Chapitre 20

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Le docteur me regarde, essayant de me faire comprendre qu'Eden ne va sans doute pas passer la nuit. Je garde le silence, le cœur meurtri. Ma fille est encore endormie, branchée à des machines qui font un bruit horrible. Elle est pâle comme un linge et pleines de blessures.

Son visage porte les traces des bouts de verres. Elle a trois côtes cassées, un bras brisé. Sa ceinture lui a écrasé la cage thoracique. Si elle ne l'avait pas mise, elle serait morte sur le coup en traversant le pare-brise.

-  Madame Castel, je veux juste que vous ne vous fassiez pas trop de faux espoirs.

Le corps presque sans vie de ma fille repose dans son lit d'hôpital. J'ai envie de vomir. Les bras de Dylan m'enserrent pour me soutenir. Je laisse mon visage reposer contre son torse. S'il me lâche, je vais m'effondrer.

- Eden est forte. Elle s'en sort toujours, me murmure-t-il.

Cela me remonte presque le moral. Je pense soudainement à la tonne de linge à la maison, la nourriture du chien, le chien, le chauffage qui fonctionne toujours. Tout ce que je dois faire, prévenir le travail aussi.

- N'oublie pas de nourrir Atos. N'oublie pas non plus ses légumes, de plier le linge pour le repasser après, de faire des machines des habits noirs, d'éteindre le chauffage pour la nuit sinon je vais payer une blinde, je lui dis en fixant son pull.

Il me force à relever mon menton pour le regarder dans les yeux. Je l'aime cet homme mais ça passe en second plan. Tout ce qui m'intéresse et m'obnubile, c'est ma fille.

- Détends toi Stéphanie. Les infirmières ont préparé ton lit. Va te reposer avec Eden. Je veille sur la maison. Je reviens demain. Je t'aime.

Il m'embrasse tendrement mais je ne lui réponds pas, trop fatiguée et abasourdie. Je retourne dans la chambre et me couche dans le lit pliable. Je me tourne vers Eden pour garder un œil sur elle. Sa poitrine se soulève. J'entends sa respiration hachée, quelques fois difficile. Je vois la souffrance sur son visage. Elle doit souffrir même pendant son sommeil.

Je m'endors en l'observant. Je me réveille toutes les deux heures pour m'assurer qu'elle respire toujours et qu'on lui administre tous ses médicaments. A neuf heures du matin, je vomis en apercevant tout son ventre marqué par des ecchymoses gigantesques d'une couleur mauve foncée. L'infirmière lui met de la pommade, change ses pansements, surtout celui de son estomac perforé. Elle lui rebande ses cotes. La lave rapidement, lui met un bandage autour de ses cotes.

Je veille sur elle à chaque instant. Jamais je ne penserais qu'elle reviendrait ici, blessée à la porte de la mort. Si je dois passer des semaines à l'hôpital, alors soit. Je prendrai congé pour m'occuper d'elle.

Je décide de prendre l'air et me balader dans l'aile. Elle est grande. Je repère la chambre de Kiéran. Eden m'a parlé de lui. Beaucoup. Il compte pour elle. Elle pensait que je ne comprendrai pas sa relation avec lui. J'entre dans la pièce et le voit endormi dans son lit. Je remarque qu'il porte le pyjama que ma fille lui a acheté. Il y a quelques fleurs dans sa chambre, encore quelques guirlandes de noël. Et sur la table de chevet, le carnet jaune que j'ai offert à Eden. Je ne savais pas qu'elle l'avait déposé là. 

Je le prends et l'ouvre à la première page. Je ne devrais pas faire ça mais c'est plus fort que moi. Les pages défilent tandis que je découvre la plume de ma fille. Elle écrit d'une façon presque poétique. Je vois qu'elle a écrit des poèmes à certaines pages. Des pensées intimes. Elle a noté absolument tout ce qu'elle pensait, ce qu'elle a vécu et ce qu'elle veut vivre.

Je la découvre à travers ce carnet. Eden ne m'a jamais beaucoup parlé. Nous avons une bonne relation mère/fille mais pas comme d'autres qui se disent tout. Ma fille est plus réservée. Elle tient ça de son père. Quoi qu'elle en pense, ils se ressemblent tous les deux.

- Bonjour Kiéran. Je suis la maman d'Eden, Stéphanie. 

J'ai l'espace d'un instant, l'impression qu'il m'entend vraiment et qu'il a remué. Eden aussi a eu cet impression.

- Ma fille est entre la vie et la mort. C'est pour ça qu'elle n'est pas venue te voir depuis plusieurs jours. Elle ne va pas bien du tout. Je la remplace le temps qu'il faudra. Je sais à quel point elle voulait te voir te réveiller. C'est devenu sa mission depuis quelques mois. Elle est merveilleuse. 

Je regarde le garçon avoir son visage qui perd son air apaisé. Il entend, j'en suis sure à présent.

- Eden va se battre pour survivre, je le sais. Même si elle est dans un sale état. Elle a eu un accident de voiture en venant te voir. Elle n'a pas vu la voiture à gauche. Le choc a été extrêmement violent. Toi aussi bat toi, Kiéran. Tu es en capable. 

Je me relève de la chaise sur laquelle je me suis assise.

- Je retourne la voir. 

- Vous voulez les mettre cote à cote ? me demande ahurie l'infirmière de ma fille.

Je sais que ma demande est étrange mais je suis sure de mon coup.

- Absolument.

- C'est contraire au règlement de l'hôpital. Mais je peux faire une exception parce qu'Eden est une fille géniale. On déplace son lit cet après-midi. Ca va causer un peu de remue-ménage.

J'acquiesce et la remercie une bonne dizaine de fois. Contre toute attente, elle me prend dans ses bras. Je suis un peu surprise. Elle abandonne le fait que c'est contraire aux règles pour me réconforter. Elle me sourit puis reprend son boulot.

L'après-midi, c'est le déménagement. Tous les infirmiers se sont immobilisés pour aider à déplacer le lit d'Eden. Certains portent les appareils, d'autres ouvrent les portes et guident le lit. En une vingtaine de minutes, ma fille est installée dans sa nouvelle chambre avec Kiéran. Leurs lits est presque cote à coté compte tenu du manque de place. Je récupère tous les affaires d'Eden pour les transférer. Je colle ses photos aux murs. Quand elle va se réveiller, ça la rassurera.

 Je décide de rentrer à la maison. Dylan est tout depuis plusieurs jours. Il gère toute la maison, le linge en retard, le chien. J'embrasse ma fille sur le front avant de la quitter. Je reviendrai demain. Je n'ai pas envie de la laisser mais je sais qu'elle est entre de bonnes mains. J'ai seulement peur qu'elle ne survive pas pendant son sommeil. Si ça devait arriver, je veux être là pour elle.

Mais mon bébé est trop jeune pour mourir. Elle n'a que dix-huit ans, toute la vie devant elle pour accomplir tout ce qu'elle souhaite. Si je pouvais échanger ma place avec elle, je le ferai sans hésiter.

Ton âme dans la mienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant