place quand...