55. Aï

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 J'ouvre les yeux doucement. La lumière est atroce. Mon corps est engourdi. Le bip régulier de la machine à côté de moi est insupportable. Mes joues sont douloureuses à cause de l'élastique qui retient le masque. C'est le soir. Ou le matin? Je ne sais pas trop. Je constate seulement que le soleil chatouille l'horizon. Sans bouger, je détaille mon environnement. Le lit est placé parallèlement à la fenêtre. Un fauteuil imposant est dans le coin droit de la pièce, en face d'un petit bureau avec une chaise basique. En face du lit se trouve une salle de bain et à gauche de celle-ci, sur le mur d'à côté, la porte qui mène au couloir. Sur ce même mur, il y a une fenêtre qui me donne un aperçu sur les allées et venues des infirmières. Un médecin s'arrête justement pour regarder ce qu'il se passe. En voyant que j'ai les yeux ouverts, il entre.

– Bonjour. Je suis monsieur Ogino. Comment vous sentez-vous?

Comment je me sens? Mes bras ne me répondent pas. Je suis faible. Mes jambes sont lourdes. Je n'ai pas envie de parler. Pour être tout à fait honnête, je ne suis même pas sûre que mes cordes vocales veuillent bien m'obéir. Face à mon silence, il hoche la tête et se dirige vers les machines pour prendre mes relevés. Il me sourit quand je le suis des yeux.

– Vous réagissez à votre entourage, c'est une bonne chose. Des gens attendent pour vous voir. Apparemment ils sont frère et soeur... hum... Ilyas et Audrey Machia.

Il me faut un moment pour décider si je veux les voir ou non. Je tourne doucement la tête vers la vitre. Ce simple mouvement me fatigue. Je déteste cette vitre d'exposition. J'ai l'impression d'être dans un zoo. Audrey me sourit doucement en me faisant un petit coucou et j'essaie de bouger la main. Le médecin le prend comme un assentiment et l'invite à entrer. Elle pose sa veste sur la chaise. Contrairement à ce que je pensais, le médecin reste.

– Faites attention, elle est encore très faible. Il n'est pas sûre qu'elle ait l'énergie de parler alors ne lui en veuillez pas si elle ne vous répond pas.
– Merci docteur.
– N'hésitez pas à m'appeler si il y a quoi que ce soit.
– Merci. Répète-t-elle avant de se tourner vers moi quand il est parti. Hey ma belle. On va ouvrir la fenêtre, ça te dit? L'air est un peu étouffant ici. Ilyas est aux toilettes. Regarde, le voilà.
– Salut. Désolé pour le retard. J'ai averti Akaashi et Bokuto. Ils ne devraient pas tarder.
– Je ne sais pas si tu le sais, mais ça fait une semaine que tu es dans le coma. Ils sont venus tous les jours. Akaashi était toujours le premier à sortir. Bokuto restait parfois presque dix minutes, seul avec toi. Il te parlait. Personne ne sait ce qu'il te disait.
– J'étais persuadé qu'il serait trop turbulent pour avoir le droit de visite. Je ne l'ai jamais connu aussi calme. Pas un mot plus haut que l'autre, pas de tapage. Je sais que je ne devrais pas en parler alors que tu viens juste de te réveiller mais... Il a énormément été blessé par ton état. Il ne tentait même pas de le cacher. Tu ne sais pas comme il était heureux quand il a cru que tu te réveillais parce que tu lui serrais la main. En fait, ce n'était qu'un réflexe, d'après les médecins. Je ne sais pas ce qu'il t'as pris de faire ça mais..
– Ilyas! s'exclame Audrey. Tais toi! Justement, tu ne sais pas, n'aggrave pas la situation.
– Aï!

Koutarou entre à ce moment-là en bousculant Ilyas. Audrey lui laisse sa place. Keiji leur fait signe et ils sortent. Le capitaine de Fukurodani me fixe. Son expression est cuisante tellement il est soulagé. Qu'est-ce qui m'a pris? Mes yeux s'embuent et il pose son front contre le mien.

– Tu es vivante. Murmure-t-il, comme s'il n'y croyait pas lui-même. Tu es vivante. J'ai eu si peur. Tu m'as tellement manqué.

Il me regarde comme s'il voulait me dire quelque chose, mais il se ravise. Il prend ma main droite et en pose le dos sur sa joue. Il me touche le bout des doigts.

– Ne pleure pas. Ne pleure pas. Tout va bien, je suis là. Regarde, il y a Akaashi aussi. Ne t'inquiète pas, tout va bien. Plus rien ne peut te faire de mal. Je suis là, je te protégerai.

Je ne pleure pas parce que j'ai peur. Je pleure parce que je culpabilise. Qu'est-ce qui m'a pris de faire ça? Pourquoi est-ce que je me suis ouvert les veines comme ça? Koutarou continue de me parler en ajustant la couverture. Sa voix est douce. Est-ce qu'elle l'a toujours été? Est-ce qu'il a toujours eu autant d'amour dans les yeux en me regardant? Est-ce que c'est mon état qui le rend comme ça? Il sourit tellement. Et il parle. Beaucoup. Presque trop. Presque. Je n'ai pas envie qu'il arrête. Il se lève soudainement et, plus par réflexe qu'autre chose, je lui attrape la main. Je ne peux toujours pas parler, mais ce n'est plus un manque d'énergie. J'ai la gorge nouée. Mon dos me fait mal à cause du mouvement brusque que j'ai dû faire pour le retenir. Il se rassit à côté de moi et me décroche en me rassurant: il va simplement chercher Keiji. Lui aussi à le droit de me parler. Je desserre doucement les doigts. J'ai peur qu'il ne veuille plus revenir. S'il décidait que j'étais aller trop loin? S'il s'énervait et refusait à nouveau de me parler? Comment est-ce que je vais leur justifier mon acte? Comment est-ce que je vais leur expliquer que j'en étais arrivé à un point où mourir ne me faisait plus rien? Ils n'y sont pour rien. Il n'y ont jamais été pour quoi que ce soit.

Comment est-ce qu'ils m'ont trouvé? Dans quelles circonstances? Est-ce que je venais à peine de m'abandonner au néant? Ils devaient passer la nuit ailleurs, pourquoi est-ce qu'ils sont revenus? Qu'est-ce qui s'est passé pendant mon coma? Je suis fatigué. Je veux dormir. Je ne veux plus voir leurs visages soulagés, alors que je les ai trahis. Je ferme les yeux doucement. Keiji m'embrasse sur le front et je comprends vaguement que je peux dormir, qu'ils sont là pour veiller sur moi. Non. Partez. Ne me regardez pas. Quelle honte. Quelle idiote. Quelle connasse. Comment est-ce que j'ai pu oser leur faire ça? Abandonnez-moi, peut-être que je me sentirais mieux. Les larmes coulent à nouveau le long de mes joues, rendant les élastiques insupportables. L'obscurité vient encore une fois me chercher. Tu viens me délivrer de ma honte? Tu viens les décharger du fardeau que je suis? J'arrive...  

A l'Approche Du Crépuscule(Haikyuu) [Tome 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant