Chapitre 15

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Les mois défilent. Je vais à la rééducation chaque semaine. Ca paie. Je marche vraiment de mieux en mieux. Bientôt, je pourrais même courir et nager. J'ai si hâte. Je prends un cachet pour la tête et l'avale d'une traite. 

Le mois de janvier a été pourri dans l'ensemble. Un mauvais temps et une pluie continue. C'est difficile d'être joyeuse avec une météo aussi pourrie. Aujourd'hui, je vais à l'hôpital rendre visite à Kiéran. J'attends cette visite depuis un bon moment.

Je prends un taxi. A l'accueil, on m'informe qu'il est toujours dans la même chambre. Je prends l'ascenseur et on monte. Les portes s'ouvrent sur mon infirmière préférée qui surprise, en fait presque tomber les boites de masques qu'elle tient.

- Eden Castel, quelle surprise ! Je ne savais pas que tu venais aujourd'hui. Sinon j'aurais prévu un bon gâteau pour toi. Le kiné aurait été content de manger un bout avec toi.

Je lui souris, heureuse de la revoir. Depuis ma sortie de l'hôpital, je vois un autre kiné qui est plus proche de chez moi. Je n'ai plus vu de psychologique, estimant que je n'en avais plus besoin.

- Ne vous inquiétez pas. Ce n'était pas prévu, je devais venir avant mais j'ai eu énormément de choses à faire. Je viens voir Kiéran. Je suis pressée.

Je marche déjà dans le couloir, je me retourne vers l'infirmière qui voit mon impatience.

- On mangera bientôt un bout ensemble. Je vous le promets.

Je pousse la porte de la chambre de Kiéran. Même état que la fois dernière. Je marche lentement jusqu'à son lit en retenant mon souffle. Il dort paisiblement, la mine toujours aussi apaisée. Rien ne témoigne qu'il y a presque deux mois, il s'est réveillé après sa crise cardiaque. Je dépose un bouquet de fleurs sur la table.

Je m'assois à coté de lui et remonte la couverture sur son torse. Mon regard est attiré par mon journal. Il n'a pas bougé d'un millimètre. Ca me provoque un sentiment de tristesse. Il ne l'ouvrira peut-être jamais. 

- Salut Kiéran, c'est Eden. Je marche enfin sans béquilles. Je boite encore un peu mais c'est déjà ça. Je dois t'avouer que j'ai fait quelques recherches sur toi. Mais je ne sais rien de plus. C'est décevant parce que je veux tout savoir. Si ça tombe, ça t'arrange. Beaucoup de gens n'aiment pas qu'on sache ce qu'ils aiment, ce qu'ils font. 

J'enlève mes chaussures pour m'installer plus confortablement sur le matelas.

- J'espère que je ne pue pas trop des pieds.

Je me mets à glousser jusqu'à en avoir les larmes aux yeux. C'est gênant de dire ça.

- En ce moment, je m'engraisse. J'essaie de rentrer dans mes anciens habits mais j'ai dur. J'ai toujours eu ce genre de métabolisme. Quand tu te réveilleras et que tu me verras, tu vas voir la différence entre cette fille que tu as vu, qui avait l'air complètement perdue et celle de maintenant. Il y a quelques différences. Elles m'ont l'air minimes, mais en même temps, je ne me vois pas de l'extérieur. J'espère qu'on s'entendra bien. Si tu ouvres les yeux et que tu es un connard, je serais franchement déçue.

Je ne peux m'empêcher de lui dire ce que je pense. Je n'ai pas beaucoup de filtre. Ce que je pense, je le dis. C'est encore plus flagrant avec Kiéran. Je réajuste ma chaussette et m'amuse à tirer sur le fil qui dépasse.

- Au mois de juin, j'ai reçu une proposition. Pour intégrer une grande université, et surtout, intégrer une équipe de volley très réputée. J'en ai fait au lycée pendant longtemps, j'étais la capitaine de l'équipe. Les gens me trouvaient inspirante. J'avais des tonnes d'amis mais aucun n'étaient vraiment proches de moi, sauf mon meilleur ami. On me voyait comme une fille blonde, talentueuse, qui ratait toutes ses interros de math, une fille qui faisait un régime stricte pour le sport qu'elle aimait. La grande blonde que les garçons s'arrachaient. Un parfait cliché ambulant. J'aimerais leur dire que je ne suis pas que ça. Je suis peut-être blonde mais j'ai un cœur, des sentiments, une famille, des difficultés comme tout le monde.

