Les jours passent. Je vais rendre visite à mon inconnu à la même heure. C'est le moment que j'attends avec impatience. Je prends un livre et me dirige vers sa chambre. Une infirmière derrière son écran d'ordinateur me voit, mais ne dit rien. Etonnant. Je pourrais être une tueuse. Mais bon, je n'en ai pas l'air même si je parais froide. Je ferme la porte derrière moi.
Mon inconnu n'a pas disparu et est toujours entouré de machines bruyantes. Les deux bras posés sur la couverture qui le recouvre jusqu'à la moitié de son torse. Je commence déjà à parler.
- Salut, inconnu. Je suis revenue comme je te l'ai promis. Je vais te lire un livre aujourd'hui. Je ne sais pas si tu vas aimer. Si ça tombe, comme la moitié de la population, tu connais et tu as lu. Soit tu aimes bien, soit tu n'aimes pas. Si tu es dans la deuxième catégories, on ne s'entendra pas.
Je ricane en me rendant compte à quel point c'est bête. Je tapote la couverture du livre et lis le titre.
- Harry Potter, à l'école des sorciers. Franchement, ne rigole pas. C'est quasiment mon livre préféré. Si le film titanic avec Kate Winslet serait en livre, je me jetterai dessus et tu aurais droit à une lecture personnalisée.
Alors, je commence en essayant de faire plusieurs voix différentes. Je lis pendant plus d'une heure, faisant quelques petites pauses pour m'hydrater. Je repose ensuite le livre entamé sur la table de chevet.
- C'est tout pour aujourd'hui, surtout si tu n'aimes pas. Je déteste quand je dois faire des trucs que je n'aime pas. Ca ne me booste pas et j'ai vraiment pas envie. Donc si tu apprécies pas, fais moi signe.
Je ris, trouvant cette dernière phrase complétement idiote.
- C'est bête parce que tu sais pas bouger. Je suis presque dans le même état que toi, à part que je suis plus chanceuse. Je me demande comment tu t'appelles, quel âge tu as. Tu ne dois pas avoir plus de vingt ans. Je me demande aussi si ta famille vient te voir. Tu n'as pas de fleurs, ni de ballons. Rien qui puisse dire si on te rend visite. Moi, il n'y a que ma mère. Je lui ai demandé de venir moins souvent pour qu'elle puisse voir son petit-ami et dormir un peu plus. La facture de l'hôpital est colossale du à mes opérations. Elle doit même prendre l'argent de mes études pour payer. Je l'ai remarqué en consultant mon compte. Et mon neurochirurgien a décidé de faire un don, pour qu'on ait moins à payer. Mais malgré tout, c'est dur. Je n'ai pas de grands-parents, ni de tantes ou oncles. Pas de cousins. Et pas de père non plus. Tu dois te dire que c'est étrange. Pas tellement, en fait.
Je ne sais pas pourquoi je lui raconte tout ça. Je parle dans le vide, sans attendre de réponse. J'aimerais bien en avoir une. Même si elle est minime. Un petit signe, même inconscient. Quelque chose qui me prouverait que je ne suis pas seule. C'est facile de parler à l'inconnu. Je ne me confie jamais de cette façon. Ce n'est pas mon style.
- Pleins d'enfants n'ont pas de père. Bon bien-sur, j'en ai un mais je ne l'ai jamais vu. Il ne doit même pas savoir que j'existe. Dans un sens, c'est assez triste. J'aurais bien aimé avec une figure paternelle. Là, j'ai Dylan, le compagnon de ma mère. Mais il ne sera jamais mon père. Il n'essaie pas de le remplacer, mais il fait beaucoup de choses pour moi. Excepté venir ici. Il me connait encore mieux que ma propre mère. Je n'aime pas que les gens que j'aime, me voit dans cet état. Il m'a sans doute vu dans le coma. Il n'accompagne pas maman quand elle vient me rendre visite. Je le remercie rien que pour ça.
Mon beau-père est gentil, intelligent et travailleur. Vraiment un type bien. Je suis contente que ma mère soit avec lui. Je ne lui en ai pas fait baver au début, grâce à Jeremy. Lui sait ce que c'est d'avoir un beau-père, puisqu'il en a un depuis qu'il a dix ans. Il m'a compris dès le début.
