Chapitre 2

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Je sens mes paupières s'ouvrir. Avec lenteur, les décollant après être restée si longtemps endormie. Je me souviens de tout. Absolument tous les détails sont imprégnés dans mon esprit. Ils ne peuvent pas s'effacer de ma rétine, même si je le veux. 

Je fixe le plafond d'un blanc immaculé, je me relève sur les coudes pour regarder l'ensemble de la pièce ou je me trouve. Une chambre d'hôpital. Je le sais. Il y a pleins de photos accrochées au mur, les guirlandes de ma chambre et de nombreuses fleurs sur ma table de chevet. La grande fenêtre donne sur un arbre immense qui perd ses feuilles. Bizarre parce que nous sommes en été.

Si je me souviens parfaitement bien, le 10 aout. Etrange.

Quelque chose d'autre me chiffonne. J'ai un tuyau dans mon nez ainsi que des aiguilles plantées dans mes bras, reliées  à une sorte de tringle, d'où pend des pochettes.

J'aperçois un bouton rouge derrière moi. J'appuie dessus. La seconde d'après, une infirmière arrive dans ma chambre en courant et se fige en me voyant à demi-relevée dans mon lit. Elle ouvre la bouche mais aucun son n'en sort. A croire qu'elle a vu un fantôme. Peut-être que mon apparence lui fait peur, sauf si c'est elle qui me lave.

Quand elle parvient enfin à parler, elle se met à parler à toute vitesse.

- Je vais vite appeler ton médecin. J'en ai pour deux secondes, ne bouge pas.

En cinq minutes, elle a rameuté tout l'hôpital et un homme en blouse blanche arrive dans ma chambre, un dossier à la main. Il me sourit et tous mes tracas de l'instant disparaissent.

- Mademoiselle Eden. Je suis le docteur Curtis. Vous nous avez fait une belle frayeur. Avez-vous mal à la tête ?

Je secoue la tête. Je n'ai pas mal. Il s'approche et passe une lampe devant mes yeux. Je recule, perturbée. Il continue de sourire en notant dans le dossier.

- Vous vous souvenez de quoi ?

- D'être tombée de la falaise. Avec Jeremy. Il est ou ?

Il parait soudainement gêné. Avant qu'il ne puisse dire quelque chose d'autre, ma mère entre comme une furie dans la pièce. Elle n'en croit pas ses yeux et me saute au cou. Je m'accroche à elle, heureuse de la revoir. Je remarque qu'elle porte une doudoune sur elle. Pourtant c'est l'été, il fait genre trente degrés dehors.

- Je suis tellement heureuse de te voir, ma puce. Tu vas bien ? Tu n'as mal nulle part ?

Je secoue la tête encore une fois. Je suis maintenant embrouillée. Elle me relâche et me contemple comme si j'avais changé.

- Pourquoi je n'ai pas mal ? Ce sont les médicaments ? Je pensais pourtant que vous aviez dit que j'avais une clavicule cassée et un traumatisme crânien. Et pourquoi il fait si froid ? Ok, vous mettez la clim mais quand même.

Le docteur fronce des sourcils. Il me fixe longtemps, faisant un geste à ma mère pour qu'elle ne dise rien.

- Nous sommes le combien, Eden ?

Je ne réfléchis pas.

- Surement le 11 aout.

A coté de moi, ma mère étouffe un hoquet et ses yeux brillants sont rivés aux miens.

- Eden, nous ne sommes plus le 11 aout depuis quelques mois maintenant. Tu viens de sortir du coma. Un coma qui a duré trois mois. Nous sommes en automne. Le 25 novembre.

Je le regarde avec incompréhension comme s'il me disait du chinois.

- Tu as subi un grave traumatisme. Après l'opération, tu es tombée dans le coma. Nous ne savions pas si tu allais te réveiller un jour.

Je pense que je vais m'évanouir de nouveau. Ca me ferait du bien. J'aurais pu ne jamais me réveiller ? Qu'aurait fait ma mère ?

- Ta fracture du crâne est rétablie, celle de la clavicule aussi et ainsi que tes deux bras et tes chevilles. En étant endormie, ton corps a pu facilement se réparer tout seul. Le souci, est que ta jambe a été plus endommagée. 

Avec horreur, je le fixe. Ma jambe a été endommagée ? Il me le dit que maintenant ? Il faut que je la voie ! Je soulève la couverture pour analyser ce qui me reste de mes jambes. Il reste imperturbable avant de sourire en voyant la pâleur de mon visage.

- Tu n'as pas été amputé Eden, calme toi. Nous avons recousu une grosse partie de ton mollet et ta cuisse. En tombant, tu t'étais ouverte la jambe le long de la falaise. Ce n'était pas inquiétant. Ce qui nous a inquiété le plus, c'est ta tête. Tu aurais pu mourir après un choc pareil. J'ai d'autres questions à te poser, après je te laisse te reposer.

Les cicatrices sont affreuses. Elles resteront à vie, me marquant à jamais. Je me laisse retomber au fond de mon lit et je contemple la bague à mon doigt. Elle est toujours aussi belle. Je suis soulagée que l'on ne me l'a pas retiré ou que je ne l'ai pas perdue. Elle vient de ma grand-mère maternelle, une femme extraordinaire. 

- Tu te souviens de toute ta vie ? Dans les moindres détails.

J'opine, mordant l'intérieur de ma joue. Je pense en tout cas. Après, la réalité n'est pas la même que les rêves. Et dieu sait à quel point mon imagination peut être débordante. Ma mère attrape ma main et soutient mon regard bleu foncé. Grâce à elle, je me sens en sécurité. Je vois à quel point ce qui m'est arrivé, s'est répercuté sur elle. Sa silhouette me semble si maigrichonne, et pâlotte. J'en ai mal au cœur de la voir autant s'inquiéter, encore maintenant.

- Très bien. Lève les deux bras.

Je le fais sans soucis. Ils me semblent tout maigres. C'est vrai que j'ai du être nourri par sonde et que je n'ai plus rien fait par moi-même depuis une éternité. Je les laisse retomber sur les couvertures.

- Très bien. Je vais devoir t'annoncer quelque chose de difficile à entendre, déclare l'homme en prenant une chaise et en s'asseyant près de moi.

Je le regarde, curieuse. Un seul prénom résonne tout d'un coup dans mon crâne. Un prénom que j'aime, qui me rappelle une personne merveilleuse. 

- Jeremy, chuchoté-je tout bas.

Je ne suis pas sure qu'on m'ait entendus jusqu'à ce que ma mère sanglote à coté de moi. Je ne la regarde pas, trop concentrée sur le docteur qui soutient mon regard.

- Jeremy est malheureusement décédé, Eden. Mes sincères condoléances. 

Les paroles ont dures à se frayer un chemin dans ma conscience. Je me sens comme un oiseau en train de voler, loin de la terre ferme, loin des soucis. Loin des malheurs.

- Un psy va t'accompagner pendant quelques semaines, pour que tu puisses parler et extérioriser tes sentiments. Je dois te laisser, Eden. Je reviendrai te voir.

Il se lève de la chaise, la remet à sa place et donne une poignée de main solennelle à ma mère qui essuie rapidement ses larmes. Il s'en va en me jetant un dernier coup d'œil inquiet.

Et moi, je ne comprends pas. Je ne ressens rien.

Ton âme dans la mienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant