Chapitre 5

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Réapprendre à marcher, c'est pire que tout. C'est difficile, je transpire beaucoup. Et je suis énervée de ne pas y arriver. Je ne veux même plus essayer. J'essaie mais je n'ai pas assez de volonté. Je le voudrais, mais je suis coincée entre deux dimensions. Ma vie d'avant, ma vie maintenant. Sans personne.

J'ai l'impression d'être devenue orpheline tout d'un coup. Pourtant, je sais que j'ai ma mère. Elle est là quand je vais pas bien. Elle fait tout pour moi. Elle travaille plus pour payer mes opérations. Je ne veux pas qu'elle soit déçue, et pourtant, je fais tout le contraire. Je rate et ne recommence pas. Je baisse les bras facilement. Je le vois dans les yeux de mes infirmières, de mes médecins, de mon kiné.

J'abandonne, pas définitivement. Je m'alimente à contre cœur pour retrouver mon corps d'avant. Il n'a plus de tonus mais si je pouvais ressembler à Eden d'il y a trois mois. Une fille musclée, têtue et bourrée de sarcasmes. Gentille aussi, courageuse, sportive, intelligente.

J'abandonne mon carnet et parvient à m'installer dans ma chaise roulante. Je vais jusqu'à la chambre de l'inconnu. Rien n'a changé. Personne à l'horizon qui puisse me voir.

Je me poste à coté du garçon et contemple son visage. Je veux le toucher mais je me retiens. Je ne le connais pas. Je n'ai pas à faire ça.

- Salut, commencé-je maladroitement.

Ma voix tremblote légèrement et est basse.

- Je m'appelle Eden. Eden Castel. J'ai dix-huit ans depuis quatre mois. Je vis à l'hôpital depuis plus de trois mois maintenant. Je ne sais pas si tu m'entends. C'est bête de parler comme ça, surtout si tu ne m'entends pas.

Je soupire et tripote nerveusement mes doigts.

- J'ai eu un accident et depuis, je passe mes journées dans mon lit, ou à la rééducation. Et dans ta chambre. Ca fait un peu psychopathe. Je n'en suis pas une au cas ou tu te poserais la question. Si tu rouvrais les yeux, tu aurais très peur. Je fais flipper. On s'habitue. Mes cheveux sont un vrai nid d'oiseaux, je ne ressemble à rien. Certainement pas à moi-même.

Je relève les yeux vers son visage qui n'a pas bougé d'un poils.

- A l'heure actuelle, je devrais être à l'université. Mais en juillet, j'avais décidé de faire une année sabbatique. Un drôle de choix. J'aurais été parcourir le monde en vélo. Vu que j'adore le sport.

Ca me fait du bien de parler. Surtout à quelqu'un, qui peut-être, ne m'entend pas. Ca me réconforte de me confier. Je sais qu'il ne me juge pas. Qu'il ne me connait pas. Qu'il ne peut rien dire.

 - A vrai dire, je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. Toujours maintenant. Je suis perdue devant toutes les options qui s'offrent à moi. Franchement, qu'est-ce que je pourrais faire ? J'aime bien les animaux mais je ne me vois pas devenir vétérinaire, ni gardienne d'un refuge. Je déteste les mathématiques. Je suis douée en français, dans les langues, et en histoire/géographie ainsi qu'en sport comme tu peux t'en douter. Prof de sport, jamais de la vie. Surtout maintenant que je ne sais toujours pas marcher.

Je déplace mon fauteuil pour me placer face à la fenêtre. Le garçon a une belle vue sur la fontaine de l'hôpital, le glacier d'en face et la forêt que j'aperçois.

- Je vais au kiné mais je n'y arrive pas. Il faut de la volonté. Du courage. J'ai perdu tout ça en me réveillant de mon coma. Je ne vois pas d'intérêt à continuer à vivre. Seule ma mère me retient. J'ai perdu mon meilleur ami. Je n'ai plus personne à qui me retenir aussi profondément qu'à lui. Sans lui, je suis cette fille perdue que tu entends depuis aujourd'hui. Je suis désolée de t'embêter avec tous mes soucis.

Mon nouveau soupir perce le silence confortable de la chambre. La pluie se remet à tomber, les goutes à dévaler la fenêtre. Je les suis du regard.

- Tu dois en avoir marre de dormir tout le temps. Mais je peux t'affirmer que tu ne rates rien. Tous les jours il y a des milliers de morts, des attentats, des enfants abandonnés par leurs parents, des gens tabassés par leurs propres conjoints. Rien de très réjouissant. 

Je fais une courte pause, la gorge nouée.

- Je perds un peu la tête, je pense. Elle a touché assez durement une cage thoracique dernièrement. Je ne vais pas te raconter mon accident. C'est assez sordide et toi, je suis certaine que tu ne voudrais pas entendre ça. Mais je sais que tu as deviné que ça concernait mon meilleur ami. Ca aurait pu être une autre personne, quelqu'un de mauvais. Mais les bonnes personnes partent toujours de façon injuste. Le monde est mal fait.

Je tourne et m'avance vers la porte que j'ai refermé.

- Je ne te connais pas. Ni ton prénom, ni ton nom de famille. Je vais y aller. Les infirmières vont se demander ou je suis. A demain, sans doute.

Je retourne encore une fois ma chambre. Un infirmier passe une demi-heure plus tard désinfecter la cicatrice qu'à laisser la sonde gastrique. J'ai mon repas l'heure d'après. Je ne mange que la moitié. Le soir, c'est du pain et de la salade. Rien de folichon.

Je regarde la télé sans réellement accrocher.

Ton âme dans la mienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant