Ton âme dans la mienne

Chapitre 8

Je téléphone au magasin au rez-de-chaussée de l'hôpital pour faire livrer des fleurs à mon inconnu. Je me fais passer pour une personne éloignée de la famille, qui ne sait pas se déplacer. On me croit. Je commande toutes sortes de fleurs et un énorme nounours. C'est enfantin. Mais c'est un geste affectueux.

- Merci beaucoup, je remercie la dame au téléphone.

Je raccroche et souris, fière de ce que j'ai fait. Je veux croiser les jambes, mais je n'arrive presque pas à les soulever, ni à les plier. Je soupire en fermant les yeux, déjà exténuée. Pourquoi la vie est-elle si dure ? Si injuste ? Ne pourrait-elle pas être simple avec moi ? Rien qu'une seule fois.

- Bonjour Eden, dit mon kiné.

Il entre dans ma chambre d'un pas tranquille, un carnet à la main. Il note quelque chose en regardant la feuille qui est dans l'encoche accroché à mon lit. Il a l'air fatigué. J'aperçois toujours cet air sur le visage de mes infirmières. Certaines font des journées de folies et rentrent le lendemain matin, à bout et las. La journée, elles courent partout. Un boulot vraiment dur et prenant.

- Bonjour.

Il est à l'heure comme d'habitude. Il est assez jeune, j'ai l'impression d'être face à un jeune plutôt qu'à un professionnel. J'ai des difficultés à le vouvoyer. Il m'a assuré la première que je pouvais l'appeler par son prénom. Mais ce n'est pas mon genre.

- Tu es prête ?

Il relève les yeux vers moi. Il est beau mais je ne le vois que comme mon kiné. Je hoche la tête et monte sur mon fauteuil roulant. J'ai plus de facilité à présent. Le kiné Jolan, me conduit à la salle ou de nombreuses personnes font des exercices. Ils me disent bonjour d'un hochement de tête. J'ai droit aux barres parallèles pour cette séance.

- Allez Eden. Courage. Tu vas y arriver.

Il me répète ça à chaque fois. C'est presque épuisant d'entendre la même chose tous les jours. Il se place face à moi et ses bras entourent mes hanches pour ne pas je bascule. Il me soulève. Je m'accroche à ses épaules et grimace, en sentant mes jambes se déplier. Elles tremblent sous l'effort.

- Je n'y arriverai pas, je murmure plus pour moi-même.

Le kiné me force à le regarder, me soutenant toujours de ses bras. Je suis obligée de fixer ses yeux.

- Eden, tu vas y arriver. Si tu le répètes en boucle, tu finiras pas l'accepter. Tu te bloques. En remarchant, tu retrouveras ta liberté et tes deux jambes intactes. Tu en es parfaitement capable. Et je sais à quel point tu es sportive et une vraie aventurière. Tu as l'opportunité de recommencer ta vie comme avant, ne la gâche pas.

Je mordille ma lèvre, sachant qu'il a raison sur toute la ligne. L'homme se détache lentement de moi pour positionner mes mains aux barres. Je les agrippe de toutes mes forces. Je ne ressens pas de douleur, si ce n'est qu'elle est dans ma tête malgré tout. J'avance une jambe. On dirait un poids mort. Un membre lourd qui se traine. Je l'avance encore. Puis une autre. J'ai l'impression que je vais m'écrouler d'un moment à l'autre. Mes bras sont tendus à l'extrême.

- Oui Eden. Comme ça, j'entends dans mon dos. C'est bien.

Je me mets à marcher. Avec difficulté certes. Mais je marche. Lentement. Un pied et puis l'autre. Les yeux fixés sur mes chaussettes, je me vois avancer sans protester. Mes pieds retrouvent plus d'appui et de force. Ils supportent mon poids et me portent. Je me sens flotter.

Autour de moi, j'entends des applaudissements. Toutes les personnes qui ont les même difficultés que moi, me regardent en souriant. Leurs applaudissements me met le baume au cœur. Je termine la rangée et le kiné est là pour me réceptionner avant que je m'écroule. Il me rassoit dans le fauteuil roulant et décide que c'est terminé pour aujourd'hui.

Je suis comme en transe, réalisant à peine que j'ai su marcher. Jolan m'emmène à travers les couloirs, passant même devant ma chambre. Il fait un signe à mes infirmières qui ont leurs visages qui s'illuminent. Je pourrais aussi sourire mais ce serait trop forcé. 

On croise un chariot remplis de fleurs. A cette pensée, j'ai un frisson d'excitation. Les fleurs pour mon inconnu. Elles sont magnifiques. J'irai voir ce qu'elles donnent dans la chambre.

On arrive à la cafétaria. Il n'y a presque plus personne. Je demande au kiné de s'arrêter, ne comprenant pas ce qu'on fait là.

- Si vous vouliez votre café, vous auriez pu d'abord me déposer dans ma chambre non ?

Il s'agenouille devant moi et pose les mains de chaque coté de mes cuisses.

- Tu aimes vraiment bien le sarcasme, toi. Je n'aime pas le café déjà. Je t'emmène pour que tu manges une part de gâteau que j'ai spécialement demandé au pâtissier. J'avais prévu ta réussite aujourd'hui. 

Un gâteau ? Voilà comment bien m'avoir dans le panier. C'est presque un péché mignon. Quand c'est un mélange de chocolat et de framboise, c'est l'apothéose. Il se relève et me place à une table à l'écart. Il s'en va sans attendre une réponse de ma part.

Quand il revient, il a deux énormes parts de gâteau. Je le déguste sans protester. Il est vraiment délicieux. Je prends le temps de savourer chaque bouchée. Jolan lui, mange comme s'il avait le feu aux fesses. Sand doute l'habitude. Certaines personnes mangent très vite et d'autres très lentement.

- Merci.

Il relève la tête, surpris mais il se contente de sourire, pour ne pas me mettre mal à l'aise.

- Ca avance avec ton inconnu de la chambre 214 ?

Je fronce aussitôt des sourcils. Comment il peut le savoir ?

- J'ai eu des échos.

Il ne me pose pas d'autres questions. Il se contente de m'observer comme si je suis un véritable mystère. 

- Vous le connaissez ?

Je ne sais pas pourquoi je lui demande ça. 

- C'est un garçon qui a fait de nombreux championnats de natation. Il en a gagné énormément. Il est médaillé et il est vraiment promu à une grande carrière. Il est dans le coma depuis un an et demi maintenant. 

Un grand sportif encore. Je suis triste pour lui. J'imaginais un accident de voiture, ou de vélo. Pleins de scénarios m'étaient passés par la tête. Je ne pensais pas non plus qu'il était connu dans le monde. 

- Vous pouvez m'en dire plus ?

Il secoue déjà la tête, désolé. Je comprends. Le secret professionnel. Je devrais tout découvrir par moi-même.