- J'aimerais bien te donner un prénom mais ça ne conviendrait pas à ton visage. Le mien ne me va pas trop. Eden veut dire ourson, prospérité et même paradis selon différentes langues. Je n'aime pas le miel, et je ne suis pas croyante donc paradis ou enfer, je n'y crois pas. J'aurais très pu m'appeler Patricia. Mais j'aime le fait que mon prénom soit mixte.
J'arrête de discuter et tends une main hésitante vers le jeune homme.
- Je vais te toucher. Je te préviens pour que tu ne sois pas surpris.
Mon index effleure sa joue douce. Je remarque qu'on le rase régulièrement. Mon doigt descend jusqu'à son menton avec de remonter à son nez. Je sens l'air chaud qu'il expire. Je ne touche pas sa cicatrice. Je sais que ça peut être mal interprété et certaine personne n'aime pas. Je me rapproche un peu de lui pour qu'il puisse m'entendre.
- J'ai aussi un cicatrice. Plusieurs. La plus grosse est celle sur ma cuisse, je chuchote. Elle longe ma cuisse et mon mollet. Elle a été très profonde. Celle de mon crâne était moins impressionnante.
Je laisse maintenant ma main posée entièrement sur sa joue. Mon pouce caresse sa peau.
- Je suis en vie, je n'ai pas de séquelles. Mais je n'ai rien oublié. Tout est gravé dans ma mémoire. J'ai eu de la chance. Je ne sais pas si c'est une bonne chose. Tout le monde dit que oui.
Je contemple ses traits paisibles. Il ne témoigne pas sa souffrance. J'espère que son sommeil est doux.
- J'aurais pu parler à n'importe qui dans cette aile...mais je suis tombée sur toi.
Je ricane nerveusement. Si ça tombe, je le saoule à parler de moi. Il était peut-être méchant, et à en a rien à faire qu'une fille lui parle tous les jours. Mais je sais.
- J'ai un don, mon inconnu. Je sens la beauté des gens. Pas la beauté extérieure, l'intérieure. Elle prime sur tout le reste. Je reconnais une personne méchante et une personne gentille. Je n'ai pas beaucoup de vrais amis car je suis méfiante envers beaucoup de gens. Même si en apparence, ils sont gentils. J'ai peur d'être blessée. Le seul en qui j'ai confiance, c'est Jeremy. A présent, il n'est plus là. Je ne me morfonds pas, peut-être un peu.
Je soupire, c'est devenu monnaie courante en ce moment.
- Franchement, si quelqu'un m'avait tout le temps parlé comme ça pendant que j'étais le coma, je serais devenue folle. Je vais arrêter et te raconter des choses joyeuses.
Je réfléchis à quelque chose de positif.
- Il y a trois mois, une femme a accouché de quintuplés. Ses bébés ne faisaient que quelques grammes, l'un était bleu avec le cordon ombilical autour de son cou. Il a survécu. Un autre avait un problème de cœur. On l'a opéré et il est en pleine forme. Une des petites filles a failli mourir. Mais tout s'est bien terminé. C'était le miracle de hôpital. Il y a moins de pollution dans le monde en ce moment. Hum. Je sais pas quoi dire d'autre. Je ne sais pas ce que tu aimerais entendre. Ah oui, une de mes amies, Sophia, m'a fait livré des chocolats et des roses blanches. Ma chambre est ultra colorée, remplie de fleurs de toutes les couleurs.
Je regarde la sienne. Vide et terne. Je vais demander à lui apporter des fleurs. Ce sera plus joyeux. J'enlève ma main de son visage. Je le regarde longuement. Il ne bouge pas. Pas même à mon contact.
- Je reviens demain. J'ai un rendez-vous. A bientôt, mon inconnu.
VOUS LISEZ
Ton âme dans la mienne
RomanceSuite à un accident, Eden a tout perdu. Son âme est déchirée en deux par la perte de son meilleur ami. Elle doit remonter la pente, apprendre à vivre sans lui et se réapproprier la vie. Le temps de se remettre de ses blessures, la jeune fille reste...