Je fais une courte pause durant lesquelles je réprime mes larmes.

- Je n'ai pas accepté. En fait, je n'y avais jamais répondu à leur lettre. J'avais même droit à une bourse, le rêve. Ma mère en a été malade d'apprendre ça. D'apprendre que je voulais voyager et ne pas faire d'études tout de suite. Elle n'a pas compris ma décision. Elle ne la comprend toujours pas. Je ne suis pas prête pour les études. Je ne me sens pas prête, mais va expliquer ça à ta mère qui repose beaucoup d'espoirs sur toi. J'aime mon indépendance. Si je n'étais pas tombée de la falaise, je me serais trouvée un petit chalet dans une montagne quelque part dans le monde. J'ai fiché beaucoup de choses en l'air à faire des choix égoïstes. Surtout que je voulais emmener mon ami Jeremy dans l'aventure. Lui qui était si brillant et qui voulait faire du droit.

Je secoue la tête, dégoutée. Il n'aura jamais l'occasion de faire des études, de tomber amoureux, d'avoir des enfants. J'ai réduit les rêves de Jeremy a néant. Il aurait pu faire de grandes choses. Je suis écœurée. Sa mère dit ne pas m'en vouloir mais à sa place, je serais vraiment remontée. J'imagine même pas toute la peine qu'elle ressent. C'est horrible. Elle a déjà perdu son mari, et puis là son fils. Ce sont des épreuves que personne ne mérite de vivre.

- J'arrête de te raconter mes problèmes. Je n'étais pas là pour ça. Je voulais te raconter un rêve que j'ai fait. Celui de mon deuxième comas. Il te concerne. Ne sois pas timide, même si j'avoue être mal à l'aise.

Je croise les jambes, après cinq tentatives. Je suis déjà mieux installée. 

- Nous étions à la plage. Tout me ramène à la mer de toute façon. Nous étions à ce qu'il me semble, en couple. En tout cas, j'avais prévu un pique-nique et on s'embrassait. Je peux donc en déduire que nous étions amoureux. C'était très étrange de t'imaginer en train de marcher, de me jeter dans l'eau et de me regarder tout simplement. C'était très spécial.

Je fais craquer mes doigts et souris en rougissant. Des fois, je devrais vraiment m'abstenir de donner autant de détails.

- Bon oublie ça. C'est pas important. Je dois passer au cimetière après toi. J'ai aussi l'attention de passer mon permis de conduire. J'ai beaucoup étudié ces derniers mois, autant que ça me serve à quelque chose.  Ma mère va m'acheter une petite voiture d'occasion. Je suis assez contente, du moment qu'elle a quatre roues et qu'elle roule, tout va bien. J'ai beaucoup de choses à faire. Ce qui est encore plus bizarre, c'est tous les gens qui me parlent depuis que je suis rentrée à la maison. J'ai pleins d'amis. Je comprends pas ma soudaine popularité. On me pose des tonnes de questions sur le coma. Certains m'ont insulté. C'est dur.

Je me retourne vers lui et pose une main tendre sur sa joue.

- Je te couperai les cheveux. Ils sont trop longs. La prochaine fois, même si tu n'es pas d'accord. Et je te raserai aussi. Pleins de gens font ça bénévolement dans les hôpitaux, pourquoi pas moi ? dis-je en l'imaginant avec les cheveux plus courts.

Je n'avais pas encore coupé de cheveux de ma vie. Ce serait une grande première, en espérant ne pas rater. Au pire, il ne le verrait même pas. Ca repousse très vite.

- Je vais devoir te laisser. 

Je me lève du lit et enfile mes chaussures. Je dépose un baiser sur la joue de Kiéran et un flash me revient. Mon rêve quand je l'ai embrassé. Un sourire vient éclairer mon visage et je dépose un deuxième baisers sur l'autre joue. Puis sur son front.

- Dans ma famille, on se fait énormément de bisous. Surtout sur le front, déclaré-je.

Je me penche pour embrasser son front, pile sur la cicatrice. J'ai l'impression qu'il tressaille mais je ne suis pas sure.

- A demain Kiéran.

Je jette un coup d'œil a sa chambre vide avant de la quitter.

Ton âme dans la mienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant